Anne Vanderdonckt

Quel âge, votre médecin ?

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Anne Vanderdonckt observe la société, ses évolutions, ses progrès, ses incohérences. Partage ses doutes, ses interrogations, ses enthousiasmes. Quand elle se moque, ce n’est jamais que d’elle-même.

Lorsque je suis revenue de vacances cet été, se tenait, derrière le comptoir de l’officine, raide comme un tube d’aspirine et sympathique comme un clystère, un pharmacien à la place de ma pharmacienne que je connaissais depuis vingt ans. Entre bavardages futiles, si agréables, et vrais bons conseils, j’ai reçu d’elle les mots qui donnaient du poids aux traitements. « Ah, il vous a prescrit ça? Ça marche bien, tout le monde me le dit! » Et les mots qui font du bien parce qu’ils reconnaissent votre douleur. « Aïe aïe aïe, pauvre Madame, ça fait très mal ça! Allez courage! » Et ceux aussi qui vous offrent la chaleur de l’appartenance à un groupe. « Ah, nous les femmes, le nombre de jours qu’on passe à avoir mal au ventre... » Sans compter les avances en médicaments lorsque je n’avais pas eu le temps (enfin, oublié) de prendre rendez-vous chez le médecin... La bienveillance, c’est précieux en toutes circonstances, mais encore plus quand on n’est pas dans son assiette.

La bienveillance, c’est précieux, encore plus quand on n’est pas dans son assiette.

Mon quartier compte davantage de pharmacies que d’épiceries ou de boulangeries. Pas de problème, donc. Il n’empêche que, durant quelques mois, je n’ai réussi à me poser nulle part. Questions d’affinités. Car il en faut un minimum pour tendre une ordonnance qui révèle toujours un peu, voire beaucoup, de votre intimité. Bref, j’ai fait du tourisme pharmaceutique jusqu’au jour où, par le miracle d’une place de parking se libérant devant une petite officine, je suis tombée, toute contente, sur l’ex-collaboratrice de ma pharmacienne.

Je n’ose même pas penser au jour où mon médecin, qui est mon contemporain et n’a pas besoin de consulter mon dossier médical pour le connaître, auquel je n’ai pas à rappeler que j’ai naguère fumé, vu que nous avons arrêté plus ou moins au même moment, raccrochera le caducée. C’est ce qui est arrivé à mes voisins, Stéphanie et Ghislain, qui, octogénaires, fragilisés par de gros problèmes de santé, ont dû trouver à remplacer leur médecin de famille (terme qui exprime tellement bien la réalité de ce métier) lui aussi rattrapé par l’âge. Une quête d’autant plus difficile qu’il leur a fallu trouver un docteur effectuant des visites à domicile.

Accorder sa confiance, devoir se souvenir de ses antécédents médicaux quand la mémoire se troue volontiers, répondre à du censé connu, être obligé de s’habituer à un autre style de communication, à plus de 80ans... Stéphanie, à qui je demandais si elle avait parlé à son médecin de ses maux de tête, m’a répondu sans y réfléchir : « Mais nous n’avons plus de médecin ». Terrible!

Aujourd’hui, Stéphanie et Ghislain, qui ont eu le courage de reprendre leur bâton de pèlerin, ont trouvé un tout jeune médecin qui écoute, explique avec conviction, s’implique, ne promet pas plus que ce qui est possible mais met l’accent sur ce qui ira mieux. Le contraste est aussi énorme qu’improbable entre les deux octogénaires marqués par la vie et le, à vue de nez, pas encore trentenaire qu’ils tiennent à raccompagner jusque sur le pas de la porte. On sent pourtant comme une sorte d’alchimie qui fait fi des générations...

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