© GETTYIMAGES

Problèmes de peau: et si c’était le stress?

Les répercussions des maladies dermatologiques sur le mental ne font plus aucun doute. Et une meilleure prise en compte de la dimension psycho-sociale peut rendre leur traitement plus efficace.

Marie-Antoinette, la dernière reine de France, aurait vu sa chevelure blanchir la nuit précédant sa montée à l’échafaud. Cette brusque décoloration a été imputée par les chroniqueurs de l’époque par la peur de la mort. Pour les scientifiques, une dépigmentation aussi extrême et aussi brusque est assez improbable. En revanche, tous reconnaissent l’impact indéniable du stress sur de nombreuses maladies cutanées et capillaires.

Nombre de troubles cutanés sont effectivement à mettre en relation avec le mental. La peau et le cerveau communiquent entre eux par un réseau de substances hormonales. Ce rapport complexe entre la peau et le cerveau intéresse de plus en plus les scientifiques et ouvre de nouvelles perspectives à la psychodermatologie. « La psychodermatologie a pour objet l’influence des causes et des conséquences psychosociales des maladies cutanées et la meilleure façon de les traiter, analyse le Dr Ria Willemsen, psychodermatologue. Notre discipline a recours tant aux traitements cliniques qu’au suivi psychologique, à la thérapie comportementale et à l’hypnose médicale. »

DES FACTEURS MULTIPLES

Le stress est à l’origine de multiples maladies dermatologiques chroniques, comme le psoriasis, l’eczéma, l’alopécie areata, le vitiligo, l’urticaire, l’acné, la transpiration excessive... et leur nombre ne cesse d’augmenter. La peau est l’expression extérieure de ce qui se passe à l’intérieur.

« Le stress en soi n’est pas la cause de ces maladies, souligne Ria Willemsen. Elles résultent de l’interaction de plusieurs facteurs, héréditaires, épigénétiques (activation ou non de ces gènes) et environnementaux déclenchants comme le stress, l’anxiété, etc. De la combinaison de ces différents facteurs dépend l’apparition ou non d’un trouble cutané. Un stress aigu peut rompre l’équilibre avec pour conséquence, l’incapacité de l’organisme à empêcher la manifestation de la maladie à laquelle on est génétiquement prédisposé. »

La pandémie du coronavirus, à l’origine de graves tensions chez de nombreuses personnes, a provoqué une recrudescence des maladies dermatologiques, jusque-là en latence. Vivre au quotidien avec des plaques de peau qui desquament, des lésions acnéiques, des plaques d’eczéma, des douleurs ou des démangeaisons dues à une maladie cutanée chronique finit par générer un stress permanent. « Le stress est alors l’origine et la conséquence de la maladie, un cercle vicieux dont il est difficile de sortir. »

LE LIEN PEAU-CERVEAU

« Il existe plusieurs systèmes de stress dans le corps humain, précise Ria Willemsen. Le principal se trouve dans le cerveau et déclenche la sécrétion de neurostransmetteurs et d’hormones, telles que l’adrénaline pour préparer l’organisme à faire face à une situation critique. Cette dernière accélère le rythme cardiaque, augmente la tension et accroît la vigilance en cas de danger. La libération de cortisol, l’autre hormone du stress, augmente elle aussi. La présence de ces hormones du stress dans le sang est une des explications avancée pour expliquer l’impact du stress sur les maladies cutanées. »

Il existe aussi un système de stress au niveau de la peau. Plusieurs cellules cutanées et même des tissus conjonctifs sous-cutanés semblent capables d’isoler les substances hormonales et de les transférer au cerveau. Plusieurs types de cellules cutanées sont également équipés de récepteurs sensibles aux substances hormonales. « Cette connexion directe entre la peau et le cerveau fonctionne dans les deux sens, d’où des échanges d’une grande complexité. C’est ainsi que des démangeaisons permanentes due à une lésion cutanée peuvent, à leur tour, générer anxiété et dépression. »

LE STRESS CHRONIQUE

Les hormones de stress sécrétées en cas de situation critique s’éliminent assez vite une fois le danger écarté. Lorsque le stress devient chronique et de longue durée, l’organisme sécrète des hormones de stress en continu. L’équilibre entre le système immunitaire et les cellules cutanées est rompu, ce qui peut déclencher d’importantes réactions inflammatoires au niveau de la peau. C’est pourquoi, en période de stress, une maladie assez banale peut se manifester de façon spectaculaire, comme le psoriasis, l’eczéma ou la pelade.

PSORIASIS, ECZÉMA...

Dans le cas du psoriasis, le système immunitaire stimule le renouvellement de la peau mais à une vitesse telle que les nouvelles couches cutanées prolifèrent, d’où l’apparition de taches rouges qui desquament. En cas d’eczéma, le système immunitaire réagit à des substances irritantes normalement inoffensives pour la peau, comme le sable et la poussière. Ici aussi, les hormones de stress entraînent la dérégulation de la barrière naturelle de la peau. La fine couche de graisse qui protège normalement la peau diminue drastiquement, laissant ainsi le champ libre aux éruptions d’eczéma.

La perte de cheveux par plaques est une maladie auto-immune par laquelle le système immunitaire attaque par erreur ses propres tissus. Outre la prédisposition génétique, le stress modifie le déroulé normal de la pousse des cheveux. « Des globules blancs, dont le rôle consiste à protéger la peau, circulent autour des follicules pileux. De petites erreurs de programmation de croissance peuvent se produire mais les follicules pileux éliminent les substances susceptibles de déclencher l’agression des cheveux. Chaque follicule est en outre tapissé de minuscules filets nerveux. Sous l’influence des hormones de stress, ces nerfs peuvent manifester des réactions d’inflammation, envoyant ainsi au système immunitaire un message d’alerte. Les globules blancs considèrent alors les petites erreurs de production capillaire comme une agression et provoquent la chute massive de cheveux. »

25% des personnes atteintes d’une maladie de peau chronique souffrent de dépression ou d’anxiété.

Dans le cas du vitiligo, une maladie qui se traduit par la dépigmentation de la peau et des cheveux à certains endroits du corps, le lien avec le stress et les émotions est encore plus complexe. « Ici aussi, il s’agit d’un problème d’auto-immunité qui pousse le système immunitaire à détruire ses propres cellules responsables de la couleur de la peau, les mélanocytes. Nous savons par expérience que le stress aggrave le vitiligo mais par quel mécanisme exactement, cela reste à déterminer. Les recherches portent essentiellement sur les conséquences psychiques de ces taches blanches bien visibles car le vitiligo est souvent source de détresse psychologique importante. »

DÉSORDRES AFFECTIFS ET PERSONNALITÉ

Les désordres affectifs qui remontent à l’enfance peuvent également influencer l’évolution des maladies dermatologiques. « Logique puisque le système de stress se développe au cours des dix premières années de vie. Grandir dans un environnement peu sécurisant voire dangereux ou au contraire surprotégé empêche le développement optimal du système de stress, d’où une certaine propension à surréagir en situation de stress. »

La personnalité joue elle aussi un rôle. On ne réagit pas de la même façon au stress et aux émotions selon qu’on est du genre anxieux ou bon vivant. « On n’a pas toujours conscience de l’impact du mental sur la peau. Un homme atteint d’alopécie areata qui perdait ses cheveux était convaincu que le phénomène était purement génétique car il disait n’éprouver aucun stress. Lors d’une conversation, il a fini par admettre que la perte de cheveux avait repris de plus belle après une violente dispute et la rupture avec son frère jumeau. Son incapacité à exprimer et à gérer ses émotions avait provoqué une résurgence de la maladie. »

Un gros choc émotionnel peut-il provoquer le blanchissement des cheveux du jour au lendemain, comme dans le cas de Marie-Antoinette? « Dans certains cas exceptionnels, le phénomène peut se produire sur quelques semaines chez les personnes très sensibles au stress. Soumis à un stress aigu, le système immunitaire peut provoquer la chute des cheveux pigmentés, tandis que les cheveux blancs restent intacts. D’où l’impression que toute la chevelure a blanchi. »

QUELS TRAITEMENTS?

Le traitement le plus efficace consiste à combiner thérapies cliniques – médicaments, onguents, luminothérapie – et gestion des troubles psychiques comme le stress et les émotions. « Les pistes sont nombreuses: loisirs relaxants, promenades ou autres activités physiques régulières, alimentation saine, contacts sociaux... Toutes ces activités constituent un soutien et une sorte de soupape. Le sommeil en suffisance renforce également le système immunitaire. Bon nombre de personnes atteintes de maladies cutanées ont des troubles du sommeil, ce qui favorise les éruptions. Les résoudre permet d’améliorer son immunité cutanée. D’autres thérapies sont également envisageables: techniques de relaxation, yoga, cohérence cardiaque, techniques de respiration, biofeedback et thérapie comportementale. »

L’HYPNOSE MÉDICALE

L’hypnose médicale se pratique depuis longtemps avec succès en complément des traitements classiques. « L’hypnose est une technique de relaxation créative par laquelle le thérapeute suggère des images propres au patient pour l’aider à se détendre en profondeur. Bien interprétées, ces images peuvent apporter une réaction positive du corps pour guérir la peau, constate Ria Willemsen, spécialisée en hypnothérapie médicale. Lors des premières séances, on apprend à se détendre, puis à transférer ses pensées en lieu sûr. On apprend à se focaliser sur un point du cerveau où on peut par exemple atténuer l’envie de se gratter continuellement. Ou suggérer à son système immunitaire de ne plus agresser la peau. Cette suggestion procure une impression de contrôle et de calme, aux effets bienfaisants au niveau de la peau.

La sensation du soleil sur la peau ou d’une légère brise peut également être visualisée. Autant d’images réconfortantes en cas de démangeaisons ou de douleurs. Cette approche en complément d’un traitement dermatologique approprié donne de bons résultats dans la plupart des maladies cutanées chroniques. Cinq séances suffisent en général. La personne peut ensuite poursuivre seule le traitement par autohypnose. »

Gratter et arracher

La psychodermatologie peut également apporter un certain soulagement aux personnes prises d’une envie irrépressible de s’arracher les cheveux ou de se gratter la peau. « Ce trouble assez fréquent est généralement tabou. Ceux qui en souffrent ont honte et hésitent à se faire aider. Une approche basée sur la thérapie comportementale permet de mettre fin à l’envie de se gratter et de s’arracher les cheveux.

Le traitement commence par la tenue d’un journal afin de prendre conscience de son comportement. L’étape suivante consiste à apprendre à se défaire de cette mauvaise habitude en la remplaçant par une autre habitude comme croiser l’index et le majeur par exemple, un geste qui empêche de se tirer les cheveux. Avec le temps, l’envie finit par disparaître. Les techniques de relaxation et l’hypnose médicale peuvent également s’avérer efficaces. »

Contenu partenaire