Moisissures alimentaires: On mange ou on jette ?

Qui n’a jamais découvert un fin duvet vert sur sa confiture ? Ou une pomme moisie dans sa corbeille à fruits ? Faut-il tout jeter, ou récupérer ce qui n’est pas atteint ? Les moisissures sont-elles toujours dangereuses pour la santé ? Explications.

Les moisissures alimentaires sont des champignons. On peut les trouver sur toutes sortes d’aliments (fruits, légumes, produits laitiers, gâteaux...), sous forme de taches ou de duvet gris-vert. Dangereuses, les moisissures ? Parfois, oui. Mais celles qu’il nous arrive de trouver chez nous ne sont pas les plus à craindre : le véritable risque pour la santé est lié aux moisissures qui apparaissent à l’autre bout de la chaîne alimentaire, au niveau de la matière première...

Stockage défectueux

Les moisissures elles-mêmes ne sont pas dangereuses, mais certaines produisent des toxines, véritables poisons naturels, qu’on appelle mycotoxines.  » C’est un problème de santé publi-que, estime Pierre Vlayen, professeur de microbiologie à l’Institut Paul Lambin. Le consommateur n’est pas responsable de la présence de mycotoxines : le problème est en amont. En effet, les moisissures apparaissent après la récolte des matières premières, lorsque les conditions de stockage sont mauvaises. La chaleur et l’humidité, par exemple, leur sont propices. C’est à ce moment-là que peuvent se développer, dans certains cas, des mycotoxines. « 

Le problème, c’est que lorsque le produit fini arrive chez nous, il n’y a bien souvent plus trace de la moisissure d’origine.  » Soit parce que l’aliment a été traité par antifongiques, ou parce qu’il a été soumis à des traitements thermiques pendant le processus de fabrication. Ces traitements vont détruire les moisissures, mais pas les mycotoxines, qui résistent très bien à la chaleur.  » Impossible de dire, donc, si nos aliments ont été, ou non, atteints de moisissure avant de se retrouver dans notre cuisine. Et les mycotoxines éventuelles, tout en étant invisibles, sont bien actives.

Effets à long terme

Que se passe-t-il si on ingère un aliment contenant des mycotoxines ? En général, il n’y a pas d’effet aigu (diarrhée, vomissements, etc.)  » Mais si on mange régulièrement des produits contaminés, les toxines peuvent s’accumuler dans l’organisme, précise Pierre Vlayen. Certaines de ces toxines sont cancérigènes. Les symptômes peuvent apparaître longtemps après la première ingestion.  »

On parle de mycotoxicose primaire lorsque nous mangeons directement le produit contaminé, et de mycotoxicose secondaire lorsque nous consommons un animal contaminé par son alimentation.  » Les mycotoxines se retrouvent alors dans la viande, ou dans le lait. « 

Aliments sous contrôle

Un règlement européen fixe les teneurs maximales de mycotoxines autorisées dans les denrées alimentaires. Certains produits susceptibles d’être touchés sont donc soumis à un contrôle strict.  » Dans le lait, par exemple, on cherchera la présence d’aflatoxine M1. Dans les céréales et produits dérivés, le vin, le cacao, le chocolat, les fruits secs, etc, on recherchera l’ochratoxine A, toxique pour le rein. La zéaralénone, dont on a observé les effets hyper-£strogéniques chez les animaux (avec des conséquences sur la fertilité), se retrouve dans certaines céréales, et particulièrement dans le maïs. « 

En Belgique, l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) gère ces contrôles. Des communiqués de  » rappel  » de produits contaminés sont ainsi envoyés à l’agence Belga et publiés sur le site internet de l’Afsca. Le consommateur averti ne doit pas consommer le produit incriminé, et peut le rapporter au magasin.

Cela a été le cas, dans le passé, pour des noix de muscade en poudre (aflatoxine), de la farine de maïs (aflatoxine), des pistaches (aflatoxine), des produits dérivés de la pomme (patuline), du lait (aflatoxine), etc.  » Ces avis de rappel sont à prendre au sérieux, souligne Pierre Vlayen. Cela signifie que des analyses ont mis un problème en évidence. « 

Moins de risques chez soi

A la maison, bien sûr, il n’est pas rare d’oublier un citron au fond du bac à légume, ou un fromage dans la porte du frigidaire. On les retrouve alors recouverts d’un fin duvet gris-vert. C’est bien souvent le dilemme : peut-on nettoyer ou couper la partie abîmée, pour ne pas gâcher la nourriture, ou est-il préférable de tout jeter pour éviter de tomber malade ?

 » N’oublions pas que moisissure n’est pas automatiquement synonyme de mycotoxine, rappelle Pierre Vlayen. Ici, il s’agira surtout du deuxième effet délétère des moisissures (le premier étant la production éventuelle de mycotoxines) : c’est l’altération de l’aliment. Dans notre jargon, nous appelons ça le défaut d’aspect, et le défaut de goût.  » Le fromage ne sera de toute façon pas très appétissant, et son goût se sera détérioré. Toujours envie de le manger ? A vous de voir.  » Jusqu’à preuve du contraire, il s’agit le plus souvent de moisissures qui ne produisent pas de mycotoxines. Il est donc possible de couper la partie abîmée, et de consommer ce qui reste, sans risque pour la santé. Je pense que le risque de mycotoxines provient essentiellement de la chaîne alimentaire, en amont, et pas de ce qui se passe dans votre cuisine. « 

Par contre, la moisissure a la particularité de se propager très vite, grâce aux innombrables spores qu’elle produit et qui sont des organes de dissémination très volatiles.  » On a compté, sur une orange entièrement moisie, près de 15 milliards de spores ! Si un fruit commence à moisir au milieu d’autres, retirez-le vite ! Et ne surchargez pas votre réfrigérateur, car le manque de ventilation et l’humidité qui en résulte sont favorables au développement des moisissures « .

Des moisissures qu’on aime !

De la même manière qu’il existe des  » bonnes  » et des  » mauvaises  » bactéries, toutes les moisissures ne sont pas à mettre dans le même panier !

 » N’oublions pas qu’elles font partie du processus de fabrication de bien des produits alimentaires, leur conférant des textures ou des arômes particuliers : Penicillium camemberti pour le camembert et le brie, Penicillium roqueforti pour le Roquefort et les fromages à pâte persillée en général (les « bleus »), diverses souches d’ Aspergillus pour la sauce soja, Amylomyces rouxii pour le saké (alcool de riz japonais), Botrytis cinerea pour les vins de Sauternes, Fusarium venenatum pour le Quorn, etc.

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