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Mieux connaître la dépression pour combattre les préjugés

On estime qu’un Belge sur quatre sera confronté à la dépression au cours de sa vie. Même si la maladie est de mieux en mieux prise en charge, les préjugés persistent. La dépression se manifeste souvent de façon très différente d’une personne à l’autre, ce qui retarde parfois le diagnostic.

Qui a déjà traversé un épisode dépressif, sait à quel point il est difficile de traduire en mots ce profond mal-être. Nombre d’artistes, d’auteurs et de philosophes s’y sont essayés, mais quand on les lit textes on se rend compte que la dépression peut prendre de visages différents.

Qu’est-ce que la dépression?

Ce trouble de l’humeur se caractérise par 9 symptômes, dont deux principaux, qui persistent pendant au moins deux semaines: une humeur maussade pendant la majeure partie de la journée et une perte de tout plaisir, de tout intérêt pour la quasi-totalité des activités, décrit le Pr Nathalie Vanderbruggen, responsable du service psychiatrie à l’UZ Brussel. Ces symptômes s’accompagnent de troubles physiques et émotionnels, comme le fait de manger moins ou plus, de la fatigue, des insomnies, un état d’agitation, des idées noires, une tendance à agir plus lentement, ainsi que des problèmes de concentration ou de mémoire. Parfois la personne culpabilise ou se dévalorise, voire a des pensées suicidaires. En termes de gravité, cela peut varier, mais la dépression a toujours un impact négatif sur la qualité de vie. Il arrive que les symptômes soient moins prononcés et que la personne tienne le coup, mais la dépression peut aussi vous clouer au lit. »

On continue, à tort, de stigmatiser les maladie mentales, dont la dépression.

Comment survient la dépression? Quelles en sont les causes?

En général, une première dépression survient entre 20 et 30 ans. Les femmes sont deux fois plus concernées que les hommes. Il s’agit d’une combination de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Certaines personnes sont génétiquement plus à risque de faire une dépression. Mais certains médicaments, l’abus d’alcool et certains maladies, comme le diabète, l’hypothyroïdie, un problème aux glandes surrénales, des douleurs chroniques ou une affection cardiovasculaire sont des causes biologiques possibles. Les personnes qui ont fait un infarctus courent un risque accru de dépression dans les mois qui suivent. Idem aux périodes de variations hormonales, par exemple pendant la ménopause. Parfois il suffit de rétablir l’équilibre hormonale pour faire disparaître les symptômes dépressifs.

Une constante ressort des études scientifiques menées sur la dépression: elle est très souvent précédée d’un événement stressant, comme le décès du conjoint, la perte d’un emploi, une diminution des capacités physiques, une maladie... Mais ce n’est pas parce que vous êtes plus vulnérable que vous allez développer une dépression. Cela dépend beaucoup de la personnalité de chacun. Si vous êtes moins apte à vous sortir d’une situation compliquée, que vous êtes plutôt pessimiste, perfectionniste ou de nature angoissée, le risque est plus grand. Alors que si vous êtes résilient et optimiste, vous serez moins sujet à la dépression. Mais cela peut arriver à n’importe qui.

Peut-on tomber soudainement, sans raison, en dépression?

Oui, nous recevons en consultation des gens dépressifs qui disent pourtant n’avoir aucun problème spécifique. Mais en creusant la question, on se rend compte en général qu’il y a bel et bien des causes biologiques ou psychosociales, un traumatisme dans l’enfance ou un stress de longue durée. C’est une maladie qui surgit rarement sans raison.

La dépression produit-elle des changements dans le cerveau?

Certaines substances cérébrales se comportent autrement en cas de dépression. Il s’agit des neurotransmetteurs (des sortes de messagers), à savoir la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine. Ce sont eux qui assurent la transmission des signaux entre les cellules nerveuses du cerveau. Il suffit d’un déséquilibre pour qu’on se sente moins bien et qu’on développe des symptômes anxieux et/ou dépressifs. Les antidépresseurs sont des médicaments qui agissent sur les neurotransmetteurs et déclenchent des processus qui, au final, permettent l’activation d’un plus grand nombre de nutriments pour les neurones, favorisant la transmission des stimuli nerveux.

Comment aider un dépressif?

  • Apportez votre présence et votre soutien.
  • Soyez surtout à l’écoute. Demandez à la personne comment elle se sent et ne la jugez pas.
  • Prenez au sérieux les gens qui disent souffrir de dépression. Cela s’accompagne souvent d’une faible estime de soi, si bien que les conseils risquent d’être pris comme autant de reproches.
  • Continuez à proposer des activités, sans forcer la personne bien entendu.
  • Demandez de quelle manière vous pouvez l’aider, sans être trop insistant. Il peut s’agir de démarches administratives ou d’un peu de ménage.
  • Ménagez-vous au passage. Apporter aide et écoute à une personne dépressive peut être épuisant. N’oubliez pas de vous détendre et de continuer à vous divertir.
  • Demandez une aide professionnelle si vous voyez que les symptômes dépressifs persistent.

Chez les aînés, la dépression est souvent détectée tard. Est-ce que la maladie s’accompagne d’autres symptômes?

L’une des difficultés est que, chez une personne âgée, les symptômes classiques de la dépression – fatigue, baisse d’énergie, troubles de la concentration ou de la mémoire – sont généralement mis sur le compte de l’âge. Chez elle, la dépression s’installe le plus souvent de manière insidieuse et seul quelqu’un de très observateur se rendra compte d’un changement d’attitude, comme le fait de négliger son apparence, par exemple. Les personnes âgées signalent davantage de symptômes physiques, notamment des douleurs, des vertiges, une oppression de la poitrine, des palpitations... Le fait d’avoir des idées noires n’est pas systématique, ils seront plutôt apathiques ou résignés. En présence d’autres personnes, quand ils ont de la visite, ils ressentent une certaine joie qui peut masquer un problème sous-jacent de dépression, et la famille ne se rend compte de rien.

La dépression suscite encore pas mal d’idées préconçues. Lesquelles?

Le drame, c’est que la personne dépressive s’en veut et culpabilise. Surtout que les proches ont tendance à y aller de leurs encouragements et conseils bien intentionnés, comme « Allez, je t’emmène faire les boutiques » ou « Mais prend des vacances! » Or, cela ne sert strictement à rien, sinon à aggraver le sentiment de culpabilité en donnant à la personne l’impression qu’elle n’en fait pas assez pour s’en sortir. Malgré les campagnes d’information, on continue de stigmatiser les maladie mentales, dont la dépression. Les personnes qui présentent des troubles mentaux sont toujours victimes de discrimination lorsqu’elles souscrivent une assurance solde restant dû ou une assurance hospitalisation. Le revenu garanti en cas de maladies mentales n’est que de deux ans, alors qu’il est de cinq ans pour les maladies somatiques.

La dépression peut-elle disparaître d’elle-même ou faut-il toujours un traitement?

Une dépression peut, en effet, passer toute seule. Un tiers des personnes souffrant de dépression légère à modérée sont guéries au bout de six mois. Dans la moitié des cas, il faut compter une an. Mais en attendant, la dépression provoque d’énormes souffrances, elle impacte fortement l’image de soi et la vie quotidienne, entraînant une incapacité de travail, des problèmes relationnels, une incapacité à assumer son rôle de conjoint ou de parent. Le désespoir et le sentiment que plus rien ne sera comme avant peuvent être si forts que certaines personnes ont des pensées suicidaires, voire passent à l’acte. Il est primordial de se faire aider le plus vite possible.

Si les antidépresseurs n’aident pas, on peut se tourner vers la neuromodulation.

Comment traiter la dépression?

En cas de dépression légère, vous irez déjà mieux en prenant du temps pour vous, par exemple en faisant un peu plus de sport, en vous inscrivant à un cours de yoga ou de pleine conscience, en améliorant votre hygiène de sommeil, en mangeant sainement et en limitant l’alcool. Si les symptômes dépressifs sont plus prononcés, une psychothérapie est recommandée. Cela n’aide pas à court terme, mais les avantages seront bien plus durables que la prise d’antidépresseurs, parce que ce type de thérapie vous aide à mieux comprendre votre propre fonctionnement et à développer vos compétences, afin de mieux gérer les situations de stress. Pour les dépressions sévères, on obtient les meilleurs résultats en associant médication et psychothérapie. Quand le problème est profondément ancré, parler peut être difficile. Les médicaments aideront d’abord à combattre le pire, afin que la personne puisse s’ouvrir à une thérapie par la parole. Les antidépresseurs agissent à relativement court terme, au bout de trois à quatre semaines.

Les antidépresseurs ne marchent pas toujours et trouver le bon médicament peut mettre du temps... Pourquoi?

Les antidépresseurs ne fonctionnent que chez un peu plus de la moitié des patients. Si un antidépresseur n’apporte pas d’amélioration après six semaines environ, il faut en discuter avec son médecin pour voir s’il ne faudrait pas augmenter la dose ou passer à une autre classe de médicaments. Mais il est impossible de dire à l’avance qui répondra favorablement à un antidépresseur particulier. Il n’existe aucun biomarqueur pour cela.

Quand peut-on arrêter les antidépresseurs et pourquoi est-ce parfois si difficile?

Il est important de prendre les antidépresseurs pendant une période suffisamment longue. Soit minimum six mois, mais le mieux est de poursuivre le traitement pendant un an. Ce n’est que lorsque les symptômes ont disparu depuis un certain temps et qu’il n’y a plus aucun symptôme résiduel que vous pouvez commencer à réduire progressivement votre consommation, toujours en accord avec votre médecin. Le suivi doit être régulier, car certaines personnes présentent des symptômes de manque. Dans certains cas, il peut être nécessaire de poursuivre le traitement pendant beaucoup plus longtemps. Il n’est pas rare de voir des patients prendre leurs antidépresseurs pendant des années. Cela ne crée pas d’accoutumance, mais il peut y avoir des effets secondaires comme une humeur morose ou une perte de libido. Ces inconvénients doivent être pris en compte dans la décision de poursuivre ou non la médication.

Bernadette, 58 ans: « J’ai vécu l’enfer »

« Je suis ingénieur industriel et, un matin, alors que je me rendais au travail, où je ne me sentais pas à ma place, j’ai senti que quelque chose se brisait en moi. Un mois avant mon 40e anniversaire, c’était comme si les lumières s’éteignaient. J’ai dû faire demi-tour et m’avouer que j’étais épuisée. Rétrospectivement, j’ai compris qu’il s’agissait d’un « accident » qui attendait en embuscade. Bien que je vienne d’un milieu chaleureux et protecteur, toute ma vie je me suis pliée aux attentes des autres. Ajoutez à cela une enfance marquée par le harcèlement, la timidité, l’obésité et une nature perfectionniste. Tous les ingrédients de la dépression étaient réunis! Les trois premiers mois, je ne suis sortie de mon lit que pour aller jusqu’au frigo. Pendant cette période très sombre, j’ai lutté contre des pensées suicidaires. Mes parents m’ont fait promettre de ne jamais passer à l’acte et cela m’a sauvée. Finalement, j’ai passé plus de deux ans en clinique, à travailler sur les causes sous-jacentes, comme ma très faible estime de moi et mes troubles alimentaires. Lentement et après pas mal de rechutes, je m’en suis sortie. Aujourd’hui, je suis fière de dire que je fonctionne à nouveau et que je me tiens sur mes deux jambes. Ce n’est qu’à 50 ans que j’ai enfin trouvé la joie de vivre. Je reste vulnérable aux rechutes. Un petit revers peut encore me frapper durement, je continue à prendre des antidépresseurs et à suivre une thérapie, mais j’arrive de mieux en mieux à reconnaître les signes d’une baisse de régime et à lever immédiatement le pied. »

On estime que pour 40% des gens les antidépresseurs et la psychothérapie ne suffisent pas. Quelles sont les alternatives dans ce cas?

Si les antidépresseurs n’aident pas suffisamment, on peut se tourner vers les techniques de neuromodulation. Pour les personnes souffrant de troubles dépressifs très lourds (par exemple, avec des symptômes psychotiques), l’électroconvulsivothérapie (ECT ou électrochocs) peut apporter un soulagement. L’ECT est le traitement neurobiologique le plus efficace de la dépression. On anesthésie brièvement le patient pour lui administrer une impulsion électrique qui crée une décharge dans le cerveau. Cette approche suscite encore pas mal de préjugés, car l’ECT est souvent diabolisée dans les médias et dans les films (notamment Vol au-dessus du nid de coucou). La stimulation magnétique transcrânienne (SMT), une technique plus récente et très prometteuse, consiste à « modifier  » la fonction des cellules nerveuses au niveau du cortex cérébral par une activité électromagnétique. Cela peut se faire sans anesthésie et les résultats sont assez bons en cas de troubles obsessionnels compulsifs et de dépression. Pour la dépression chez les personnes âgées, la SMT s’avère même aussi efficace que les antidépresseurs. Bien qu’il n’y ait pratiquement aucune contre-indication, cette technique n’est pas encore remboursée en Belgique.

Autre piste nouvelle, le traitement expérimental de la dépression par des microdoses de substances psychédéliques, que la chanteuse Selah Sue a essayé. Cette solution a-t-elle de l’avenir?

Dans ce domaine, des programmes de recherche – assez prometteurs – ont été lancés et pourraient constituer un outil supplémentaire dans le traitement de la dépression résistante aux traitements classiques. Ces substances ont un mécanisme d’action différent de celui des antidépresseurs, mais on ne sait pas encore grand-chose à leur sujet. L’avenir nous le dira...

Pour la dépression, mais pas que...

Les antidépresseurs se retrouvent souvent sous le feu des critiques, car ils seraient prescrits trop rapidement et trop souvent. Mais, en pratique, les antidépresseurs ne servent pas qu’à soigner la dépression. Ils peuvent également être prescrits dans le traitement des troubles anxieux, des troubles obsessionnels compulsifs, des symptômes de névralgies et des migraines.

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