Malade ou conduire, peut-on choisir ?

Peut-on conduire quand on prend certains médicaments ? Ou quand on souffre d’une maladie telle que le diabète ou l’épilepsie ? Quand vaut-il mieux s’abstenir ? Et dans quel cas faut-il passer une visite médicale ? Voici ce que recommandent les médecins et ce que dit la loi...

Peut-on conduire après un accident vasculaire cérébral ? Certains médicaments ont-il des effets secondaires susceptibles de diminuer nos réflexes ? Que se passe-t-il si on prend le volant malgré la recommandation du médecin de ne pas le faire ? Dans certains cas, cela coule de source : après une anesthésie, même légère, on n’est pas en état de conduire. Le médecin ou l’hôpital demanderont au patient de prévoir son retour, raccompagné par un proche ou en taxi. D’autres situations sont moins claires. De nouvelles dispositions sont en vigueur depuis un arrêté royal de septembre 2010. Pas évident de s’y retrouver entre ce que dit la loi, ce qu’elle ne dit pas, son application parfois floue, les exceptions...

Diabète : on évite l’hypoglycémie

Le texte de loi est strict :  » Le candidat atteint de diabète sucré est inapte à la conduite « . Pas de panique, la réalité est plus souple.  » Le patient peut obtenir un permis pour une durée déterminée auprès de l’administration communale, après avoir reçu un certificat d’aptitude de son médecin (généraliste ou endocrinologue-diabétologue, selon les cas) « , explique Viviane de Laveleye, directrice de l’Association belge du diabète (ABD).

Ce permis est valable trois ans pour les conducteurs de plus de 50 ans, et renouvelable sur obtention d’un nouveau certificat médical.

 » Le risque, c’est surtout l’hypoglycémie (manque de sucre dans le sang), précise Viviane de Laveleye. Mais ce n’est pas si fréquent, car les traitements sont de plus en plus perfectionnés, et les patients savent reconnaître les signes annonciateurs d’une hypoglycémie (transpiration, tremblements...), et peuvent donc prendre leurs précautions : s’arrêter, et se resucrer. D’où l’importance d’avoir dans la voiture de quoi se resucrer (biscuits, boisson sucrée, morceau de sucre...). De plus, les patients insulino-dépendants, qu’ils soient diabétiques de type 1 ou 2, ont souvent le réflexe de faire un test de glycémie avant de prendre la route, pour voir où ils en sont. Et de toute façon, avec des antidiabétiques oraux, on fait moins d’hypoglycémie. « 

Le danger est la perte de contrôle du véhicule.  » L’hypoglycémie entraîne des troubles du comportement, car lorsqu’on n’a plus assez de sucre dans le sang, le cerveau n’est pas correctement irrigué.  » Des chiffres ?  » On estime qu’un accident sur 100.000 est imputable à l’hypoglycémie. « 

L’hyperglycémie (excès de sucre dans le sang) ne présente pas vraiment de risque pour le conducteur.  » Elle s’installe plus progressivement que l’hypoglycémie, explique Viviane de Laveleye. Le seul cas où elle peut apparaître rapidement, c’est lors-qu’une pompe à insuline tombe en panne. Le patient est alors brutalement privé d’insuline et la situation peut se dégrader rapidement. Mais la plupart des pompes ont une alarme qui se déclenche en cas de panne. Cela permet à la personne de réagir. « 

Le certificat d’aptitude peut-il être refusé ?  » Si le patient souffre de complications invalidantes liées à son diabète (atteintes aux yeux, aux pieds...), le médecin peut refuser de donner l’autorisation de conduire. C’est sa responsabilité. « 

Apnées du sommeil : un traitement efficace

Conduire après une mauvaise nuit ? Le danger est non seulement de s’endormir au volant, mais aussi de ne pas avoir les bons réflexes... Un risque réel pour les patients atteints du syndrome d’apnées obstructives du sommeil (Saos).  » Pour être  » apnéique « , il faut compter au minimum 5 apnées ou hypopnées par heure de sommeil, explique le Pr Giuseppe Liistro, pneumologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles. L’apnée est la cessation complète de la respiration pendant au moins 10 secondes, tandis que l’hypopnée correspond à une diminution du flux de l’air allant jusqu’à la quasi disparition du souffle. « 

D’après des études récentes, ce syndrome concerne 4 % des hommes et 1 à 2 % de femmes adultes. Pour beaucoup, cela se traduit par une somnolence diurne. On peut la mesurer grâce à un outil, le  » score de somnolence d’Epworth « . Des études montrent que chez ces patients non traités, le risque d’accident est multiplié par 5 à 8 par rapport à une population du même âge non apnéique, ou à des patients apnéiques mais traités.

 » En Belgique, on propose un traitement à partir de 20 apnées ou hypopnées par heure, précise le Pr Liistro. On parle alors de syndrome d’apnées/hypopnées modéré à sé-vère.  » Le traitement consiste à utiliser chaque nuit une machine placée près du lit : le patient dort avec un masque sur la figure, relié à la machine, qui fournit un flux continu d’air sous pression. Cette pression positive maintient les voies respiratoires ouvertes, permettant une meilleure respiration et un meilleur sommeil.

 » Lorsqu’un patient souffre d’apnées modérées à sévères associées à une somnolence diurne, le médecin n’est pas tenu de faire une déclaration d’inaptitude à la conduite auprès des autorités, mais il est obligé de dire au patient qu’il ne peut plus conduire, et il le note dans son dossier médical, explique le Pr Liistro. Le patient peut reprendre le volant s’il est ainsi soigné depuis au moins un mois.  » Au bout d’un mois, le médecin vérifie en effet que le traitement est bien suivi et que la somnolence diminue. Le patient doit utiliser la machine un minimum de trois heures par nuit.

Que se passe-t-il si le patient passe outre l’interdiction du premier mois ?  » En cas d’accident, s’il y a enquête, les assurances pourront se retourner contre lui.  » De fait, certains patients ne renoncent pas à la conduite pendant cette interdiction provisoire et se contentent d’adapter leur comportement pour limiter les risques...

Côté coeur, patience et bon sens

 » Il n’y a pas beaucoup de restrictions officielles, affirme le Dr Jose Castro Rodriguez, cardiologue au CHU Brugmann à Bruxelles. C’est surtout une question de bon sens. La restriction la plus claire concerne les patients susceptibles d’avoir des arythmies cardiaques et à qui on a mis un défibrillateur implantable. Ils ne sont pas autorisés à conduire pendant les six premiers mois. L’appareil enregistre les éventuelles arythmies : si elles sont peu nombreuses, voire inexistantes, le patient peut à nouveau conduire. « 

Certains patients, informés de cette disposition, refusent le défibrillateur, et courent le risque de faire une syncope au volant.  » Il y a peu de recours : on leur dit qu’il ne sont pas aptes à conduire. Mais cela n’a qu’une valeur de conseil. S’il y a un accident, ils sont responsables. Le médecin n’est pas obligé de faire une déclaration à l’administration, mais notifie l’inaptitude à la conduite dans le dossier médical.

Il n’y a pas de restriction pour les patients qui portent un pacemaker. Mais on leur recommande de ne pas conduire le premier mois, le temps que les sondes électriques de l’appareil se collent bien au coeur. Le fait de conduire pourrait faire en sorte que le patient ait des mouvements des bras qui gênent cette soudure. « 

L’épilepsie, conduire sans crise

 » Les épileptiques le savent, le risque est d’avoir une crise au volant ou de se sentir somnolent à cause des médicaments qui ralentissent les réflexes « , explique le Pr Kenou van Rijckevorsel, épileptologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc, à Bruxelles.

Le patient peut-il sentir venir une crise ?  » Pour certains, oui, mais cela peut ne prendre que quelques secondes, ne laissant pas le temps de réagir. Pour les autres, c’est immédiat. Pendant la plupart des crises, le patient est dans un état de conscience anormale : ses réflexes sont partiellement présents, suffisamment pour conduire  » en pilote automatique « , mais pas assez pour réagir si un obstacle survient. « 

Au diagnostic de la maladie, le médecin délivre une attestation d’inaptitude à la conduite. Selon la loi, le patient est censé rendre son permis à la commune, un geste quasiment inexistant en pratique.  » La loi détaille différentes situations selon le type de crise, les résultats des examens, etc. Le patient doit passer trois mois à un an sans crise avant de pouvoir conduire à nouveau. S’il est ensuite considéré comme apte, le médecin fait une attestation pour une durée déterminée, de quelques mois à cinq ans. Après dix ans sans crise, il récupère un permis à durée indéterminée. « 

Une étude américaine a montré que seulement 0,2 % des décès dus à des accidents de voiture étaient imputables à une crise épileptique. Ce chiffre est toutefois 4,6 fois plus élevé que pour les patients diabétiques, mais 156 fois moins élevé que pour l’alcool au volant.  » Les patients comprennent la restriction qu’on leur impose, mais ils ont parfois du mal à accepter que d’autres (alcooliques, patients atteints de démence...) ont parfois des retraits très provisoires mais pas de sanctions aussi strictes. « 

Alzheimer, pas d’interdiction formelle mais...

Pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, la question de la conduite est particulièrement délicate. Si la maladie est détectée tôt, le malade est en général capable de con-duire.  » Mais ensuite, il va justement perdre le jugement de ses propres capacités « , explique Sabine Henry, présidente de la Ligue Alzheimer.

Le médecin et les proches ont alors un rôle à jouer, selon l’évolution de la maladie.  » Il n’y a pas d’interdiction formelle de conduire, mais le médecin doit faire une déclaration d’inaptitude si, au cours d’une visite, il se rend compte que son patient est devenu moins capable, à cause de difficultés d’orientation, par exemple. Il peut l’inviter à rendre son permis à la commune (ce que très peu font), ou à prendre rendez-vous au Cara (voir encadré ci-contre) pour passer un examen. Cet organisme peut autoriser la conduite avec certaines restrictions : ne pas sortir la nuit, rester en-dedans d’un certain périmètre autour de l’habitation... « 

Faute d’interdiction formelle, c’est aux proches d’essayer de convaincre le patient de ne plus prendre le volant.  » Une dame nous disait un jour que son mari, patient Alzheimer, voulant doubler la voiture devant lui, lui avait demandé s’il avait le temps de le faire ! Il y a un danger non seulement pour le patient, mais pour ses proches et pour les tiers sur la route. « 

Pas évident d’inciter son conjoint, ou l’un de ses parents, à se priver de cette liberté.  » Ce genre de discussion crée des tensions, bien sûr. La conduite est hautement symbolique d’autonomie et de qualité de vie, surtout pour les hommes. On a déjà entendu parler de proches qui dissimulent la clé de la voiture, ou ôtent la batterie. Mais certains patients sont capables de contourner ces mesures. Le résultat, c’est que dans les faits, c’est souvent le statu quo : le patient continue à utiliser son véhicule... « 

Médicaments : on lit la notice

Beaucoup de médicaments, même parmi les plus courants, peuvent avoir des effets secondaires non négligeables. D’où l’importance de lire la notice ! D’après une récente étude réalisée par l’Inserm en France, la prise de médicaments est à l’origine de 3,3 % des accidents de la route !

L’effet secondaire incriminé, dans le cadre de la conduite, est la somnolence. Et les somnifères ne sont pas les seuls en cause, loin de là. Il y a aussi les médicaments contre le rhume (sirops, décongestionnants, etc.), les sirops contre la toux, des antidouleurs et antipyrétiques, les antidépresseurs et anxiolytiques, les médicaments contre l’hypertension, contre l’allergie, les antidiabétiques, le neuroleptiques, même certains stimulants, etc. Sans parler des interactions entre médicaments... Attention, au sein d’une même classe de médicaments, tous n’ont pas les mêmes effets. Et chaque médicament réagit différemment d’un patient à l’autre, selon son état de santé et l’association éventuelle avec une consommation d’alcool.

La vision : 5/10 pour garder la route

La plupart des informations dont nous avons besoin pour conduire passent par la vue : feux tricolores, passages piétons, panneaux indicateurs, autres véhicules, etc. Pour la conduite d’un véhicule standard, à usage privé, deux points sont essentiels.  » En effet, la loi belge requiert une acuité visuelle supérieure à 5/10 aux deux yeux et un champ visuel suffisamment large, soit supérieur à 120°, explique le Dr Tania Barlet, ophtalmologue au CHU Brugmann, à Bruxelles. Le champ visuel représente la perception des choses dans la périphérie de notre vision (obstacles, véhicules...). C’est un peu une vue panoramique des éléments qui nous entourent. « 

La vision peut être altérée dans divers cas. Les plus fréquents après l’âge de 50 ans sont :

La dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) :  » Il s’agit du vieillissement de la macula, qui représente la partie centrale de la rétine. Elle assure la vision centrale, dite du détail (acui-té visuelle). Si cette acuité est inférieure à 5/10, il s’ensuit une inaptitude légale à la conduite. Toutefois, dans des cas exceptionnels, en fonction d’autres critères de santé, on peut être déclaré apte à la conduite avec une acuité comprise entre 3/10 et 5/10. « 

Le diabète : ses complications peuvent entraîner une altération de la vision centrale et périphérique.  » Une personne chez qui l’affection s’accompagne de graves complications oculaires, neurologiques ou cardiovasculaires peut être déclarée inapte à la conduite. « 

Le glaucome :  » Cette pathologie est particulièrement traître, car elle est indolore et sournoise.  » Le glaucome représente la destruction progressive et lente du nerf optique, entraînant une perte de la vision d’abord en périphérie puis progressivement atteignant la vision centrale. Il touche jusqu’à 3 % de la population après 50 ans. Il peut passer inaperçu pendant de nombreuses années, d’où l’utilité du contrôle annuel après 40 ans. « 

L’accident vasculaire cérébral (AVC) :  » Après un AVC, il peut y avoir une perte de la moitié du champ visuel, à droite ou à gauche. On parle d’hémianopsie. C’est particulièrement gênant à droite, bien sûr, car on ne voit plus les priorités.  » L’hémianopsie n’est pas nécessairement un motif d’interdiction formelle de conduire. Certains conducteurs parviennent à compenser cette restriction du champ visuel par un balayage incessant du regard, par exemple. Un examen au Cara déterminera l’aptitude du conducteur.

La cataracte : un début de cataracte se manifeste souvent par un plus fort éblouissement face aux phares des voitures d’en face, et une diminution significative de la sensibilité au contraste, malgré une vision toujours supérieure à 5/10. La meilleure prévention est dans ce cas de diminuer la vitesse, notamment en entrant ou sortant d’un tunnel mal éclairé.

A quoi sert le Cara ?

Le Cara (Centre d’aptitude à la conduite et d’adaptation des véhicules) est la référence en matière d’aptitude à la conduite. Ce département de l’Institut belge pour la sécurité routière (IBSR) a en effet pour mission d’évaluer l’aptitude à la conduite des personnes présentant une diminution de leurs capacités (motrices, visuelles, etc.).

 » Notre philosophie, c’est que l’âge n’est pas une maladie en soi, insiste Mark Tant, responsable du Cara. Il n’est donc pas déterminant pour évaluer une aptitude. Chez nous, le médecin prend la décision de délivrer une attestation pour changer, renouveler ou récupérer le permis de conduire. Les candidats envoyés par leur médecin peuvent passer, selon les besoins, un examen médical, un examen psychologique, et différents tests pratiques sur route qui permettent de vérifier si le problème médical ou psychologique décelé a une influence sur la conduite. Le test de vision est obligatoire pour tous ceux qui viennent chez nous. « 

Le Cara délivre des attestations d’aptitude à la conduite qui peuvent être assorties de conditions (obligation de porter des lunettes ou des lentilles, etc.), de restrictions (conduite autorisée entre une heure après le lever du soleil et une heure avant le coucher du soleil, conduite non autorisée sur l’autoroute, etc.), ou d’adaptations (avoir une boîte de vitesses automatique, etc.).  » Ces informations sont inscrites par la commune sur le permis de conduire sous forme de code chiffré. « 

En cas d’inaptitude, on doit, selon la loi, remettre son permis aux autorités dans les 4 jours.  » En pratique, peu le font. C’est toléré, tant qu’on ne roule pas. Mais si on conduit quand même, on sera considéré, en cas de contrôle, comme roulant sans permis. « 

Cara, Chaussée de Haecht, 1405 – 1130 Bruxelles 02 244 15 52 Email : cara@ibsr.be www.ibsr.be (cliquer sur CARA, en bas à droite)

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