Les maladies psychosomatiques

De plus en plus de patients se plaignent de symptômes physiques sans que l’on puisse diagnostiquer une maladie. La douleur chronique et l’épuisement sont deux exemples typiques. Des plaintes qui restent souvent incomprises par leur entourage direct.

Table des matières:

Boudewijn Van Houdenhove, professeur de psychologie médicale et de la santé à l’Université de Louvain et psychiatre à la clinique universitaire Gasthuisberg, se penche sur cette problématique depuis de nombreuses années. Rencontre.

Comment se fait-il que tant de gens se sentent à la fois malades et incompris ?

Boudewijn Van Houdenhove : Cela s’explique principalement par un schéma de pensée duale qui a encore cours chez beaucoup. Une maladie est soit somatique (c’est-à-dire d’origine physique et parfaitement diagnostiquée), soit psychique. Un médecin considère souvent qu’il a fait son travail s’il a exclu toute affection corporelle qui pourrait expliquer les plaintes ressenties par le patient. Mais les patients ne se satisfont pas d’une tape réconfortante sur l’épaule. On ne parvient à une solution satisfaisante qu’en les considérant dans leur globalité. La psychosomatique jette un pont entre le corps et l’esprit.

Cela dit, il faut savoir que certains ont du mal à affronter leurs problèmes émotionnels. Il préfèrent donc se focaliser sur l’aspect physique de leur mal-être plutôt que de prendre en compte l’aspect psychique de leur problème. Ce qui est psychique reste souvent marqué d’un stigmate. « On va croire que c’est moi qui imagine tout ça !  »

Comment peut-on définir la psychosomatique ?

On peut la définir au sens large et au sens strict. Stricto sensu, la psychosomatique prend en charge ceux qui se sentent malades sans que l’on puisse diagnostiquer une affection précise par le biais d’examens médicaux et cliniques. Au sens large, la psychosomatique est l’étude des relations qui existent entre les plaintes physiques et les manifestations psychiques.

Quand peut-on parler de plainte psychosomatique ?

Ici encore, on peut aborder la problématique de manière générale ou particulière. Toute plainte présente deux aspects : l’un physique et l’autre psychique. Prenons l’exemple d’une fracture. La douleur est clairement physique mais, chez un sportif, elle peut être à l’origine d’une dépression.

Au sens plus strict, les plaintes psychosomatiques sont celles qui restent non expliquées, telles que les douleurs musculaires, lombaires, abdominales... et la sensation d’épuisement. Parmi celles-ci on retrouve la fibromyalgie, le syndrome de fatigue chronique et de l’intestin irritable...

L’infarctus ne fait pas partie de la psychosomatique au sens strict. On en connaît le mécanisme physique : un caillot de sang bouche l’artère coronaire. Mais on sait que certains facteurs psychiques peuvent jouer un rôle dans le déclenchement d’un infarctus. On sait aussi que certains tempérament sont plus concernés que d’autres : les nerveux, les agressifs... surtout lorsque s’y ajoutent des facteurs physiques et héréditaires. Donc, au sens large du terme, la composante psychosomatique est également présente.

Dans la quasi totalité des maladies on constate des interactions entre les facteurs physiques et psychiques. C’est pourquoi, aujourd’hui, on parle de modèle biopsychosocial. Il s’agit d’aborder la plainte physique dans sa dimension physique mais aussi psychologique et sociale. Ces deux derniers aspects ne sont pas toujours liés à la cause du problème médical mais peuvent en être aussi la conséquence. Un patient atteint d’une affection chronique peut devenir dépressif ou développer toutes sortes de problèmes sociaux, qui ajoutent à son stress et peuvent donc aggraver son cas.

Quel est le rôle du stress ?

Le stress est le concept clé pour comprendre les plaintes psychosomatiques, parce qu’il renvoie à un déséquilibre entre ce qu’on peut supporter et ce qu’on endure effectivement. Notre organisme abrite un système de régulation du stress, chargé de gérer toutes les formes de pression et les coups durs, qu’il s’agisse d’un effort physique inhabituel, d’un manque de sommeil, d’une convalescence ou d’un stress émotionnel, de soucis, de harcèlement au travail, de problèmes avec les enfants ou le conjoint... Le système de régulation du stress est sensé maintenir un équilibre en dépit de tout. Or le stress continu met à mal cet équilibre et menace de le dérégler.

Tant que cela reste temporaire, il n’y a pas de crainte à avoir. Le stress aiguise nos facultés, nous maintient en alerte et nous stimule. Mais lorsque le système tourne à plein régime, lorsque le stress devient chronique, notre équilibre vacille durablement et le corps se dérègle sous l’effet des hormones du stress. Elles jouent un rôle capital dans le système de régulation du stress, mais aussi au plan immunitaire et dans le fonctionnement des neurotransmetteurs (molécules permettant à l’influx nerveux de passer d’un neurone à l’autre) dans le cerveau. Le dysfonctionnement des neurotransmetteurs entraîne toute une série d’ affections liées au stress. Il s’agit non seulement de maladies psychiques ou psychiatriques comme la dépression. On comprend désormais de mieux en mieux de quelle façon un dérèglement du système de régulation du stress peut mener à toutes sortes de syndromes physiques, par exemple la fibromyalgie (douleur généralisée dans les muscles, les ligaments et les tendons, inexpliquée mais souvent consécutive à un stress important, ex. accident ou choc émotionnel). La situation de stress entraîne une surproduction d’hormones du stress. Lorsque ces dernières circulent trop longtemps dans l’organisme, elles causent des dérèglements, entre autres du système de gestion de la douleur.

Il semble aussi de plus en plus acquis qu’un fort taux d’hormones du stress libérées dans le corps, associé à des facteurs tels que prédisposition génétique, mauvaise alimentation et manque d’exercice physique suscite des maladies telles que les affections cardiovasculaires, l’obésité, le diabète de type 2... Un stress durable peut même occasionner de l’ostéoporose, des pertes de mémoire précoces, voire, selon certains chercheurs, un Alzheimer.

Mais peut-on avoir prise sur le stress qu’on nous impose ?

Pour que le stress ne devienne pas incontrôlable, il faut apprendre à le gérer. C’est-à-dire pratiquer la « pensée positive », qui permet de rester plus longtemps en bonne santé et de bien vieillir. Les événements négatifs ont moins d’impact chez ceux qui sont capables de penser « positif ».

Une étude intéressante a été menée dans ce domaine au sein d’un couvent en Amérique. Les religieuse devaient inscrire, au moment de leur arrivée, la façon dont elles voyaient leur vie et leur avenir. Un chercheur a ensuite fait le lien entre le nombre de pensées positives et la durée de vie. Il est arrivé à la conclusion que les religieuses optimistes vivaient en moyenne sept années de plus que les autres !

Ceci tend à montrer que la personnalité joue un grand rôle...

Certainement. On commence à mieux comprendre comment se forme la personnalité. Celle-ci ne remonte pas à la petite enfance; elle est déjà en gestation dans le ventre de la mère. Nous avons désormais la preuve que le système de régulation du stress commence à se développer dans l’utérus et que les hormones du stress chez le bébé sont influencées par le taux de cortisol de sa mère. Si la mère est angoissée à certaines périodes clés de sa grossesse, si elle se débat avec de graves soucis, l’enfant risque de développer un système de régulation du stress plus vulnérable. Après la naissance, des influences précoces jouent un rôle essentiel : la relation mère-enfant, la chaleur du foyer, ...

Le développement des systèmes nous permettant de faire face aux coups durs est sans aucun doute très influencé par ce vécu précoce. Quand on retrace la vie des patients souffrant de stress, on met souvent à jour (mais pas dans tous les cas !) une enfance douloureuse. Je ne dis pas que c’est la cause de tout mais c’est un facteur de vulnérabilité qui rend la personne plus sujette aux affections liées au stress, et cela va de la dépression aux syndromes psychosomatiques au sens large. Ce sont les prédispositions génétiques qui font que tel individu va tomber en dépression et tel autre développer des symptômes physiques.

Que peut offrir la médecine psychosomatique aux patients ?

Nous cherchons les meilleurs moyens d’aider le patient. Tout d’abord, en tâchant de limiter au mieux les plaintes. Personne ne peut vivre en ayant par exemple mal tout le temps. La première approche est donc symptomatique. Nous prescrivons, par exemple, la juste dose d’antidouleurs ou un sédatif permettant de retrouver le sommeil.

Mais il est essentiel que le patient lui-même se prenne en main. C’est lui qui doit faire en sorte de ne pas aggraver son problème en se soumettant à des stress supplémentaires. Apprendre à gerer le stress est un volet important du traitement.

Prenons l’exemple du diabète de type 2 : chacun sait qu’une bonne alimentation et l’exercice physique sont primordiaux dans le traitement. Mais chez quelqu’un qui a en permanence un fort taux de cortisol, par exemple parce qu’il est trop exigeant envers lui-même, le diabète sera beaucoup plus difficile à maîtriser.

Gérer son stress, c’est déterminer pour soi-même la meilleure façon de retrouver un équilibre. Certaines données sont fixes – la personnalité, les circonstances de la vie – mais d’autres facteurs dépendent en grande partie de nous-même, comme la capacité à se prendre en main ou, au contraire, la tendance à se laisser porter.

Dans la majorité des cas, les patients confient leurs plaintes psychosomatiques au généraliste : c’est donc à lui de chercher les problèmes de stress sous-jacents, puis de se demander comment aider le patient. Pour certains, une parole rassurante ou une oreille attentive suffisent, tandis que d’autres auront besoin qu’on les aide à se libérer de leurs tensions. Je songe entre autres aux techniques de relaxation.

En cas de problème plus sérieux et lorsque le patient est motivé, on peut l’inciter à consulter un psychologue ou à se rendre dans un centre de santé mentale, où il apprendra à y voir plus clair et peut-être à comprendre que ses problèmes découlent de son propre schéma mental. En ce sens, la thérapie comportementale cognitive peut apporter une aide non négligeable.

Si le cortisol joue un tel rôle, n’existe-t-il pas un médicament qui régulerait son taux ?

Non, mais tous les psychiatres en rêvent et les laboratoires y travaillent. Cela dit, le cortisol est nécessaire au bon fonctionnement du système de régulation de stress. Trop peu de cortisol n’est pas bon pour la santé non plus. Tout est donc question d’équilibre. Il faudrait découvrir un médicament capable de réguler le taux de cortisol chez les personnes sensibles. Je suis convaincu qu’on y arrivera.

Quelle est la différence entre psychosomatisme et hypochondrie ?

Les hypochondriaques se font souvent une montagne du moindre bobo physique. Cela devient obsessionnel et, à la longue, ils ne pensent plus qu’à cela. Ils ne cessent de consulter leur médecin afin d’être rassurés. Mais ces cas-là restent rares.

L’angoisse aiguise le regard sur soi. Une douleur dans la poitrine fait craindre à l’hypochondriaque un infarctus. Or cette angoisse libère des hormones du stress, augmentant ainsi réellement le risque d’infarctus !

Les hommes et les femmes sont-ils égaux face au stress ?

Quand on compare l’incidence d’affections liées au stress chez les hommes et les femmes, il est clair que les femmes en souffrent davantage. 80 % des patients atteints du syndrome de fatigue chronique sont des femmes.

Ce qui tend à suggérer que les femmes seraient plus vulnérables face au stress. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Certains éléments tendent à prouver que les hormones féminines interviennent aussi.

Il faut savoir en plus que les hommes et les femmes ne souffrent pas du stress pour les mêmes raisons. Les hommes s’angoissent plutôt pour tout ce qui a trait à leurs performances, les femmes pour tout ce qui concerne les relations humaines. Il s’agit à l’évidence d’un système extrêmement complexe au sein duquel de nombreux éléments interagissent. Il suffit de songer aux multiples tâches dont les femmes doivent s’acquitter : le travail, les enfants, les parents âgés, le mari... La société doit prendre ses responsabilités, par exemple en donnant aux femmes l’opportunité de mener de front, et sans stress accru, leur carrière et leur vie familiale.

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Le service des maladies psychosomatiques

Dans certains hôpitaux, des services spécifiques sont réservés aux malades psychosomatiques. Leurs avantages :

  • Toute douleur y est entendue et prise au sérieux
  • Les patients y rencontrent des gens souffrant des mêmes problèmes
  • Ils bénéficient de soins médicaux et psychiatriques appropriés
  • Les patients reçoivent le soutien nécessaire afin de se prendre en mains et de ne pas attendre passivement que la solution vienne du corps médical
  • Les douleurs sont prises en compte de manière holistique, c’est-à-dire tant émotionnelle que corporelle. Le vécu du patient est central
  • On y aide le patient à adapter ce qui peut l’être dans son environnement.

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Apprendre à gérer son stress

Les plaintes psychosomatiques sont un peu le langage du corps. L’influx de stress traduit un élément psychique en élément physique. Certaines techniques permettent de prendre conscience de tensions musculaires ou d’une mauvaise respiration que l’on peut corriger.

  • Les exercices de relaxation permettent de réduire la tension musculaire et le stress global, tout en améliorant la confiance en soi. Pour obtenir de bons résultats, il faut les pratiquer très régulièrement.
  • Les exercices de respiration visent à apprendre à respirer au quotidien par le ventre. Les tensions diminuent, ainsi que la tendance à hyperventiler en situation de stress.
  • La thérapie psychomotrice permet de remonter aux sources des tensions et de se réapproprier son corps.
  • Le fitness permet d’échapper à la spirale de la méforme physique.

Le dialogue peut aussi apporter une aide non négligeable dans la résolution de problèmes émotionnels enfouis.

  • La thérapie comportementale et cognitive fait le lien entre les pensées et les émotions d’un côté et des attitudes bien concrètes de l’autre. Partant de là, on vise à optimiser les comportements positifs et à se défaire au maximum de toutes les attitudes négatives, afin d’améliorer l’assertivité et la confiance en soi.
  • Les thérapies du vécu comme la psychanalyse aident le patient à mettre des mots sur les problèmes à forte charge émotionnelle et ainsi à mieux affronter les problèmes au quotidien.
  • La thérapie systémique permet d’impliquer dans le traitement le conjoint du patient ou une partie de sa famille. Affronter ensemble un syndrome psychosomatique peut contribuer à terme à améliorer les relations sous-jacentes.

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Le cortisol omniprésent

Les chercheurs parviennent à mieux décrypter le système de régulation du stress. Une hormone, le cortisol, y joue un rôle essentiel. Synthétisée par les glandes surrénales, elle permet de maintenir l’effort et de récupérer plus vite. Elle nous aide aussi à rester en alerte et à aiguiser notre attention.

Mais lorsque le taux de cortisol est perpétuellement élevé, comme par exemple chez les grands angoissés, cet excès suscite à terme de l’ hypertension.

Le cortisol mobilise du glucose pour produire de l’énergie en cas de situation conflictuelle ou lors d’un effort inhabituel. Lorsque le taux de cortisol reste élevé, le taux de glucose dans le sang s’élève aussi, augmentant le risque de résistance à l’insuline.

Le cortisol augmente à terme le volume des graisses abdominales et c’est un important facteur de risque d’infarctus.

Les femmes présentant un fort taux de cortisol risquent en outre une décalcification du tissu osseux, qui entraîne l’apparition d’ ostéoporose. On sait ainsi que les femmes ayant souffert de dépressions vers l’âge de 45 ou 50 ans (ce qui s’accompagne d’un fort taux de cortisol) présentent un risque accru d’ostéoporose après la ménopause.

A côté des risques cardiovasculaires et des syndromes métaboliques, les chercheurs se sont aussi penchés sur l’influence toxique qu’un excès de cortisol exerce sur le cerveau. On sait qu’à court terme le cortisol stimule le cerveau et aiguise la mémoire, mais un excès chronique de cortisol a l’effet inverse : les neurones présents dans les structures les plus sensibles, telles que l’hippocampe, peuvent être endommagés. Or l’hippocampe joue un rôle important dans le processus de mémoire.

Chez les dépressifs, on a pu détecter au scanner PET une diminution de la matière grise dans certaines structures du cerveau. Il en ressort que le stress chronique et les longues dépressions mal soignées jouent un rôle dans la dégénérescence du cerveau, donc aussi dans l’apparition de la maladie d’Alzheimer.

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