Les dangers de la surmédication

Dix pilules ou gélules par repas. C’est énorme, mais c’est ce que consomment de nombreux 70 et 80+ Attention aux interactions et à l’accoutumance!

A partir de cinq médicaments différents, on parle de polypharmacie, un phénomène fréquent chez les plus de 75 ans qui prennent en moyenne huit à dix médicaments par jour! C’est beaucoup, mais nombre d’entre eux cumulent parfois trois, quatre problèmes de santé, voire plus », analyse le Dr Stany Perkisas, gériatre.

Ces prescriptions à rallonge sont souvent rédigées par différents spécialistes et, pour le généraliste, il n’est pas facile de conserver une vue d’ensemble. « Souvent, la personne commence à prendre des médicaments, comme les antiacides, en réponse à un problème spécifique, puis elle oublie de les interrompre lorsque cette indication disparaît », pointe Charlotte Eerdekens, pharmacienne. Sans parler de l’automédication en cas de problème ponctuel. « Les gens ne sont pas assez conscients des effets de l’automédication, confirme Lisa, infirmière à domicile. Une de mes patientes âgées a eu des palpitations: elle a cru qu’elle faisait un infarctus, et a pris le médicament pour le coeur prescrit à son mari. Elle s’est sentie vraiment mal, puisqu’elle prenait déjà huit médicaments! Parfois, il arrive aussi que des patients modifient d’eux-mêmes le dosage de leurs médicaments. Ce sont des choses qu’on ne découvre souvent qu’en venant faire des soins infirmiers à domicile. »

LES INTERACTIONS

Les cas de polypharmacie mal encadrés peuvent avoir des conséquences fâcheuses. En effet, certains médicaments interagissent ou se neutralisent. « A chaque nouveau traitement, l’idéal serait de remettre à plat l’ensemble de la médication, » insiste Charlotte Eerdekens. Ces interactions néfastes peuvent se manifester de plusieurs manières. « Nombre de patients présentant des troubles de mémoire prennent aussi un médicament pour un problème de vessie, or on sait que ces médicament sont mauvais pour la mémoire, souligne le Dr. Perkisas. Il faut donc être très prudent! » Parfois, des années d’abus ou de mauvais usage de certains médicaments peuvent impacter la réserve cérébrale, cognitive, et le système nerveux. « Plus un patient prend de médicaments, plus il risque de faire des erreurs. Une personne âgée sur six est admise aux urgences pour cause d’abus de médicaments! »

LA FONCTION RÉNALE ET HÉPATIQUE

« Un organisme âgé assimile les médicaments différemment, constate le Dr. Perkisas. Les personnes âgées sont moins bien hydratés, voire un peu dénutries, ce qui entraîne une concentration plus élevée des principes actifs dans le sang. Pour peu que la fonction rénale ou hépatique soit altérée, les médicaments sont décomposés ou excrétés plus lentement, ce qui peut occasionner des niveaux toxiques. Il faut donc y aller très progressivement quand on prescrit de nouveaux médicaments. »

« Beaucoup de gens consomment aussi des compléments alimentaires qui risquent d’influencer l’effet de certains médicaments ou de provoquer des effets secondaires indésirables, souligne Charlotte Eerdekens. La levure de riz rouge, par exemple, peut avoir les mêmes propriétés et effets secondaires que les statines prescrites contre l’hypercholestérolémie, mais elle n’est pas considéré comme un médicament. Toute modification des habitudes alimentaires risque aussi d’interférer avec la médication. Par exemple, les choux (de toutes sortes) contiennent beaucoup de vitamine K et peuvent donc annuler l’effet des anticoagulants. »

Bien prendre ses médicaments à tout âge

  • Demandez à votre médecin et à votre pharmacien de tenir à jour le calendrier de vos médicaments si vous en prenez plus de 4 par jour. Conservez ce papier sur vous: il est d’une aide précieuse pour les équipes soignantes.
  • Si vous devez prendre un nouveau médicament, notez dans un journal de bord les éventuels effets secondaires que vous remarquez.
  • Demandez à votre pharmacien son avis sur les compléments alimentaires que vous pouvez prendre ou pas avec vos médicaments.
  • Un pilulier peut vous aider ainsi que certaines apps, comme Medapp ou Medisafe, qui vous envoient des avertissements.
  • Buvez de l’eau en suffisance: 1,5 litre par jour. Le manque d’hydratation empêche une bonne absorption des médicaments.

LE PROBLÈME DES SOMNIFÈRES

Les enfants ou les aidants proches ne se rendent souvent pas compte du mauvais usage des somnifères par leur parent âgé. « Alors que je prodiguais des soins au fils dans une maison qui abritait plusieurs générations, la grand-mère m’a appelée, raconte Lisa, infirmière à domicile. Pendant la nuit, elle était tombée et s’était fait très mal au dos. Elle a reconnu avoir pris des somnifères en plus de ses autres médicaments. Ce n’était pas la première fois, mais ses enfants tombaient des nues. Si je n’avais pas été chez eux à ce moment-là, personne ne s’en serait rendu compte! Je lui ai donné des informations sur ses médicaments et lui ai conseillé d’en parler sans tarder à son médecin traitant. »

« Les plus gros soucis d’abus de médicaments concernent les somnifères, suivis des antidouleurs, des calmants et des anxiolytiques », souligne le Dr Perkisas. On estime que 10 à 15% des personnes âgées prennent trop de somnifères. Il s’agit souvent de personnes qui cumulent d’autres soucis, comme de la dépression ou de l’anxiété. « La modification du sommeil chez les personnes âgées joue aussi un rôle. Avec l’âge, on a besoin de moins d’heures de sommeil, or on a tendance à croire qu’il faut dormir huit heures par nuit. Résultat, on pense qu’on dort mal, on prend des somnifères et on développe une accoutumance... »

DES DOULEURS VAGUES OU DIFFUSES

L’abus de somnifères provoque des symptômes plutôt vagues, comme de la confusion mentale, des réactions moins vives, une perte d’appétit, mais aussi des chutes et des troubles de la mémoire qui peuvent faire penser à de la démence. « Les aidants proches ne savent souvent que penser : est-ce un problème de santé, un abus de médicament, un effet de l’âge? Dès qu’un comportement vous inquiète, parlez-en avec votre parent. Formulez vos inquiétudes de manière positive, mais osez mettre des mots sur le problème: « Je m’inquiète, parce que j’ai l’impression qu’il y a un souci avec la façon dont tu prends tes médicaments ». C’est souvent inconsciemment ou par manque d’information qu’on abuse des médicaments. L’exemple type? La prise d’un deuxième somnifère parce qu’on pense que le premier n’a pas fonctionné. La toute première chose à faire est d’aider la personne à se rendre compte du problème. Si c’est difficile, on peut demander au médecin généraliste de faire passer le message lors d’une consultation en famille. Il arrive que les parents refusent d’admettre qu’ils utilisent leurs médicaments à mauvais escient, mais de cette manière vous préserverez la relation avec votre père ou votre mère. »

LA CONSULTATION MÉDICALE

Dans de nombreux hôpitaux, les médecins et les pharmaciens organisent des consultations pour passer en revue les listes de médicaments, parfois très longues. « Nous abordons avec le patient et ses proches la meilleure façon de prendre les traitements, précise le Dr Perkisas. Cela facilite l’étape suivante: éliminer tout ce qui n’est pas nécessaire. » « Sans forcément parler de dépendance, du point de vue psychologique, certains patients ont beaucoup de mal à arrêter un médicament qu’ils prennent depuis des années, insiste Charlotte Eerdekens. Souvent, les personnes âgées angoissent à l’idée de devoir le stopper et redoutent de raviver ou d’aggraver un problème de santé. »

Question: lorsque certains médicaments ont des interactions dangereuses, comment déterminer lesquels sont prioritaires? « La réponse à cette question est individuelle et varie d’un patient à l’autre, souligne le Dr Perkisas. Il faut, par exemple, se demander si une personne âgée qui a tendance à tomber, a intérêt à continuer ses anticoagulants. Nous discutons ouvertement des avantages et des inconvénients de chaque choix avec le patient et sa famille, et nous prenons une décision ensemble. Il est indispensable que les gens sachent exactement quels médicaments ils consomment et aussi comment ils fonctionnent. C’est la meilleure façon d’aider chacun à gérer sa prise de médicaments, de manière autonome, aussi longtemps que possible ».

Sortir de la dépendance

« Nombre de patients ne se rendent pas compte des dangers de l’abus de calmants ou d’antidouleurs, déplore le Dr An Haekens, psychiatre gériatrique. Ce sont des médicaments qu’on commence à prendre pour apporter une réponse ponctuelle à une situation complexe, mais hélas sans suivi. Quand le patient ne fait pas de l’automédication, espérant anesthésier une douleur physique ou émotionnelle. Certaines personnes âgées se découragent, pensent qu’on ne peut plus les aider, alors que leur qualité de vie serait meilleure sans ces médicaments. Une psychothérapie serait tout aussi utile, d’autant qu’elle donne des résultats aussi valables que chez les plus jeunes. Mais, bien souvent, la culpabilité et la honte liés au phénomène d’accoutumance compliquent les choses. Heureusement, on comprend de mieux en mieux que ce problème de dépendance est une véritable maladie et qu’il faut la traiter comme telle. »

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