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L’arbre généalogique médical peut aider à détecter certaines maladies

De plus en plus de maladies ont une origine génétique, c’est une certitude. Retracer un historique familial, à l’aide d’un arbre généalogique médical, peut aider à les détecter plus tôt pour mieux les prévenir ou les soigner.

De nombreuses familles font dresser leur arbre généalogique, dévoilant ainsi leurs origines et leurs lignées au fil des siècles. L’arbre généalogique médical est assez comparable, sauf qu’il est beaucoup plus réduit dans le temps. Ce genre de  » pedigree  » a plus que jamais le vent en poupe, alors que la science est en mesure de relier un spectre toujours plus large de maladies avec la présence de gènes héréditaires. En Belgique, depuis peu, des consultants en génétique collaborent ainsi avec des centres spécialisés. Et leurs consultations font le plein.

« La double mastectomie préventive de l’actrice Angelina Jolie, porteuse d’un gène héréditaire du cancer du sein, a fortement contribué à une prise de conscience, analyse Nathalie Saen, consultante en génétique à l’UZ Antwerpen. Depuis, nous remarquons que de plus en plus de gens viennent nous poser des questions sur les maladies héréditaires.

Pour détecter ce type d’affections, nous commençons par dresser un arbre généalogique médical. On le réalise sur base de ce que la personne raconte sur son propre passé médical et celui de ses proches en ligne directe : parents, frères, soeurs, tantes, oncles, grands-parents, etc. On essaie ensuite de cartographier le tout. Cette approche permet aussi de mettre au jour certains schémas hérités. Une simple esquisse de l’arbre généalogique familial permet parfois de rassurer. Par exemple, si on se rend compte qu’il y a pas mal de cas de cancer du sein dans la famille, mais à un âge avancé, il est peu probable qu’il s’agisse de la variante héréditaire de la maladie. Souvent, des tests génétiques sont nécessaires pour affiner le résultat. « 

DE PLUS EN PLUS D’APPLICATIONS

Le nombre de maladies qui peuvent faire utilement l’objet d’un arbre généalogique médical ne cesse de croître. De plus en plus spécialisations médicales sont concernées.  » On sait désormais qu’une composante génétique peut entrer en ligne de compte dans plusieurs cas de cancers : du sein, de la prostate, des ovaires et du côlon.

En cardiologie, dresser un arbre généalogique peut avoir du sens en ce qui concerne l’hypercholestérolémie familiale, certaines arythmies cardiaques et malformations du coeur. Ou pour certaines démences, comme la démence frontotemporale et la démence précoce, dans le cas de la mucoviscidose, de certains retards mentaux, de troubles de la fertilité, etc. « 

Dresser un arbre généalogique médical se révèle encore plus important pour les personnes concernées par des maladies rares ou orphelines, dont on sait finalement peu de choses.  » Elles se sentent souvent très isolées. Se pencher sur l’historique médical de leur famille peut révéler des informations intéressantes et, par exemple, aider un couple qui souhaiterait avoir un enfant ou contribuer à trouver des solutions de traitement « , précise Nathalie Saen.

DRESSER SON ARBRE

 » Nous partons toujours d’une question concrète du patient et composons son arbre pas à pas. Il est crucial de filtrer les bonnes informations. On se concentre sur les données médicales utiles dans le cadre d’affections héréditaires. On ne retient donc pas une opération de l’appendice. Mais on veille à poser des questions très larges, dépassant la maladie elle-même, et on prend en compte tous les phénomènes qui peuvent avoir une signification.

Il arrive que certains soucis de santé que la personne pensait sans aucun lien, comme l’asthme, un retard mental congénital, le diabète à un jeune âge, etc., soient pourtant pertinents. S’il y a eu un décès subit au sein de la famille, nous voyons avec le spécialiste s’il y a lieu de creuser la question ou pas. Car ce genre d’événement peut indiquer des malformations cardiaques héréditaires qu’on pourrait détecter chez d’autres membres de la famille. « 

La plupart des informations médicales viennent de la personne elle-même.  » Nous nous efforçons de les vérifier, dans la mesure du possible, grâce aux rapports médicaux des généralistes et des spécialistes. Il faut, bien sûr, disposer d’une autorisation pour consulter les dossiers médicaux. Y compris pour les informations génétiques. En général, les membres de la famille sont prêts à jouer cartes sur table, car ils en voient l’utilité. Parfois, les plus âgés ont un peu plus de mal : il reste des tabous. Dans le temps, on se contentait de dire  » Mamy a quelque chose au ventre « , en esquivant ainsi tout diagnostic précis. Mais cela brosse déjà un schéma de l’histoire médicale d’une famille.

Nous puisons très peu d’éléments dans les anciens dossiers médicaux des médecins (de famille). A l’époque, on n’archivait quasi rien, ou alors pour un temps limité. Nombre de cliniques ont fermé ou ont été reprises, ce qui explique que pas mal de dossiers aient disparu. Désormais, grâce à la numérisation des données, les recherches devraient être plus faciles. « 

Etre porteur des mêmes gênes héréditaires qu'Angelina Jolie, augmente le risque de développer un cancer de 80%.
Etre porteur des mêmes gênes héréditaires qu’Angelina Jolie, augmente le risque de développer un cancer de 80%.© PHOTOS GETTY IMAGES

PLUSIEURS TESTS

La consultation génétique peut se dérouler de plusieurs façons. Pour les personnes concernées par une maladie potentiellement héréditaire, on propose des tests diagnostic afin de détecter des gènes précis.  » Pour le cancer du côlon, il faut contrôler un échantillon de tissu tumoral. Mais nous menons aussi des tests sur les personnes saines qui signalent telle ou telle maladie héréditaire dans leur famille, afin de déterminer si elles sont porteuses du gène ou non. Ce test présymptomatique se fait via une simple prise de sang. Parfois il faut y ajouter une IRM du cerveau, des radiographies des mains et des pieds en cas de souci de croissance, une échographie du coeur... Tout dépend de la maladie en question. « 

Etre porteur d’une mutation génétique peut avoir des conséquences diverses.  » Dans le cas du gène Angelina Jolie, on court 60 à 80 % de risque d’avoir un cancer du sein et/ou un risque accru de cancer des ovaires. Ce qui veut dire qu’il ne se passera rien dans 20 à 40 % des cas, mais c’est impossible à prédire. Il peut sembler injuste que le gène fautif saute une génération. En revanche, avec d’autres mutations, la maladie de Huntington par exemple, on est sûr à 100 % de développer la maladie. « 

UNE CHARGE ÉMOTIONNELLE FORTE

L’arbre généalogique médical compte de nombreuses branches sur lesquelles des gènes peuvent transmettre des maladies d’une génération à l’autre.  » C’est une démarche qui peut être très chargée émotionnellement. Savoir que votre enfant a hérité votre rousseur ou vos yeux bleus, c’est autre chose que de découvrir qu’il porte en lui un gène pathogène. On a tendance à culpabiliser, même si on n’y est pour rien. Cela suscite de pénibles interrogations : une femme enceinte dont le petit frère était mort enfant se torturait, se posant des tas de questions. Ses parents avaient choisi de ne pas en parler. Pour exclure tout risque de maladie héréditaire, il faut parfois remuer le passé. C’est douloureux mais si cela permet d’éviter que l’histoire se répète, par exemple en pratiquant un diagnostic préimplantatoire (ou embryoscreening), cela peut être un énorme soulagement. « 

EN CAS DE MAUVAISE NOUVELLE...

Si les tests sont positifs et qu’il y a un problème héréditaire, il arrive que plusieurs membres d’une famille soient touchés.  » Nous ne pouvons discuter de la mauvaise nouvelle qu’avec la personne venue nous consulter. On l’invite naturellement à en parler à sa famille. Il arrive que le message soit délicat à transmettre ou que les liens familiaux soient distendus. Dans ce cas, nous pouvons rédiger un courrier familial reprenant les informations médicales mais, là encore, c’est la personne concernée qui doit le transmettre à ses proches. « 

« L’annonce du diagnostic provoque des réactions variées. Lorsqu’on n’est pas porteur mais qu’on découvre que son frère ou sa soeur l’est, on peut se sentir coupable. Cela peut même déchirer certaines familles. L’accompagnement est donc très important. « 

Tout dépend aussi de l’âge ou de la phase de la vie.  » Le choix de détecter une origine génétique au cancer du sein ne sera pas le même chez une jeune femme de 18 ans, pour qui cela paraîtra encore lointain, chez une femme de 32 ans qui veut des enfants, chez une femme de 50 ans ménopausée ou chez une femme de 65 ans. Un gène mis en cause peut concerner toutes les femmes d’une famille, d’où l’importance d’un bon encadrement et d’une explication claire des résultats.

Dans le cas du cancer du sein, savoir permet de réagir : par exemple en se faisant contrôler plus souvent ou dès un jeune âge, voire de subir une mastectomie préventive. « 

ET EN CAS DE MALADIE INCURABLE ?

Pour nombre de maladies, la détection d’un gène en cause peut donner lieu à une action préventive pour éviter bien des souffrances familiales. Mais ce n’est pas toujours possible. Certaines affections, comme la maladie de Huntington, la sclérose latérale amyotrophique (SLA), certaines formes de démence... sont héréditaires et très difficiles à traiter. Que faire en pareil cas ?

 » Il est important d’avoir le choix de se faire tester ou pas, et donc de déterminer si on veut savoir ou non. Cela peut être très long et donner lieu à des choix cornéliens. Surtout dans le cas de maladies dégénératives incurables qui n’offrent que de sombres perspectives.

Certains trouvent insupportable de ne pas savoir, d’autres hésitent face aux conséquences. Nous offrons toujours un accompagnement psychologique. Parfois la personne peut participer aux recherches médicales, ce qui aide. »

DÉTECTER UN CANCER DU SEIN HÉRÉDITAIRE

Maria, 60 ans, a consulté pour la question suivante : sa famille estelle concernée par une forme héréditaire de cancer du sein ? Les tests de détection commencent avec elle. A 45 ans, elle a appris qu’elle avait un cancer des deux seins. Et on a découvert que sa fille, 32 ans, avait aussi un cancer du sein. S’agit-il d’une variante génétique ? Pour le savoir, on dresse l’arbre généalogique médical de la famille.

Une soeur de Maria, Claire, 62 ans, est saine. Son frère a eu un cancer de la prostate à 55 ans. Une autre soeur, 68 ans, a eu un cancer du sein à 67 ans. Au fil des questions, on se rend compte que le père, décédé, a eu, lui aussi, un cancer du sein à 60 ans. La grandmère du côté paternel avait une  » grosseur dans le ventre « , ce qui pourrait indiquer un cancer des ovaires. Trois cancers assez précoces, dont un très rare cancer du sein masculin, constituent autant signaux d’alarme. On lance donc des tests.

Résultat : 3 des 4 enfants ont hérité de leur père le gène BRCA1. Sachant cela, les (petits-)enfants vont pouvoir passer des tests à temps. La soeur saine n’est pas porteuse, ce qui signifie que ses enfants n’ont pas hérité du gène.

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