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Fruits et légumes: quand moche rime avec bonne pioche

En général, les fruits et légumes qui ne répondent pas aux critères esthétiques sont donnés aux animaux ou jetés. Pourtant, de plus en plus d’initiatives voient le jour pour les sauver de la destruction.

Fruits et légumes: quand moche rime avec bonne pioche
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Il ne faut pas juger sur les apparences, dit le dicton. Cela vaut également pour les fruits et légumes aux formes biscornues. Depuis la réhabilitation des légumes oubliés – panais, betteraves, navets, etc. -, on observe un nouveau phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur : les exemplaires délaissés ou déclassés, autrement dit les fruits et légumes aux formes imparfaites, retrouvent peu à peu une place de choix dans notre alimentation. Ce phénomène s’inscrit dans une tendance plus générale, à savoir la sensibilisation au gigantesque gaspillage alimentaire au niveau mondial. Une mauvaise habitude dont les fruits et légumes sont les principales victimes.  » J’ai été révoltée d’apprendre qu’environ un tiers de la production alimentaire n’est jamais consommée, voire atterrit dans nos poubelles « , raconte Marijke De Jongh de Rekub, une initiative qui organise la récupération des surplus alimentaires dans les supermarchés et les commerces locaux.

Tailles idéales

Une des raisons de ce gaspillage de fruits et légumes pourtant parfaitement comestibles sont les critères de qualité esthétique qui imposent pour bon nombre de produits des normes de couleur, de forme et de dimensions idéales. Concombres tordus, carottes trop grosses et autres légumes hors calibres n’arrivent jamais dans les rayons.  » Plus de deux tiers des agriculteurs se voient ainsi privés d’une partie de leurs revenus, analyse Evelien Lambrecht qui a participé à une nouvelle étude de l’Université de Gand. Ces petites malformations sont généralement dues aux caprices de la météo. Plus de la moitié de ces exemplaires biscornus n’est pas récupérée pour d’autres utilisations et sont retirés de la chaîne de la consommation humaine. Ils sont utilisés dans l’alimentation animale, compostés ou tout simplement laissés en champ. « 

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Ces critères esthétiques trouvent leur origine dans le souci d’assurer la logistique et la vente. Les fruits et légumes hors normes sont plus difficiles à conditionner dans un emballage standard, ce qui occasionne des frais supplémentaires. Par ailleurs, les consommateurs privilégient les formes parfaites.  » Quand les légumes aux formes biscornues côtoient des produits plus présentables, la vente s’en ressent. Non seulement les moins beaux exemplaires sont généralement laissés pour compte, un bac contenant des produits disparates se vend aussi moins bien que lorsque tous les légumes ont la même forme et la même couleur « , confie Roel Dekelver de Delhaize, la chaîne de supermarchés qui propose depuis quelques années des caissettes de légumes biscornus.

Le gaspillage est le fait des producteurs et des distributeurs de fruits et légumes mais aussi des consommateurs. Selon certaines sources, le gaspillage alimentaire s’observe aussi et surtout à la maison, dans nos poubelles.  » Nos revenus augmentent et comparativement, nos dépenses en denrées alimentaires représentent une part moins importante de notre budget qu’avant, constate Evelien Lambrecht. On a donc moins de scrupules à jeter la nourriture. Ce qui n’était pas du tout le cas il y a quelques générations. Les familles faisaient alors beaucoup plus attention à ne pas gaspiller. Pas question de bouder les pommes tachées ou les légumes un peu bizarres. « 

Super aliments?

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Derrière des apparences peu appétissantes pourraient se cacher des super aliments, selon certains chercheurs. La productrice de fruits, fermière et consultante américaine Eliza Greenman a découvert que les pommes difformes étaient souvent plus saines et plus riches en nutriments. Une cicatrice sur un fruit serait révélatrice d’un exemplaire robuste qui a dû se battre pour pousser et contient de ce fait davantage d’antioxydants. Eliza Greenman a réalisé une étude sur les pommes aux conclusions pour le moins étonnantes : les exemplaires défigurés par de petites entailles ont une teneur en sucre nettement plus élevée que les belles pommes du même arbre. Même constat pour les raisins.  » Le stress détermine la forme et le goût d’une pomme. Quand nous mangeons ces pommes légèrement abîmées ou mal formées et absorbons leur forte concentration en bons nutriments, nous activons nos propres mécanismes de défense « , affirme le microbiologiste Dr Martin Pall (Washington University).

Pourquoi pas vous?

« La récupération des fruits et légumes, cela commence à la maison, souligne Annemie Morris de l’association flamande KVLV. Les plus de 50 ans donnent le bon exemple. Résolument anti-gaspi, ils ont les connaissances culinaires nécessaires pour accommoder les restes. La cuisson à la chaîne par exemple consiste à travailler les gros légumes, comme le céleri ou le chou, dans différents plats plusieurs jours d’affilée.  » La plus grande association de femmes du pays effectue depuis des années un travail de pionnier dans ce domaine, publie des brochures très tendance et organise des cours comme par exemple la cuisine zéro déchets ou le recyclage des restes.  » Cette tradition remonte à la Seconde Guerre mondiale, avec la publication par l’organisation d’un livre de recettes spécial sur l’art de préparer un repas roboratif avec le peu d’ingrédients disponibles. « 

Cette approche a été actualisée et propose aujourd’hui des solutions créatives pour accommoder des ingrédients moins évidents comme les tiges, les épluchures, les feuilles, les nervures et d’autres déchets verts.  » Notre premier livre de recettes a ouvert les yeux à pas mal de consommateurs, surpris de constater que même les nervures de chou-fleur, les épluchures de pommes de terre et les fanes de radis pouvaient avoir du goût. L’intérêt ne cesse de croître, y compris pour les anciennes techniques de conservation comme la fermentation, à en juger d’après le succès de nos ateliers. Plus tellement par nécessité mais parce que le consommateur prend conscience de l’énorme impact du gaspillage alimentaire sur l’environnement. « 

Belges et non conformes

Depuis quelques années, de nombreuses initiatives voient le jour afin de tester le pouvoir de séduction des fruits et légumes dit moches. Une des actions les plus connues est la caissette de drôles de légumes commercialisée par les chaînes de supermarchés Delhaize et Albert Heijn.  » Ce concept durable venu de l’étranger tente de démontrer que les légumes non standardisés sont aussi goûteux et qualitatifs, et donc tout à fait consommables, avance Roel Dekelver de Delhaize. Nous collaborons avec un fournisseur qui récolte les légumes difformes chez les agricultures. D’avril à septembre, quand la saison des légumes belges bat son plein, ils sont vendus à un prix moindre que leurs congénères aux formes irréprochables. La composition des cassettes varie en fonction de l’offre et de la saison mais reprend exclusivement des légumes belges non conformes. L’an dernier, nous avons ainsi recyclé pas moins de 15 tonnes de végétaux pour la consommation humaine. La première action était relativement modeste. Les clients belges, assez conservateurs, ont du mal à renoncer aux formats classiques mais ils sont de plus en plus nombreux à (re)découvrir les avantages des drôles de légumes. Ces actions seront sûrement réitérées et pourraient être élargies aux fruits. « 

Fruits et légumes: quand moche rime avec bonne pioche
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Sauces dips et crackers

La jeune entrepreneuse gantoise Helena Gheeraert et sa start-up Wonky ont pour objectif de récupérer les légumes déclassés en les utilisant dans la préparation de sauces dips fraîches.  » À force de préparer dans ma cuisine de délicieuses sauces aux légumes avec les restes du frigo, je me suis dit qu’il y avait moyen de faire pareil avec des volumes plus importants. Je me suis directement adressée aux sociétés de découpe pour racheter les restes de production. Ces sociétés détaillent en petits dés formatés les légumes venus en droite ligne des champs pour les congeler ou les mettre en conserve. Elles se retrouvent avec de nombreux déchets de qualité qui ne répondent pas aux critères esthétiques, comme les bouts de carotte et de poivron, ou des légumes tachés qui ne peuvent être découpés en petits dés de dimension parfaite. Ces déchets de légumes servent normalement d’aliments pour les animaux ou de biomasse à incinérer. Nous les utilisons pour préparer des produits goûteux et de qualité. Pour le moment, notre production se limite à deux sauces dips à base de carottes et de poivrons récupérés. Nous projetons de préparer des crackers et du granola à base de pulpe de légumes utilisés dans des jus. Nous voulons ainsi conscientiser le consommateur de l’utilité des légumes récupérés. Notre démarche sert aussi la lutte contre le gaspillage alimentaire. Le consommateur a tendance à délaisser les pommes tachées et les concombres tordus. D’où ce cercle vicieux : les supermarchés ne les proposent plus à la vente. « 

Le miracle pop-up

Fruits et légumes: quand moche rime avec bonne pioche
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Des organisations telles que Rekub et la société bruxelloise Eatmosphere s’y prennent encore autrement. Rekub a développé une application gratuite qui permet de savoir quels magasins des environs proposent des aliments dont la date de péremption est bientôt dépassée. Pour permettre au consommateur de les sauver de la poubelle tout en réalisant une belle économie.  » Cette initiative, qui connaît pas mal de succès dans quelques grandes villes, devrait être prochainement développée. Le tabou des légumes un peu moins beaux et des produits proches de la date de péremption a tendance à disparaître « , se réjouit Marijke De Jongh. L’été dernier, nous avons expérimenté un restaurant pop-up qui travaille exclusivement les fruits et légumes déclassés. Le succès était tel que l’initiative sera bientôt pérennisée à Anvers. Dans son restaurant Mary Pop-in, Eatmosphere cuisine exclusivement des fruits et légumes récupérés.

Avez-vous déjà songé à...

– La soupe aux rogatons. Pendant une semaine, gardez les feuilles et les tiges des légumes que vous préparez (chou-fleur, persil, pourpier, ...) et conservezles dans un grand récipient en plastique au frigo. Ajoutez éventuellement une pomme de terre, quelques choux de Bruxelles ou d’autres petits restes et vous obtenez une soupe délicieuse.

– La pâte de légumes à tartiner. Les restes de légumes font parfaitement l’affaire. Mixez les pieds de brocoli, les petits pois ou d’autres légumes tendres avec un peu de yaourt ou du fromage pour préparer une pâte à tartiner onctueuse.

– Une assiette de dégustation. Vous avez souvent de petits restes ? Surgelez-les. Le jour où vous aurez la flemme de cuisiner, il suffit de les dégeler pour confectionner une assiette de bouchées variées.

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