© MICHÈLE FRANCKEN

Elles nous parlent à coeur ouvert de « leur » cancer

À l’origine, Mania Van der Cam voulait juste vendre les accessoires « cancer » dont elle n’avait plus besoin. Cela s’est finalement transformé en une séance photo de plusieurs femmes qui ont leur propre histoire à raconter sur cette maladie.

« Après mon traitement, il me restait plein d’accessoires « cancer » devenus inutiles. Comme je savais que d’autres femmes touchées par un cancer en avaient sans doute besoin et que d’autres ex-patientes devaient aussi vouloir se débarrasser de certaines affaires utiles pendant leur maladie, j’ai eu l’idée de créer un webshop de seconde-main où les vendre à prix très doux, raconte Mania Van der Cam. Soigner un cancer coûte une fortune, même lorsqu’on est bien assuré. Pour lancer le webshop, j’avais besoin de photos. C’est ainsi que j’ai contacté la photographe Michèle Francken. Ensemble, avec un ami coiffeur et une styliste, nous avons réalisé un reportage photo gratuit pour quelques femmes qui ont vaincu le cancer. J’aimerais beaucoup compiler ses photos et leur histoire dans un livre. D’ici l’été, je rêve de réaliser une photo de groupe sur une plage, avec une centaine de femmes touchées par un cancer qui ont posé pour Michèle Francken. »

Infos : Facebook: Share4Life

Mania van der Cam, 51 ans, a eu un cancer du sein il y a deux ans

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L’histoire de mon cancer remonte à un city-trip à Barcelone. Sous la lumière du miroir de l’hôtel, j’ai remarqué un pli sur le côté d’un de mes seins. En voyant qu’il ne disparaissait pas, j’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. Pourtant, ma dernière mammo était rassurante.

Une fois rentrée, j’ai attendu une semaine avant d’aller chez le médecin. Sans doute l’angoisse qu’on m’annonce une mauvaise nouvelle. On a trouvé huit tumeurs dans mon sein, y compris à l’aisselle. J’ai donc subi une mastectomie. Certaines tumeurs demeurent totalement invisibles lors d’une mammo standard. C’est le cas pour les femmes aux seins fibreux ou denses. En pareil cas, mieux vaut faire une IRM. J’ai eu la chance qu’une des tumeurs ait affleuré ! On m’a fait des chimios et des rayons. Rayons qui m’ont causé de graves brûlures. Les médecins ont voulu suspendre le traitement mais j’ai refusé. Grâce à mon compagnon, cuistot, je m’en suis sortie. Il a l’habitude des brûlures profondes et m’a si bien soignée que j’ai pu continuer les rayons. C’est au moment où je me sentais le plus démoralisée qu’il m’a demandée en mariage. Je lui ai dit oui mais je voulais attendre la chirurgie reconstructrice. L’été dernier, nous avons pu nous marier...

L’opération, avec des tissus prélevés sur mon ventre, ne s’est pas bien passée. Il a fallu recommencer. Il me reste du chemin à parcourir, mais ma poitrine a retrouvé une certaine symétrie. En tout cas, il en est sorti un projet très positif : Share4life, des shootings photos que nous organisons pour des patientes atteints ou en rémission. Personnellement, je sais ce que ce genre de reportage photo peut apporter. Aujourd’hui, je me sens plus belle qu’avant. Je me dis : J’y ai survécu, ça n’est pas rien ! C’est un message que je veux partager avec d’autres femmes. Malgré les lourds traitements, les effets secondaires et les cicatrices, nous restons belles.

Jasmine Sellier, 64 ans, a eu un cancer colorectal voici un an

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On m’avait conseillé de passer une endoscopie après un doute lors du dépistage du cancer du côlon. J’étais juste à la veille d’un important événement artistique et j’ai décidé de post-poser l’examen après le vernissage. Même si j’étais très fatiguée et que je venais de suivre un traitement contre le syndrome de fatigue chronique. Aujourd’hui je sais que cette fatigue est un des symptômes du cancer colorectal.

Je souffrais d’un tumeur assez rare, mais le pronostique était bon: entre 75 et 95 % de chances de survie. Je n’ai pas vraiment eu le temps de discuter de l’après avec les médecins. J’ai été prise dans un maelström de traitements agressifs. La perspective de me retrouver malade et épuisée pendant des mois m’a donné envie de me lancer dans un projet réalisable depuis mon canapé. Via Facebook, j’ai lancé un appel pour recevoir des chutes de laine, afin de tricoter des écharpes et des bonnets pour les sans-abri, mais aussi pour les enfants victimes de la route. Cela m’a apporté énormément sur le plan humain et j’ai noué ainsi de nouvelles amitiés.

Après le traitement intensif, cela a été le calme plat. Ce n’est qu’alors que je me suis rendu compte de la gravité de mon cas et que j’ai eu le temps de réfléchir. Ma forme physique était à zéro. Lors des séances de revalidation, j’ai rencontré des gens au parcours un peu semblable. Principalement des femmes qui ont eu un cancer du sein. Sauf que leurs préoccupations étaient loin des miennes. Chez moi, on ne remarque rien. Mais les rayons m’ont abîmé toute la zone pubienne et le vagin. Avec des périodes d’incontinence.

Comme ma tumeur était très rare, je ne pouvais pas échanger avec des femmes qui avaient vécu exactement la même chose que moi. Petit à petit, je reprends la sculpture, mon métier. Je ne suis pas encore totalement guérie, mais avec mon mari et ma meilleure amie, j’ai réussi à parcourir 5 km avec un oiseau de proie. Un pur moment de bonheur!

Claire de Coster, 71 ans, a eu un cancer des ovaires il y a trente ans

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On m’avait opérée pour un kyste bénin sur une trompe de Fallope et je me suis réveillée en apprenant que je souffrais d’une tumeur agressive. Et l’autre ovaire semblait touché par une grosseur qui commençait à faire des métastases. J’avais quarante ans, deux enfants et un super métier d’enseignante. Le sol s’est dérobé sous mes pieds. J’étais si mal que j’ai commencé à rédiger mon de testament. Dans ma tête, je m’étais même mise à chercher une autre mère pour mes enfants.

On m’a réopérée pour me retirer l’utérus et les trompes de Fallope. Puis j’ai eu six mois de chimio et une ménopause précoce. J’ai essayé de cacher ma maladie à mes enfants, trop jeunes pour y être confrontés. Je n’ai pas pu compter sur le soutien de mon mari mais j’étais très entourée par des amies et des collègues. Quand j’ai été déclarée guérie, ce ne fut pas l’euphorie mais un trou noir. Je m’étais concentrée sur ma guérison et là, tout à coup, plus rien. Mes amis ont essayé de me remonter le moral. Combien de fois n’ai-je pas entendu que la vie après un cancer prenait encore plus de couleurs. Mais j’avais énormément de mal à m’en rendre compte à ce moment-là. Mon mari a décidé de mettre un point final à notre mariage. Après le cancer, c’était une autre grosse claque. Pas à pas, j’ai tout surmonté et j’ai retrouvé l’amour avec celui qui est aujourd’hui mon mari. Cela a vraiment été un nouveau départ.

Aujourd’hui encore, je suis à l’affût du moindre signe de changement dans mon corps: mal de gorge, petits boutons ou effet secondaire d’un médicament... et l’angoisse me reprend. La relation que j’entretiens avec mon corps a changé. Je me rends compte que je dois beaucoup plus m’écouter. Je me pose aussi la question de savoir pourquoi j’ai eu un cancer, moi qui ai toujours fait si attention à ma santé? Peut-être est-ce parce que je n’étais pas pleinement heureuse et que je refoulais trop de sentiments?

Claire Tillekaerts, 62 ans, a eu un cancer du sein il y a quinze ans

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J’ai toujours parlé franchement de ma maladie. Et pendant le traitement, je n’ai pas porté de perruque parce que je n’aime pas les artifices. On ne trouvait pas encore de chapeaux sympas ou de foulards stylés, mais mon beau-frère, propriétaire d’une chapellerie m’a aidée.

Il y a quinze ans, quand j’ai senti quelque chose dans mon sein, je ne me suis pas alarmée. J’ai pensé à un kyste bénin. On m’avait déjà fait plusieurs ponctions... Je ne pensais pas à un cancer. Pourtant, ma grand-mère en était morte et je me rappelle l’angoisse de ma mère à l’idée d’en avoir un, elle aussi. Huit mois plus tard, j’ai été dans une clinique du sein. On m’a trouvé une tumeur de 2,2cm. J’ai subi une opération, une chimio, des rayons et cinq ans de thérapie anti-hormonale, le pire de tout. Mais je n’ai jamais arrêté de travailler. Je dirigeais alors le service juridique de la Haute École de Gand. Je n’ai pris congé que pendant ma semaine de chimio. Mes collègues ont été formidables quand ils ont appris ce qui m’arrivait. Je ne me voyais rester chez moi à broyer du noir...

J’ai été veuve très jeune et je me suis retrouvée seule avec mes deux filles, encore très jeunes aussi, quand j’ai eu le cancer. Je m’inquiétais surtout pour elles. La pensée de les laisser orphelines me torturais. Mes filles savaient ce qui se passait mais je ne leur ai rien dit des risques et du traitement. Pour moi, cet épisode de cancer n’a rien changé fondamentalement dans ma vie. Je suis d’une nature pragmatique et c’est ainsi que j’ai réagi. Je me suis dit : il y a un problème, tâchons de le résoudre. Je ne dis pas que c’est la réaction idéale, mais voilà. J’ai essayé de continuer à vivre le plus normalement possible.

Je suis toujours positive quand je fais mon contrôle annuel. Je reste zen. Je n’ai pas l’angoisse de la mort. A force de trop focaliser sur son corps, on trouve toujours « quelque chose » qui ne va pas...

Greet de Leenheer, 72 ans, a eu deux cancers du sein

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Par deux fois, le cancer a complètement bouleversé ma vie. Mais différemment. La première fois, j’avais 50ans et l’esprit combatif. Je n’ai pas voulu de demi-mesure et j’ai opté pour une mastectomie. Mais se voir après une opération de ce type, c’est une sacrée épreuve. Là où se trouvait mon sein ne restait qu’une grande cicatrice. Dès mon retour de la clinique, ça a été. Le jour même, je nettoyais mes vitres!

Mais le lendemain de ma sortie de l’hôpital, mon compagnon m’a froidement annoncé qu’il me quittait, car il ne supportait pas de me voir diminuée. J’ai sombré dans une profonde dépression. Je pouvais supporter la lourdeur du traitement mais pas l’idée d’être rejetée parce qu’il me manquait un sein. Ma famille et mes amis ont essayé de me soutenir, mais je restais au fond du trou. Il a fallu l’aide d’une psychologue pour m’en sortir....

Lorsque, huit ans plus tard, on a découvert une grosseur dans mon autre sein, ma première pensée a été : heureusement que je suis seule. J’ai d’ailleurs récupéré beaucoup plus vite, sans blessures émotionnelles. Mais la reconstruction mammaire, réalisée avec mes propres tissus, s’est mal déroulée. Là où mon premier cancer a été très dur mentalement, le second l’était physiquement. On a dû me réopérer plusieurs fois avec des succès variables. Aujourd’hui, j’ai encore une différence de hauteur entre les seins...

Mon expérience m’a appris qu’on ne doit pas hésiter à s’informer et oser demander au moins deux avis différents. Il y a tant d’effets secondaires et de risques dont on ne vous dit rien. Le traitement a beaucoup influencé mon équilibre hormonal. Pour le gynécologue, c’était normal. C’est un endocrinologue qui m’a aidée.

La maladie m’a rendue plus sûre de moi. Je n’accepte plus si facilement ce que les médecins me proposent, j’ose remettre les choses en question. »

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