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Consommer de l’alcool, oui, mais pas n’importe comment

Julie Luong

Sans être alcoolo-dépendants, au moins 1 million de Belges boivent trop, trop vite, pour de mauvaises raisons ou au mauvais moment. Voici comment redonner à chacun le pouvoir d’une consommation éclairée.

Aujourd’hui, on parle de sexe sans problème mais l’alcool est devenu complètement tabou », remarque Thomas Orban, co-auteur avec Vincent Liévin du récent ouvrage Alcool: tout ce qu’on ne vous a jamais dit (éditions Mardaga, 2022). Médecin généraliste et alcoologue, Thomas Orban sait à quel point les soignants hésitent encore à aborder la question de l’alcool en consultation alors que de nombreux problèmes – troubles digestifs, hypertension, chutes, problème de sommeil, dépression, risques de certains cancers comme le cancer du sein... – peuvent y être liés. Alors que demander à un patient s’il est fumeur est devenu une question de routine, il est beaucoup plus rare que le sujet de l’alcool soit évoqué.

Pourtant, une consommation trop fréquente et/ou excessive a des répercussions importantes sur la santé psychique et physique. En effet, si on a longtemps évoqué des effets potentiellement bénéfiques sur la santé (en particulier cardiovasculaires) d’une consommation modérée d’alcool, ces données sont aujourd’hui battues en brèche. « Les arguments santé ne tiennent pas la route. L’alcool est un poison pour le corps, confirme Thomas Orban. En revanche, je dis souvent à mes patients que l’alcool est en effet un super produit: c’est un lubrifiant social et un antistress qui a de formidables propriétés et conséquences... mais son usage régulier exagéré, c’est-à-dire son mésusage, a beaucoup de conséquences aussi!  »

Parfois utilisé pour calmer l’anxiété, apaiser les symptômes dépressifs, la douleur chronique ou combattre l’insomnie, l’alcool va à long terme accentuer l’ensemble de ces symptômes, installant un cercle vicieux. Il est donc bon de savoir, au minimum, à quels risques on s’expose. « 1 million de Belges sont concernés par un mésusage d’alcool mais seulement 250.000 ou 280.000 sont alcoolo-dépendants « , précise Thomas Orban. Nul besoin donc d’être « alcoolique  » pour avoir un problème avec l’alcool...

Génétique et société

Pour le spécialiste, il est urgent de sortir d’une vision moralisatrice du problème: comment est-il possible qu' »alcoolique » soit devenu une insulte alors qu’il s’agit surtout d’une maladie, largement favorisée par la société et par des prédispositions génétiques? Certaines études montrent en effet que les gènes ont une responsabilité de 40 à 60% dans la maladie de l’alcool. Il est donc intéressant de se pencher sur son arbre généalogique car il existe souvent des lignées d’hommes ou de femmes alcooliques dans une même famille. Bien sûr, il n’y a pas de fatalité!

1 million de Belges sont concernés par un mésusage d’alcool mais seuls 250.000 sont dépendants!

Connaître ses fragilités permet au contraire d’avoir plus de cartes en main pour se préserver. « Le fils d’un alcoolodépendant a 4 à 7 fois plus de risques d’être alcoolo-dépendant lui aussi, la fille d’une mère alcoolo-dépendante 3 à 4 fois plus », rappelle Thomas Orban. Il n’est pas rare non plus de retrouver chez la personne avec des problèmes d’alcool des antécédents de violences, de traumatismes ou de négligences. Boire excessivement n’est donc pas simplement la conséquence d’un manque de volonté mais le résultat d’une histoire complexe.

L’environnement social joue lui aussi un rôle majeur. Alors que dans nos sociétés, la cigarette a été progressivement bannie des cafés, des restos, des réunions de famille, du travail, de la publicité et des films, il n’en va pas du tout de même pour l’alcool. « Nous sommes dans des sociétés très alcoolisantes, poursuit Thomas Orban. On a coupé les ailes aux cigarettiers, mais on a laissé celles des alcooliers complètement libres. Et ils ont réussi à nous faire croire qu’il n’y avait pas de fête réussie sans alcool. Aujourd’hui, en termes de santé, beaucoup de personnes réclament leur liberté à disposer d’elles-mêmes sans se rendre compte que de ce côté-là, il y a un vrai lavage de cerveau! Il y a partout du placement de produits qui échappent à la réglementation.« 

Pas de profil type

Les personnes présentant un problème d’alcool ressemblent à toutes les autres. Il peut s’agir d’un père de famille trentenaire totalement abstinent la semaine mais qui s’enivre systématiquement le week-end. D’une working girl qui boit tous les jours une bouteille en rentrant du bureau. D’un jeune qui, une fois qu’il commence, est incapable de s’arrêter. D’un retraité qui boit au bar du coin pour tuer l’ennui. D’un couple dans lequel l’alcool est devenu un élément central. Il n’y a en réalité pas de profil type! Et ce n’est pas parce que la consommation prend des allures socialement acceptables qu’elle est moins nocive... « Le binge drinking, qui consiste à consommer en deux heures de cinq à sept unités d’alcool pour s’enivrer plus vite, n’est pas qu’une pratique de jeunes. Si vous observez ce qui se passe dans un restaurant, vous pourrez constater que c’est aussi une pratique qu’on observe fréquemment chez les 45-65 ans« , note Thomas Orban.

Boire excessivement n’est pas simplement la conséquence d’un manque de volonté.

Malheureusement, aujourd’hui, en Belgique, il existe très peu d’initiatives permettant d’accompagner adéquatement les personnes qui ont un problème avec l’alcool. « La seule chose qu’on sait, c’est que si on ne sait plus s’arrêter, il faut « se faire interner », aller en psychiatrie. Or, au moins 50% des patients alcoolo-dépendants n’ont aucune pathologie psychiatrique. Par ailleurs, 70% des sevrages peuvent se faire à domicile« , précise Thomas Orban. Le mieux est évidemment d’agir plus tôt, en en parlant à un médecin généraliste formé à l’alcoologie. Par ailleurs, certains livres, grâce à des conseils de « self-help », peuvent déjà beaucoup aider à retrouver la maîtrise de sa consommation.

« Il n’y a pas de méthode unique, estime Thomas Orban. Il y a des personnes qui parviennent à revenir d’elles-mêmes à une consommation raisonnable, même si ça ne se fait pas nécessairement en une fois. D’autres n’arrivent pas vraiment à atteindre une consommation raisonnée, mais sont dans une réduction des risques psychosociaux et somatiques, ce qui n’est déjà pas mal. D’autres essaient pendant neuf mois et reviennent me voir pour me dire qu’elles se rendent compte que si elles n’arrêtent pas tout, elles n’y arriveront pas.

Dans tous les cas, il ne faut jamais baisser les bras. Il y a des patients qui font onze cures et qui arrêtent à la onzième. » Pour ce médecin, rien de pire que le pessimisme et l’infantilisation! « Jamais vous ne m’entendrez critiquer quelqu’un qui boit. Moi, j’adore tous les alcools, je suis un passionné de bières spéciales, de whisky, de champagnes, de vins, mais le problème n’est pas de boire... c’est de savoir ce qu’on boit et d’en connaître les conséquences. À partir de là, c’est beaucoup plus difficile de boire n’importe comment! » Qu’importe le flacon, pourvu que l’ivresse soit éclairée.

Pour une consommation raisonnée

  • 10 unités maximum par semaine, une unité équivalant à une bière de 25 cl ou à un verre de vin de 12 cl (une bière spéciale peut équivaloir à 2 unités).
  • 2 unités par jour maximum et deux jours sans alcool par semaine.
  • Jamais en dessous de 15 ans et à limiter fortement au-dessus de 65 ans, en raison de l’impact de l’alcool sur le cerveau à ces âges plus vulnérables.
  • Les boissons alcoolisées peuvent rafraîchir, mais elles n’hydratent pas: ne buvez jamais d’alcool parce que vous avez soif!
  • Éviter de boire seul.e
  • Éviter de boire dans les situations à risque: voiture, utilisation de machines, etc.
  • Il vaut mieux boire un peu presque tous les jours (sauf deux) que ne rien boire durant la semaine et boire en abondance le week-end.
  • Éviter de boire quand on se sent mal, triste ou stressé. Privilégier l’alcool-plaisir à l’alcool-pansement.
  • Quand consulter? En évaluant les 5 C: (perte de) contrôle, craving (envie irrépressible de consommer), compulsion, (usage continu), conséquences (usage continu malgré les conséquences négatives).

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