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Ces médicaments qui rendent accro

Julie Luong

Comment peut-on devenir « accro » alors qu’on cherchait simplement à ne plus avoir mal? La dépendance aux antidouleurs et autres médicaments, bien moins spectaculaire que la toxicomanie de rue, est cependant une réalité.

Si les analgésiques puissants peuvent provoquer une dépendance aussi forte que rapide, certaines molécules plus banales et courantes, comme le paracétamol, l’ibuprofen, l’aspirine etc, peuvent aussi causer une dépendance tant physique que psychologique. Ce phénomène qui ne date pas d’hier reste trop souvent sous les radars.

« Il y a quelques dizaines d’années nous devions prendre en charge des patients présentant de sérieux problèmes rénaux, suite à des prises excessives de paracétamol, rappelle le Pr Frieda Matthys, spécialiste des toxicomanies (UZ Brussel). Commercialisé sous le nom de  » Poudre Croix Blanche « , un médicament aux propriétés antalgiques et antipyrétiques contenait de la phénacétine qui, une fois ingérée, se transformait notamment en paracétamol. Depuis lors, la phénacétine a été remplacée par du paracétamol nettement moins toxique pour les reins. Mais le gros problème avec ce genre de produits, c’est qu’on en prend au départ pour lutter contre la douleur avant d’en faire une habitude par laquelle on commence la journée. « 

Les sirops contre la toux

Certains sirops antitussifs peuvent, eux aussi, provoquer une dépendance.  » Surtout s’ils contiennent des opiacés, met en garde le Pr Frieda Matthys. Ils sont, certes, très efficaces contre la toux mais aussi terriblement addictifs, ce qui incite à en consommer toujours plus, parfois un à deux flacons par jour... Tout arrêt soudain risque d’aggraver la toux et la sensation de douleur. A noter: les opiacés abaissent le seuil de la douleur, si bien que l’organisme y devient plus sensible. Il faut tout un temps avant que les mécanismes naturels se remettent en place. »

DES ÉMOTIONS ATTÉNUÉES

Les médecins eux-mêmes ont eu du mal à prendre la mesure de ce phénomène de dépendance puisqu’il s’agit de médicaments qui ne sont pas associés à un effet psychotrope.  » Pourtant, des patients dénués de tout problème physique affirment qu’ils ne peuvent plus se passer de leur dose de paracétamol le matin. Une étude avance une explication. Elle a été menée sur des participants répartis en deux groupes à qui on a montré des images agréables et positives, et d’autres dures et poignantes. Résultat : le groupe sous paracétamol a trahi nettement moins d’émotions.

Il semblerait que les antidouleurs ne se contentent pas d’estomper la douleur physique mais agissent aussi sur le cerveau en atténuant la détresse émotionnelle et les ressentis négatifs. On ne s’était encore jamais penché sur cet effet du paracétamol comme moyen de lutter contre le stress quotidien. Il faut savoir que, dans le cerveau, le siège de la la douleur psychologique et le siège de la douleur physique sont très proches. Le paracétamol agit dans le cerveau sur un neurotransmetteur, la sérotonine, active dans le processus de douleur, mais aussi dans celui de la dépression. « 

DES MAUX DE TÊTE CHRONIQUES

Autre problème lié à l’excès de prise de paracétamol, d’ibuprofen ou d’aspirine : les maux de tête. « Souvent, on prend ce type de médicaments contre les céphalées. Mais un de leurs effets secondaires consiste justement à nourrir le phénomène et à provoquer des maux de tête chroniques. Dans le cas de migraines ou de céphalées de tension, on déclenche ainsi un cercle vicieux très difficile à enrayer. La seule solution ? Cesser la prise d’antidouleurs, de préférence avec l’aide d’un médecin pour que cela se fasse en douceur « , recommande le Pr Matthys.

 » Si j’ai un conseil général à donner, ce serait de limiter à trois le nombre de prises d’antidouleurs par semaine, sur prescription ou non, si on veut qu’ils conservent leur efficacité. Ceux qui en prennent chaque jour pendant deux semaines doivent consulter un médecin pour tâcher de mettre le doigt sur l’origine des douleurs. Il faut absolument se débarrasser du réflexe qui consiste à avaler un cachet à la moindre douleur. Souvent, une balade en forêt est bien plus efficace ! « 

Prudence aussi avec les antidouleurs qui contiennent de la codéine ou d’autres opiacés. « Toute prise régulière (plus de trois fois par semaine) mène très vite à l’addiction. « 

Ces médicaments qui rendent accro
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PAS ANODINS

Ces médicaments ont cependant la réputation d’être sûrs et anodins parce qu’ils sont bon marché et très faciles d’accès.  » Mais le paracétamol reste une molécule dangereuse. Une surdose peut être fatale en provoquant une insuffisance hépatique aiguë. Les personnes qui prennent du paracétamol au long cours souffrent fréquemment d’affections chroniques du foie et des reins.

A long terme, l’ibuprofen provoque des douleurs d’estomac et des problèmes rénaux. On sait aussi que l’aspirine agresse la paroi de l’estomac et peut déclencher des saignements et des perforations de l’estomac.

L’arrêt de ces molécules ne provoque pas de symptômes physiques mais bien psychologiques.  » Quand on a pris l’habitude de commencer ses journées en avalant un cachet, pas facile de s’en défaire ! Le sevrage peut entraîner des angoisses, voire une dépression. D’où l’importance d’être bien informé, de bénéficier de soutien, éventuellement de suivre une thérapie comportementale et de faire du sport. Tout cela aide à s’en sortir. »

Le spray nasal

Un spray nasal, s’il est utilisé plus de deux à trois fois par jour pendant plus d’une semaine, peut entraîner une dépendance, connue sous le nom de rhinite médicamenteuse. En effet, en cas d’usage prolongé de sprays décongestionnants, la muqueuse nasale s’altère : elle gonfle tandis que les mouvements ciliaires et la sécrétion de mucus diminuent. Le nez finit donc par se boucher à cause du traitement ! Et quand on l’arrête d’un coup, un effet  » rebond  » se produit, donnant la sensation d’un nez encore plus bouché... Au fil du temps, l’accoutumance s’installe : pour obtenir le même soulagement, il faut alors augmenter les doses.

Outre la dépendance, l’usage prolongé des décongestionnants peut entraîner des lésions nasales avec un risque de perte de l’odorat jusqu’aux sensations de suffocation et d’anxiété. Ces médicaments sont des vasoconstricteurs: à dose excessive, ils peuvent entraîner une hypertension, une tachycardie, et même des effets neurologiques.

Si l’usage excessif ne dure que depuis quelques semaines, lorsqu’on arrête, on a la sensation d’avoir le nez bouché pendant quelques jours mais la situation redevient rapidement à la normale. Si, par contre, la dépendance date de plusieurs années, parlez-en à votre médecin traitant qui vous aidera à établir un programme de sevrage. Celui-ci peut passer par l’utilisation d’un spray nasal contenant de la cortisone (sur ordonnance), le sevrage d’une seule narine dans un premier temps, la diminution progressive de la dose et la dilution avec une solution saline, l’utilisation de sprays nasaux ou des gouttes nasales à base de minéraux et/ou d’huiles essentielles comme celle d’eucalyptus.

DES ANALGÉSIQUES LOURDS

Pris à court terme et pour de bonnes raisons, les opioïdes sont des alliés précieux dans la lutte contre des douleurs qui ne pourraient pas être soulagées autrement. « Les opioïdes sont recommandés dans les jours qui suivent une opération, mais aussi en soins palliatifs. Ils peuvent aussi être utilisés dans certaines formes d’arthrose inopérables du genou « , explique le Pr Bart Morlion directeur du centre de la douleur à l’UZleuven. Mais leur usage est, lui aussi, en constante augmentation. En 2017 le Service d’évaluation et de contrôle médicaux (SECM) de l’Inami constatait une hausse significative de la consommation de cinq opioïdes (fentanyl et patchs, tramadol, oxycodone, tilidine et piritramide) : selon ces chiffres, entre 2010 et 2016, le nombre de patients à avoir consommé au moins un de ces cinq médicaments aurait augmenté de 32 %.

UNE DÉPENDANCE PHYSIQUE ET PSYCHIQUE

Les problèmes arrivent lorsqu’un patient utilise ces médicaments dans de mauvaises indications ou trop longtemps/à trop haute dose. Les opioïdes peuvent entraîner une véritable dépendance physique et psychologique, à tout âge et dans tous les milieux. Elle se manifeste par le besoin de consommer une quantité toujours plus importante de la substance pour obtenir le même effet.

Or, les antalgiques opiacés génèrent de nombreux effets secondaires: constipation, rétention d’urines, perte d’appétit, et même intoxication aiguë d’installation progressive. Généralement, on ne s’aperçoit pas de cette dépendance, puisqu’il s’agit d’un médicament. Mais en cas d’arrêt soudain, des symptômes de sevrage apparaissent dans les heures qui suivent (anxiété, agitation, irritabilité, sueurs, écoulement nasal, bâillements, nausées, vomissements, diarrhée, douleurs abdominales, douleurs osseuses et musculaires, etc.)

« Il faut parfois procéder à un sevrage aigu en milieu hospitalier. Mais ce n’est pas toujours nécessaire. Parfois, on peut proposer au patient de le revoir tous les quinze jours et opter pour un opiacé de substitution comme le buprénorphine. Le plus difficile reste dans tous les cas la dépendance psychologique. » Il est donc utile de se faire accompagner par un médecin et de bénéficier d’un soutien psychologique. « 

La dépendance aux antidouleurs s’accompagne parfois d’autres dépendances: tabac, benzodiazépines, somnifères, alcool. C’est pourquoi les profils « à risque » doivent faire preuve d’une vigilance accrue face à ce type de médicaments. « Quand on a un comportement addictif – même avec son smartphone! -, c’est une bonne raison pour ne pas commencer à prendre des opiacés. Idem s’il y a des problèmes de dépendance dans la famille ou si on a soi-même des problèmes de dépression et d’anxiété.

« Ceux qui ont un problème de dépendance avec les somnifères sont aussi particulièrement vulnérables. Enfin, les jeunes, a fortiori les garçons, sont plus à risque », explique le Pr Morlion.

Les benzodiazépines

Les benzodiazépines (anxiolytiques) sont indiqués pour apporter un soulagement temporaire lorsqu’on est exposé à un événement de vie particulièrement stressant, comme le décès d’un conjoint. Ils ne doivent cependant pas être pris, dans l’idéal, plus d’une à deux semaines, au risque de provoquer un phénomène de dépendance. Or, en Belgique, deux personnes sur dix prennent des benzodiazépines régulièrement.

Dans le cas d’une consommation régulière, la dépendance s’installe : on ne parvient plus à gérer son stress sans avoir recours à ces médicaments car les modes d’adaptation naturels sont enrayés... Une dépendance physique se met également en place : c’est pourquoi il est fortement déconseillé d’arrêter ces médicaments brutalement au risque de développer un syndrome de manque, qui se manifeste notamment par de la confusion mentale.

Si vous êtes dans ce cas, parlez-en à votre médecin: un programme de sevrage progressif peut être mis en place.

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