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Aidant proche: aider sans y laisser sa vitalité

Julie Luong

Aider une personne en souffrance est une expérience souvent très riche mais aussi éprouvante. Qu’on soit aidant professionnel ou aidant proche, il est important d’éviter la « fatigue de compassion ».

Je suis à bout », « Je ne me reconnais plus », « Je n’ai plus rien à offrir « ... Ces signaux de détresse, de nombreux aidants – professionnels ou non – y sont confrontés à un moment de leur parcours. Car accompagner une personne en souffrance n’a rien d’anodin. Même les personnes qui ont un don particulier pour l’écoute et l’empathie – surtout elles peut-être! – risquent de s’épuiser si elles ne trouvent pas la bonne distance, les bonnes limites. Pascale Brillon, professeur au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal et psychologue spécialisée dans le traitement du stress post-traumatique, rappelle la nécessité de prendre d’abord soin de soi quand on veut prendre soin des autres... Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la sortie de son guide « Entretenir ma vitalité d’aidant » (Éditions de l’Homme).

Médecins, infirmiers, psychologues...: les soignants sont-ils formés à entretenir leur vitalité?

Pas vraiment, et c’est pour ça que j’ai tenu à écrire ce livre. Pour les soignants, c’est même un grand tabou que de pouvoir se dire qu’ils ne sont plus capables d’entendre la détresse et la douleur, que des images horribles leur reviennent en tête, qu’ils ne sont plus capables de faire preuve d’empathie comme avant. Je voulais aborder ce sujet car beaucoup de mes collègues venaient me voir en me disant: « Ce métier que j’ai choisi par vocation ne me nourrit plus ». Je me suis dit qu’on ne pouvait pas se permettre de perdre ces gens-là.

Une des clefs, écrivez-vous, est de distinguer sympathie et empathie. La posture empathique permet d’accueillir l’autre de manière authentique sans se sentir menacé dans son espace personnel. La posture sympathique, elle, consiste à accueillir l’autre de manière plus personnelle. Dans le premier cas, l’aidant accompagne l’autre dans son cheminement en respectant totalement son unicité ; dans le second, il a (trop) à coeur qu’il progresse, adopte telle ou telle stratégie...

Oui, certains soignants vont glisser dans ces postures de sympathie qui les rendent beaucoup plus vulnérables. Différents mécanismes comme les neurones miroirs et le mimétisme corporel les placent alors dans une situation de surcharge émotionnelle. En psychothérapie, on a longtemps valorisé l’intelligence et la vivacité d’esprit: il fallait être extrêmement brillant intellectuellement. Depuis quelques années, on valorise davantage le côté chaleureux des soignants. C’est très bien mais cela les rend aussi plus sensibles à la souffrance dont ils sont témoins.

8 manières d’entretenir sa vitalité d’aidant

1) bien se connaître

Les personnes qui aident le mieux les autres sont celles qui ont parcouru le chemin de la connaissance de soi et de la guérison. « Pas étonnant que dans plusieurs écoles de psychologie, on impose encore aux futurs cliniciens de suivre eux-mêmes une psychothérapie », rappelle Pascale Brillon. Bien se connaître nous dispose à être capables d’aider les autres dans la durée.

2) la bonne posture

Dans une relation d’aide, il y a toujours trois dimensions: l’autre, la relation avec l’autre et nous-mêmes. « C’est une dimension souvent oubliée », note Pascale Brillon. Distinguer ce qui vient de l’autre et ce qui vient de nous (la mauvaise humeur du jour par exemple) est pourtant essentiel à un dialogue de qualité. Attention aussi à ne pas confondre empathie et complaisance: l’ouverture à l’autre ne veut pas dire être toujours d’accord..

3) un processus émotionnel sain

Un processus émotionnel sain repose sur quatre piliers: être en contact avec ses sensations physiques (tensions, gorge serrée...), nommer ses émotions (tristesse, colère...), les accepter (les considérer comme légitimes), et enfin les exprimer (auprès d’un proche, dans une pratique artistique...)

4) la souplesse cognitive

Vous utilisez souvent les mots « jamais/toujours » ou « tout le monde/personne »? Peut-être manquez-vous de souplesse cognitive, cette faculté de voir les choses avec nuance. Il existe différents moyens d’entretenir cette souplesse: s’ancrer dans le présent, créer, méditer... et rire. « L’humour est un mécanisme d’adaptation de haut niveau associé à la résilience », rappelle Pascale Brillon. Pourvu qu’on ne le confonde pas avec le cynisme!

5) le rapport au corps

Pour aider, il faut être forme! Soyez attentif aux signaux de votre corps et entretenez votre vitalité grâce à une bonne alimentation, la pratique d’un exercice physique et un sommeil réparateur. Cultivez votre côté épicurien, c’est-à-dire le plaisir sans les excès et sans la dépendance.

6) les auto-soins

Cultivez ce qui vous fait du bien, que ce soit le contact avec l’art, la nature... N’hésitez pas à vous déconnecter totalement quelques heures ou quelques jours. « En tant que soignant, je suis en permanence en contact avec ce que l’humain a fait de pire: il faut donc que je m’expose aussi à ce que l’homme a fait de plus beau », résume Pascale Brillon.

7) le réseau de soutien

Le problème des personnes qui aident facilement est qu’elles s’enferment parfois dans ce rôle. Résultat: dans les moments de détresse, elles ne trouvent pas elles-mêmes de soutien auprès des autres... Osez sortir des rôles figés et demandez de l’aide à votre entourage.

8) la satisfaction de compassion

Malgré les difficultés, aider une personne dans son chemin de vie est l’une des plus belles expériences humaines. Elle apporte souvent autant à celui qui aide qu’à celui qui est aidé. Cultivez votre reconnaissance pour cette relation d’une grande richesse.

Cela peut aller jusqu’au « trauma vicariant »: le récit d’un épisode traumatique contamine en quelque sorte celui qui écoute ce récit. L’aidant souffre alors d’une détresse « par procuration ».

Depuis quelques années, les troubles de stress post-traumatique sont beaucoup mieux connus, de même que l’efficacité des thérapies cognitivo-comportementales sur ces troubles. Cela signifie qu’il y a aujourd’hui dans les cabinets des psychologues beaucoup de victimes de viols, de génocides, de tortures. Quand les soldats de la Grande Guerre sont revenus, ils n’ont raconté à personne ce qu’ils avaient vécu. Ils n’avaient que la solution de consommer beaucoup d’alcool pour tolérer les symptômes du trauma. Aujourd’hui, les soldats qui reviennent d’Afghanistan ou du Mali consultent directement. C’est un grand progrès mais cela fait aussi partie de nos difficultés, car en réalité personne ne veut savoir cela en détail. Le soignant est alors à risque de trauma vicariant – il peut avoir des cauchemars, des comportements d’évitement similaires à ceux de la victime – mais aussi éprouver de la fatigue compassionnelle: à force d’être en contact avec des vécus douloureux, il se met à ressentir une certaine lassitude. Il devient détaché, il n’a plus envie d’entendre ce que les autres ressentent.

D’autres professions sont-elles concernées?

Bien sûr. Par exemple, j’ai reçu une demande de conférence pour une association de vétérinaires, une profession constamment en contact avec des gens qui pleurent, en deuil de leur animal. J’ai aussi eu des demandes de jurés d’assises qui assistent à des procès où ils doivent visionner des scènes de crime sordide sans y avoir été préparés.

Les aidants proches, qui ccompagnent un conjoint ou un parent malade, sont également concernés au premier chef.

Les soignants travaillent dans une structure. Les aidants proches, eux, sont souvent seuls pour accompagner un père ou une mère atteinte d’Alzheimer, défendre ce proche, le soigner, assister à sa déchéance... Ils risquent alors de dire « Maman m’exaspère, je n’en peux plus », sans savoir qu’il s’agit de fatigue de compassion. C’est encore plus difficile pour eux car ils sont automatiquement en sympathie: si je soigne ma mère, je suis automatiquement sa fille, pas sa thérapeute...

L’erreur de certains de ces aidants est de penser qu’ils doivent être fort à tout prix. Il faut être fort oui, mais comme le roseau, pas comme le chêne. La force, c’est la souplesse, y compris avec soi-même: sortir du « il faut » et du « je dois « , « je devrais » , « j’aurais dû », toutes choses qui tournent autour de la culpabilité et de l’hyper-responsabilité. La culpabilité, c’est une colère retournée contre soi. Et à un moment, on est écoeuré d’avoir cette colère contre soi, alors on finit par la retourner contre l’objet de notre culpabilité. À force de se dire « je dois aider maman », ça devient « je n’en peux plus de maman » . Certains aidants proches se rendent compte une fois que leur parent est décédé qu’ils ont passé des années à s’en vouloir alors qu’ils auraient pu être plus légers et profiter davantage de la relation.

Aidant proche: aider sans y laisser sa vitalité

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