Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

Une nouvelle pandémie?

Un collègue et moi sommes près du lit d’une patiente qui a subi, la veille, une opération du poumon. D’un point de vue chirurgical, tout s’est passé pour le mieux. En revanche, nous sommes préoccupés par le fait que cette femme tousse par intermittence et présente de légers signes d’infection dans le sang. Elle couve peut-être une infection des voies respiratoires. Nous nous demandons s’il est nécessaire de lui administrer des antibiotiques par voie intraveineuse à ce stade précoce. D’un autre côté, tout médecin consciencieux a aujourd’hui un réflexe: ne pas prescrire trop vite des antibiotiques...

Le mari de la patiente est assis sur une chaise, à côté du lit. Il a un journal ouvert sur les genoux mais son attention est à l’évidence concentrée sur ce que nous disons. Alors que mon collègue et moi sommes sur le point de sortir, l’homme se lève et nous adresse timidement la parole: « Je viens de vous entendre discuter de l’opportunité de donner des antibiotiques à ma femme. Y a-t-il un problème? » Je rassure gentiment le mari et lui explique qu’il est courant de constater la présence de mucus après ce genre d’opération, et que nous envisageons en effet de prescrire des antibiotiques.

« Mais c’est incompréhensible! tempête l’homme, nettement moins timide. Un peu surpris, je lui réponds « Comment cela? ». L’homme semble bien remonté, maintenant. Il s’avère qu’il est éleveur de bétail. « Si l’une de mes bêtes a des soucis respiratoires ou toute autre maladie, je n’hésite pas une seconde à lui donner des antibiotiques, c’est l’évidence! » Il est visiblement submergé par ses émotions. « Et vous, vous priveriez ma femme du traitement adéquat! Franchement, mes vaches sont mieux soignées que ça! »

Nous nous servons des cafés et emmenons l’homme à une petite table où nous poursuivons cette conversation. Nous lui expliquons que la vie de sa femme n’est pas en danger et que nous voulons simplement respecter certains principes en matière d’administration d’antibiotiques. Que l’utilisation inconsidérée de ce type de médicaments favorise le développement de multiples résistances bactériennes. Un vrai problème! Le mari se calme et s’ouvre à nouveau à la discussion. « Je dois admettre que vous avez raison: beaucoup de mes collègues dans l’industrie de l’élevage sont désormais porteurs de bactéries résistantes aux antibiotiques. »

Plus tard ce jour-là, mes collègues et moi faisons le point sur cette conversation peu banale. C’est beau de voir quelqu’un défendre ses proches avec autant de détermination! Mais il est inquiétant de constater que de plus en plus de bactéries résistantes circulent dans le monde, tant chez les êtres humains que chez les animaux. Imaginez qu’un de ces germes devienne incontrôlable: il pourrait provoquer la prochaine pandémie...

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