Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

Une grande consolation

C’est la nuit. Un patient quitte les soins intensifs. Il est transféré au bloc opératoire, placé sous assistance respiratoire artificielle. Son pouls bat de manière régulière, sa pression sanguine est normale. Pourtant, cet homme n’est plus en vie: il est en état de mort cérébrale. Bientôt, ses organes seront prélevés par une équipe de chirurgiens spécialistes de la transplantation. Après cette procédure, on coupera l’assistance respiratoire. Les organes seront envoyés de toute urgence à divers centres de transplantation, où ils pourront, quelques heures plus tard, être implantés à des malades qui en ont besoin.

Ce sexagénaire en bonne forme, a été retrouvé chez lui, par sa femme, dans un état comateux. A l’hôpital, on a diagnostiqué une importante hémorragie cérébrale. Le patient a été pris en charge par les soins intensifs. Maintenu en vie grâce à la respiration artificielle, il n’y a pour lui plus aucun espoir. Très vite, le cerveau et le tronc cérébral ont cessé d’être irrigués par le flux sanguin. Les autres organes fonctionnaient encore normalement, ce qui faisait de cet homme un candidat évident au don d’organes.

Je me suis adressé à ses proches: sa femme et ses deux enfants, assis, très éprouvés, dans une salle d’accueil pour les familles. Je leur avais déjà parlé: ils savaient à quel point la situation était grave, et qu’il n’y avait pas de guérison possible. Mais la discussion que nous devons avoir est tout autre: je leur explique le concept de mort cérébrale, et comment on la constate officiellement. Et que les autres organes, intacts, pourraient être transplantés chez des patients en attente de greffe. L’homme n’a jamais formellement fait savoir qu’il était donneur ou – pour être plus précis – il n’a jamais exprimé qu’il ne souhaitait pas l’être. Le sujet ne surprend pas sa femme, qui me confirme: « Nous n’en avions jamais parlé ». Elle regarde ses enfants. « Mais mon mari est – était – un homme à l’esprit pratique et je pense qu’il aurait trouvé logique que ses organes puissent encore servir à d’autres. »

j’admire les gens qui arrivent à trouver la force de se concentrer sur ce qui touche d’autres dans un moment tragique.

Je sors de la salle. J’avoue mon admiration pour ces gens qui, bouleversés par un événement tragique, trouvent encore la force et la clarté d’esprit pour écarter un moment leur chagrin, et se concentrer sur ce qui touche d’autres personnes.

Quelques semaines plus tard, je revois l’épouse. Elle a reçu un message du coordinateur des transplantations, qui lui explique qu’on a fait avec les organes de son mari. Ainsi, ses poumons ont été greffés chez une jeune femme souffrant de mucoviscidose. « Savoir qu’il a pu aider d’autres personnes, dont un enfant, a été pour moi une grande consolation. » Une autre histoire à ajouter à la longue liste de ces récits émouvants, suspendus entre la mort et la vie.

Médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d’événements qui le touchent dans sa pratique.

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