© WIM KEMPENAERS

Un pont trop loin

Vous ne vous mettez pas à côté de moi? Je peux me pousser un peu pour vous faire de la place! », me glisse-t-il. Je suis en train de prendre la tension de ce patient assis sur ma table médicale. Vu la longueur de mon stéthoscope, j’ai pour habitude de rester à une distance qui m’a toujours semblé adéquate... jusqu’à maintenant. Car après la remarque de cet homme, je me sens soudain mal à l’aise. Je m’éloigne insensiblement de lui, tout en sentant son regard rivé sur ma poitrine. Ce matin, j’ai choisi de porter un épais pull à col roulé... un choix dont je me félicite.

« 12/8, parfait! », m’entends-je lui annoncer, en me réinstallant vite derrière mon bureau pour noter ses paramètres. Les yeux sur mon écran d’ordinateur, je lui redis que sa prise de sang trimestrielle pour son diabète est tout à fait rassurante. Pendant qu’il me paie, je me surprends à essayer d’éviter son regard.

Après cette consultation, je frappe à la porte d’une consoeur: aurait-elle quelques minutes à m’accorder? Je tente de lui expliquer que je me suis sentie mal à l’aise par les propos d’un patient. « Tu lui en as parlé? », me demande-t-elle. Je réponds non de la tête, en me demandant pourquoi je n’ai pas réagi. Par surprise ou perplexité? Je ne m’attendais évidemment pas à une déclaration avec des sous-entendus en pleine consultation. À moins que je n’aie monté les choses en épingle et qu’il s’agisse juste d’une blague déplacée? Je décide de laisser à cet homme le bénéfice du doute. D’ailleurs, le travail me rappelle.

Trois mois plus tard, le même patient est inscrit à mon agenda. « Bonjour mignonne! », me lance-t-il sitôt que j’apparais dans la salle d’attente. La même sensation de malaise m’assaille. Cette fois, j’ose lui dire que je ne souhaite pas que l’on s’adresse à moi de cette façon. « Bah, un peu de douceur ne peut pas faire de tort? », ajoute-t-il, sur mes talons. Je décide d’être claire en lui répétant que ce genre de vocabulaire n’a pas cours entre un professionnel de la santé et son patient. « Mais qui a dit que cela devait rester professionnel? », rétorque-t-il d’un air dégagé.

J’ai l’impression qu’il cherche à repousser sans cesse mes limites avec ses réponses provocantes. J’envisage de ne pas prendre sa tension... afin de ne plus devoir m’approcher de lui. On dirait vraiment que j’ai plus envie de le pousser hors de mon cabinet fissa que de pratiquer ma médecine comme il se doit. Petit à petit, je me rends compte que je ne pourrai plus être sa généraliste s’il continue à me faire des déclarations ambiguës.

J’essaie de le lui dire. Que je ne suis pas à l’aise avec sa façon de me parler et que, par conséquent, j’ai l’impression de ne pas être la médecin généraliste qu’il lui faut. Je le dirige vers un de mes confrères, pour que nous puissions assurer le bon suivi de son dossier médical. Et là, il me regarde avec perplexité: « Vous avez quand même compris que je plaisantais, non? », fait-t-il. J’ai l’impression de devoir me justifier de la façon dont j’ai perçu son attitude. Si sa perception des choses peut être différente, pour moi une ligne rouge a été franchie. C’est peut-être subjectif... Mais il ne m’a sans doute pas entendue, car le voilà qui sort en trombe de mon cabinet.

Bonjour mignonne, me lance-t-il sitôt que j’apparais dans la salle d’attente.

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