© WIM KEMPENAERS

Un mur de silence

Nous sommes assis l’un en face de l’autre, en silence. Un silence presque oppressant... Je regarde par la fenêtre. Depuis cette chambre de la maison de repos, on a une vue plongeante sur le terrain de foot: les élèves d’une école sont en train d’y jouer. Du coin de l’oeil, j’observe mon patient suivre le ballon du regard. Je me détends un peu. Notre quart d’heure vient à peine de commencer.

En passant le voir lors de ma première visite dans cette maison de repos, j’ai ressenti un certain malaise. La chambre était totalement silencieuse. On entendait juste filtrer les bruits du couloir. Des photos de famille ornaient les murs, mais mon patient évitait autant que possible de les regarder. L’ordinateur portable, ouvert, prenait la poussière. Le vieil homme répondait à mes questions en un minimum de syllabes. J’avais l’impression de le déranger. Pour ne pas trop le déranger, je fais désormais en sorte que mes visites soient aussi brèves et discrètes que possible.

Jusqu’au jour où l’équipe d’infirmiers m’appelle pour me demander si je peux avancer ma visite: le résident demande à me voir. Une partie de son dos est couverte de lésions au niveau de la taille: un zona, doublé d’une infection bactérienne. Sur place, je trouve mon patient agité, inquiet. Pendant l’examen clinique, sa première question est: « Docteur, ça va faire mal encore longtemps? »

Son visage fermé ne facilite pas la communication. Inutile d’essayer de rassurer ce genre de patient. Tout ce que je peux faire, c’est l’informer de l’évolution probable de la maladie. Je lui explique que les lésions vont sécher avant de disparaître progressivement. Malheureusement, cela ne veut pas dire que la douleur va diminuer. C’est qu’avec l’âge, les symptômes ont tendance à perdurer. A ces mots, un nouveau silence s’installe. Il pousse un soupir de lassitude. « Bon, et maintenant? » Je propose de lui rendre visite très régulièrement pour pouvoir le soulager et adapter la dose d’antidouleurs au besoin, ce qui suscite un nouveau gros soupir. De soulagement? Pour marquer son accord, en tout cas!

J’espère vraiment que mon patient aura l’occasion de recevoir d’autres visites...

Le contact s’établit lentement entre nous. L’homme n’est pas devenu bavard pour autant, mais il m’accorde plus d’espace. Quand je prends le « pouls » de son humeur, il se contente de m’indiquer d’un geste les photos accrochées au mur ou l’ordinateur ouvert. Je comprends qu’entre deux doses d’analgésiques mon patient est en quelque sorte « en standby ». Il ne dit rien, mais espère un appel par Skype de son fils unique qui vit en Thaïlande. Il avait prévu de venir voir son père, mais le voyage été reporté à plusieurs reprises à cause du Covid-19. Je décide donc de prolonger mes visites.

Je prends l’habitude de m’installer ainsi dans sa chambre. Et même s’il s’exprime toujours avec le moins de mots possible, il finit toujours par me demander: « Quand est-ce que je vous revois? » Maintenant qu’il est guéri de son zona, il ne me reverra que dans un mois. J’espère vraiment qu’il aura l’occasion de recevoir d’autres visites d’ici là...

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