Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

Scepticisme

Dans la salle de réunion, quatre personnes sont rassemblées autour de la table: les deux enfants adultes d’un de mes patients, une infirmière et moi-même. Le fils et la fille ont demandé à s’entretenir avec nous. Ils ne sont pas satisfaits de la façon dont les choses se passent dans notre établissement. Le médecin généraliste lui-même n’échappe pas à la critique: il aurait dû prévoir toutes ces difficultés! Leur père, 80 ans, admis pour une grave infection des voies urinaires, présente une tension artérielle trop basse et un état général de confusion. Ni une intervention urologique, ni des antibiotiques, ni des médicaments ne semblent pouvoir améliorer la situation.

Ici, il n’y a de place que pour une médecine basée sur des traitements validés scientifiquement.

Bras croisés sur la poitrine, regard soupçonneux, le frère et la soeur écoutent mes explications. Je les assure que nous faisons tout notre possible, mais que leur père ne réagit pas bien au traitement. La fille m’interrompt et pousse un grand sac en plastique devant elle sur la table. « Vous n’avez certainement pas tout essayé « , me dit-elle. Je suis prié d’ouvrir le sac. A l’intérieur, un flacon brun. L’étiquette est ornée d’une fleur violette. « C’est un médicament homéopathique », poursuit-elle. « Contre les infections urinaires », ajoute son frère. « Nous vous demandons de le lui administrer. On espère que cela l’aidera à se rétablir rapidement. »

L’espace d’une fraction de seconde je ne sais que répondre... Il n’est pas fréquent qu’on me fasse ce genre de requête. Mais ce que je ne ferai certainement pas, c’est avancer des arguments expliquant pourquoi l’homéopathie n’est pas une option valable, surtout dans un cas aussi critique que celui-ci.

L’expérience m’a appris que se justifier ne fait qu’inciter les gens à se refermer comme des huîtres et à s’enferrer dans leurs convictions. J’explique aussi franchement et clairement que possible que nous ne pourrons pas accéder à leur demande. Qu’ici, il n’y a place que pour une médecine basée sur des preuves et des traitements médicaux validés scientifiquement. Grand silence autour de la table. Les larmes aux yeux, la femme reprend son flacon et le remet dans le sac. Tout à coup, le scepticisme et l’opiniâtreté du frère et de la soeur ont fait place à la tristesse et la résignation. Etrange tournure des événements, qui ne rend la situation que plus tragique.

En me rendant à la consultation préopératoire, je repense à cette conversation. Je suis vraiment triste pour ces gens. Le désespoir peut en effet faire naître les idées les plus folles... Je m’assieds et déchiffre le premier questionnaire, rempli par un patient qui va se faire opérer du genou. Dans la case « Avez-vous des questions? », il a tapé en majuscules: EN CAS DE TRANSFUSION SANGUINE, JE NE VEUX PAS RECEVOIR DE SANG PROVENANT DE PERSONNES QUI ONT ÉTÉ VACCINÉES CONTRE LE COVID.

Je soupire, hausse les épaules, souris et me mets au travail.

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