© WIM KEMPENAERS

Quand la fumée se dissipe

Lorsque je pénètre dans sa maison, je me croirais projetée dans un bistro des années 1950! Une odeur de nicotine m’assaille les narines. Un nuage de fumée enveloppe tout l’intérieur. Une voix enrouée m’accueille. Je m’assied à la table de salle à manger, à côté d’un cendrier qui déborde...

Je viens faire connaissance avec ce nouveau patient, dont l’ancien médecin généraliste vient de prendre sa pension. Je n’ai pas encore reçu son dossier médical complet. Mais des boîtes de médicaments, vides, s’empilent sous mon nez, m’aidant à reconstituer les antécédents du patient. Ce dernier émet un petit rire rauque lorsque je me hasarde à deviner et hoche la tête chaque fois que je tombe juste. Diabète, check. Hypertension, check. Insuffisance rénale, check. Arythmie? Il acquiesce et ajoute, non sans fierté, qu’il a déjà survécu à un arrêt cardiaque et à un AVC.

Enfin, je me risque à la supputation la plus évidente: il fume! Je regarde son déambulateur d’un air pensif. Son immeuble n’est pas équipé d’un ascenseur. Gravit-il vraiment tout seul les trois volées d’escaliers jusqu’à son appartement? « Comme si j’étais en état de le faire! », grommelle-t-il. C’est son aide-ménagère qui l’approvisionne en cigarettes, car son fils vient le voir bien trop rarement...

Je lui explique que je tiens à jour un dossier électronique mais que lors de mes visites régulières à son domicile, je remplirai aussi un carnet de bord en version papier. Il pourra ainsi toujours vérifier les renouvellements ou changements de médicaments que je lui propose. A son tour, il pourra noter chaque jour sa tension artérielle, et ainsi son aide-ménagère pourra communiquer avec moi. Si un médecin de garde doit venir, le dossier papier sera également utile. L’homme se lève et fouille dans le buffet. Il en sort un carnet qui pourrait faire office de dossier médical papier. Alors que j’y note le calendrier des médicaments qu’il doit prendre, il se met à glousser. « Z’êtes pas un vrai docteur, vous! », s’exclame-t-il en désignant mon écriture, selon lui bien trop lisible. « Vous n’aurez donc aucune raison de ne pas vous conformer à mes recommandations », souris-je en retour. Il éclate d’un rire qui se perd dans une quinte de toux grasse.

On dirait que les bonnes résolutions n’attendent pas toujours le Nouvel An!

Au moment de lui dire au revoir, il assure avoir toute confiance en moi. Je lui fais cependant comprendre que je ne pourrai pas faire de miracles tant qu’il continuera à fumer... Il hausse les épaules. « Ah bah, quelle importance de toute façon, après cinquante ans années de tabac? »

Quatre semaines plus tard, me revoilà dans son salon. Quelque chose a changé. Le petit sapin de Noël posé sur la table? Non, attendez... J’aperçois la cuisine d’où je me tiens. Oui! Le nuage de fumée a disparu. « J’ai arrêté de fumer! Rien que pour vous! » Il se tient devant moi, triomphant. On dirait que les bonnes résolutions n’attendent pas toujours le Nouvel An! A côté de mon message – « Sevrage tabagique fortement recommandé » – écrit dans le carnet, on a coché cette ligne d’une écriture tremblante. Je suis heureuse de cette bonne nouvelle pour sa santé, certes, mais aussi pour mon manteau qui, cette fois, n’empestera pas la cigarette

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