Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

Partage des tâches à la maison

Devant moi sont assises trois jeunes femmes. Des triplées... Telle est ma première pensée, n’était leur légère différence d’âge: deux d’entre elles ont dix-neuf et vingt ans, tout juste adultes donc, et la plus jeune dix-sept ans. Ce sont les filles d’une de mes patientes. Leur mère est aux soins intensifs pour une inflammation pulmonaire. Cela fait déjà plusieurs jours qu’on la maintient dans un coma artificiel. Et il faudra compter sans doute encore plusieurs jours supplémentaires.

Les trois soeurs m’expliquent que leur père est décédé, voici quelques années, d’un cancer du côlon. Elles se retrouvent donc seules. Elles n’ont dans leur famille aucun proche qui pourrait être à leurs côtés, pour partager leur angoisse et leur chagrin ainsi que pour les aider avec toutes les questions pratiques et financières. En dehors de l’aide d’une assistante sociale de l’hôpital, elles doivent tout régler toutes seules. Pourtant, j’ai l’impression qu’elles s’en sortent à merveille. Elles se sont partagé les tâches. L’aînée règle tout ce qui concerne la situation médicale de leur mère. La cadette s’occupe des paiements et autres paperasses. La benjamine, enfin, s’assure que le trio ait de quoi manger chaque jour.

Si on est mis hors course par la maladie, notre conjoint en sait-il assez pour s’occuper des choses qu’il ne gérait pas?

Je leur récapitule l’état de santé de leur mère: pour la première fois, il est question de stabilisation. Une lumière au bout du tunnel. Déterminées, mais des larmes de soulagement dans les yeux, elles apprennent cette bonne nouvelle. Et là, je me dis qu’elles sont drôlement courageuses!

Notre conversation est interrompue par la secrétaire qui vient me demander si je peux m’entretenir d’urgence avec l’épouse d’un patient, Monsieur K. La dame semble paniquer. Pas seulement parce que son mari se trouve dans un état critique depuis plusieurs jours, mais aussi en raison de tous les problèmes qui s’accumulent chez elle. Son mari possède une petite entreprise. Le matin même, un petit groupe revendicateur a déboulé devant son domicile: « C’est le personnel de mon mari qui est venu me demander de verser les salaires », explique-t-elle, des trémolos dans la voix. Mais elle n’a pas accès aux comptes. Et elle n’a aucune notion de comptabilité. Ce sont des choses qui finiront pas être réglées, je suppose. Mais, je le crains, pas sans franchir d’abord une course d’obstacles administratifs en tout genre...

En voiture, sur le chemin du retour, je repense aux trois soeurs et à la femme de cet entrepreneur. Je songe à ma situation personnelle, où règne un juste partage des tâches. Mais supposons que je sois mis hors course par la maladie, ma femme en sait-elle assez pour prendre en charge ce dont je m’occupe habituellement? Et vice versa? Je prends la résolution d’y pourvoir de toute urgence. Dès demain! Enfin... après-demain. Si je trouve le temps.

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