Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

Overdose médicamenteuse

Un homme rentre chez lui après être sorti se promener avec son chien. Entre-temps, sa femme a préparé le repas, mais il ne la trouve pas dans la cuisine. Il l’appelle... pas de réaction. Finalement, il monte jusqu’à leur chambre à coucher. Elle ronfle. Bizarre, songe-t-il, ça ne lui arrive jamais. Il la secoue pour la réveiller, du moins il essaie. C’est alors qu’il remarque les médicaments sur la table de chevet: l’antidouleur que sa femme prend de longue date contre ses maux de dos. Les plaquettes sont vides. Choqué, l’homme se rend compte de ce qui s’est passé. De ce que sa femme a fait.

Depuis lors, la femme est hospitalisée. Elle dort paisiblement, comme si de rien n’était. Sa respiration est encore un peu faible, mais la phase critique est passée. Elle reçoit par intraveineuse une molécule capable de neutraliser les effets de l’overdose d’antalgique qu’elle a faite. Je me tiens à côté du lit, les plaquettes d’antidouleur vides à la main. Le médicament qu’elle a pris en excès s’appelle l’oxycodon, et je ne le connais que trop bien. C’est un antidouleur morphinique qu’on utilise très souvent en milieu hospitalier chez des patients qui ont subi une intervention chirurgicale ou chez des malades du cancer en proie à des douleurs insupportables.

Après une overdose de médicaments, les proches se posent une infinité de questions...

Ces dernières années, c’est un médicament que les gens utilisent de plus en plus chez eux, y compris pour des douleurs tout à fait autres. Des douleurs qui ne sont dues ni à une intervention chirurgicale, ni à un cancer. Des maux de dos chroniques, par exemple.

Je m’approche du mari et je lui parle des dangers de ces médicaments morphiniques. De la dépendance qu’ils provoquent. De la très grave crise des opioïdes aux Etats-Unis, où des millions de gens sont devenus accros à des produits légaux, comme l’oxycodon, le tramadol et le fentanyl, et où on déplore chaque années des milliers de morts par overdose. Que c’est un problème qu’on voit surgir en Europe aussi depuis quelques années, sans doute pas dans les mêmes proportions, mais que les choses n’évoluent pas dans le bon sens et qu’il faut les tenir à l’oeil.

L’homme m’écoute à peine... Rongé d’inquiétude, il observe sa femme qui dort. Pour lui, ce problème d’accoutumance aux antidouleurs semble très secondaire. Il a raison, me dis-je: cet homme n’a pas besoin d’une leçon de pharmacologie ou d’épidémiologie. Ce qui l’intéresse, c’est de savoir pourquoi sa femme a pris, délibérément, une quantité mortelle de cachets, pourquoi elle voulait « partir » et peut-être en finir... Je dis au mari qu’un psychiatre viendra parler à sa femme dès que celle-ci aura retrouvé sa lucidité. Mais cela non plus ne semble pas l’intéresser. Ce qu’il veut, c’est pouvoir lui parler lui-même.

Centre de prévention du suicide, ligne de crise: 0800 32 123 et www.preventionsuicide.be

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