© WIM KEMPENAERS

Où il est histoire de bananes...

Cela fait quelque temps déjà qu’elle a des maux de ventre, m’explique-t-elle en dépit de sa faible connaissance de la langue. Heureusement, cette femme de 55 ans maîtrise à la perfection la communication non-verbale. Je ne la connais pas très bien, car elle consulte en général un de mes confrères. La dernière fois que je l’ai vue, j’ai eu l’impression d’être une détective faisant le lien entre de nombreux indices disparates pour me faire un idée globale de la situation. Il m’est en effet difficile de lui poser des questions très précises. Mais en utilisant des applis de traduction pour certains termes médicaux, nous avons pu trouver ensemble à une solution.

Aujourd’hui, elle m’indique son bas-ventre, lève les sourcils et plisse le visage dans un grimace de douleur. Mentalement, je me mets à dresser la liste des causes possibles à cette douleur dans le bas-ventre, pour pouvoir les éliminer une à une.

Se pourrait-il qu’elle soit constipée? Je lui montre des images de selles de toutes les formes pour qu’elle me montre à quoi ressemblent les siennes. Elle grimace de plus belle, manière de me faire comprendre de passer à autre chose. Et de m’indiquer une forme de boudin lisse, et non les petites boulettes dures. Ce qui me permet d’exclure la constipation.

Peut-être a-t-elle mal au moment de la miction? Je lui indique un pot pour recueillir un échantillon d’urine, à quoi elle fait « non » de la tête, mais pour toute sécurité elle accepte de se diriger vers les toilettes. La languette que je plonge dans le petit pot est claire: il n’y a pas d’infection des voies urinaires.

Dernière piste possible: un problème gynécologique. Pour la première fois, je me heurte à la barrière de la langue, alors que je m’apprête à lui poser des questions sur sa vie sexuelle et son cycle menstruel. C’est un sujet que j’aborde toujours avec délicatesse, histoire de ne heurter aucune sensibilité. Cette fois, je m’efforce de prendre une voix aussi circonspecte que possible pour m’enquérir: « A-t-elle toujours une vie sexuelle? » « Sexe? », répète-t-elle avec un sourire. Elle fait signe que oui, presque d’un air de s’excuser. J’essaie de lui dire qu’il n’y a absolument aucune honte à avoir encore une vie sexuelle. Elle semble soulagée, puis esquisse un geste douloureux. Après quelques questions supplémentaires, il s’avère qu’elle a mal lors de la pénétration complète. Sa vie sexuelle en souffre, logiquement.

Il n’y a absolument aucune honte à avoir encore une vie sexuelle.

Elle m’autorise à lui faire un examen vaginal. Résultat: je soupçonne un kyste ovarien. Je lui prescris une visite approfondie chez le gynécologue. Une semaine plus tard, un e-mail m’informe du suivi. Le kyste a dû être retiré chirurgicalement, mais la patiente se porte bien et a pu quitter l’hôpital.

Peu de temps après, la voici qui revient à mon cabinet. Elle a fait enlever les points de suture posés, sur le bas-ventre, par mon confrère. Et de déposer tout à coup des bananes sur mon bureau. « Merci », me dit-elle avec un clin d’oeil. Quelque chose me dit que ce n’est pas uniquement à cause de mon diagnostic et de ma recommandation de l’envoyer consulter un gynécologue...

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