Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

Matériel médical jetable...

Près de la réception de l’unité chirurgicale, je croise un ancien confrère. Ex-chirurgien, il a pris sa pension depuis des années. Toujours enthousiaste, cet homme qui sauve des vies range des objets médicaux dans une caisse. Il me reconnaît. Nous nous mettons à bavarder. Je lui dis qu’il a l’air en forme. Me fiant à son teint bronzé, je lui demande s’il a pris des vacances. « Je rentre d’Afrique centrale, me répond-il. Mais ce n’étaient pas des vacances. Le but du voyage était d’offrir de l’aide médicale urgente. Le mois prochain j’y retourne, poursuit-il. Je viens vérifier s’il y a encore du matériel dont l’hôpital peut se passer.  » Et il m’indique les objets déposés dans son carton: apparemment, des pompes à perfusion. « Vous vous en séparez pour les remplacer par de nouvelles. Mais elles fonctionnent encore parfaitement. Ce serait idiot de les jeter! Là-bas, elles tomberont à point nommé. »

Traiter ou recycler les déchets médicaux coûte cher

Je lui souhaite bon voyage et entre au bloc opératoire. Une des infirmières qui m’assiste connaît le chirurgien en question. Mieux encore: elle l’a accompagné en mission pendant quelques mois. Cette jeune femme aime mettre à profit ses voyages à l’étranger pour apporter son aide dans les hôpitaux de pays en voie de développement. Elle nous raconte à quel point la situation peut être difficile là-bas. On manque de tout. Comme la procédure n’y est pas alourdie par les règles strictes d’application dans nos hôpitaux européens, l’ingéniosité ne connaît pas de limites. Elle raconte ainsi l’histoire d’un chirurgien orthopédiste qui, faute de matériel adéquat, a acheté dans un magasin de bricolage une perceuse et des vis pour réduire une fracture osseuse. Alors que nous écoutons, bouche bée, cette anecdote hallucinante, un infirmier en salle d’op fait tomber une sonde d’intubation. Sans vraiment y penser, il prend la sonde et la jette à la poubelle. Après tout, n’est-ce pas du matériel disposable comme on dit en anglais? Du matériel qu’on jette après usage, qu’on ne peut plus stériliser. Dans le monde des soins de santé, tout est désormais jetable. C’est tellement pratique! Mais c’est également très cher. Et, au final, la montagne de déchets ne fait que grossir... Traiter ou recycler les déchets médicaux coûte cher et va de pair avec une production accrue de CO2.

Tandis que les mots de l’infirmière résonnent encore à mes oreilles, je me dirige vers le service où mes patients ont été admis. Il est midi, l’heure du lunch. Dans une des chambres, j’observe un homme qui reçoit son repas chaud. Il est pâle, faible et grimace: apparemment, il n’a pas faim. L’infirmière, sans remord, jette le contenu du plateau à la poubelle. Et là je me dis que nous avons encore pas mal de chemin à parcourir...

Médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d’événements qui le touchent dans sa pratique.

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