Les grands classiques revisités

On a changé mon parfum! Voilà ce qu’on se dit parfois en humant tel ou tel grand classique qu’on a tant aimé. Pourquoi cette impression? Comment se laisse-t-on mener par le bout du nez? On vous dit tout.

Cela ne vous aura pas échappé: parmi les lancements de parfums, les vraies nouveautés sont bien plus rares que les énièmes déclinaisons de noms connus. On appelle ces  » avatars  » olfactifs des flankers. Mais pourquoi multiplier ainsi les lancements ? Avant tout, pour capitaliser sur un nom connu, affirmer sa présence et occuper le marché. Créer un nouveau parfum reste une aventure coûteuse et risquée. Il est plus simple de décliner une appellation déjà adoptée par la clientèle.

À cette stratégie s’ajoute l’évolution des goûts. Hier, les parfums chyprés, très « femme », très fleuris avaient la cote. Aujourd’hui, on apprécie les senteurs douces et sucrées, voire gourmandes. À l’exception notable de la parfumerie  » de niche  » et des lignes particulières (les Exclusifs de Chanel, les Hermessences chez Hermès, Giorgio Armani Privé, Maison Christian Dior, Prada Olfactories, Le Vestiaire des Parfums Saint Laurent...), on ne lance pas un parfum sans plan marketing. Vu le coût de l’opération, il faut que le succès soit au rendez-vous ! Les chiffres jouent le grand écart: chez Hermès, 400.000 nouveaux Twilly déferlent en parfumerie, contre seulement 5.000 flacons d’une nouvelle Hermessence.

Par définition, les déclinaisons d’un jus partent d’une même trame olfactive, quelle que soit la réinterprétation: fraîche, florale ou intense. Histoire de noyer le poisson, on retravaille le flacon, le packaging et la campagne publicitaire. Chez Lancôme, entre Idôle, sorti cet automne, et La Vie est belle (2012), sept ans se sont écoulés. Il était temps de sortir une vraie nouveauté aux notes gourmandes et puissantes, bien dans l’air du temps ! D’éditions collectors en flankers parfumés, près de 20 déclinaisons de La Vie est belle ont été lancées.

LE CODE A CHANGÉ

Vous avez toujours aimé l’Heure bleue et Shalimar de Guerlain, le N°5 de Chanel ou Miss Dior, et vous vous réjouissez de les trouver en parfumerie. Sauf que leur version 2019 vous semble un peu différente de l’original dont vous gardez un souvenir ému... C’est normal. Aujourd’hui, législation européenne oblige, certains ingrédients naturels ne sont plus autorisés. On les réinvente en version synthétique. C’est le cas du musc, de la civette et de la mousse de chêne.  » Parce qu’on soupçonne un élément d’être potentiellement allergène, on le bannit de nos formules !, s’insurge Thierry Wasser, parfumeur-créateur chez Guerlain. Mais c’est aller un peu vite en besogne, car notre patrimoine risque ainsi de disparaître. » Or, les formules de parfum ne font pas l’objet de brevets. Pas simple de les protéger dans ces conditions !

Si nos jus de prédilection changent au fil des ans, c’est aussi parce que les ingrédients naturels tilisés – rose, vétiver, thym, romarin, agrumes... – évoluent au gré des saisons ou du climat. Une rose est une rose est une rose... dit le poète. Pas si sûr ! Chez Guerlain, la signature olfactive provient notamment de la rose bulgare aux notes d’amande, de litchi et de framboise. Pour s’assurer un bon approvisionnement, la maison achète 10 % de la production bulgare.

RECRÉER LE DÉSIR

 » Les extensions olfactives ont pour but de recréer le désir autour de notes familières, en racontant l’histoire sous d’autres facettes. Cela permet de toucher les consommatrices habituelles en partant du constat que si on adore un parfum on peut en aimer différentes variations en fonction du moment ou des humeurs du jour, explique Julie Audouin-Urdangaray, directrice générale France chez Lancôme. Mais quand on connaît un grand succès avec un produit, on risque d’être réduit aux yeux du public à cette création. Avec Idôle, nous voulions montrer que le parfum chez Lancôme ne se résume pas qu’à Trésor ou La Vie est Belle, et que l’univers de la marque est bien plus riche que cela. « 

Certains y voient une façon de « rectifier le tir » en cas de lancement initial décevant ; d’autres tablent sur un succès avec l’intention de faire coup double ou triple. Le client, lui, a tendance à s’y perdre... La cadence est devenue telle qu’une marque ne peut pas proposer chaque année un nouveau jus, son identité se diluerait. Le patrimoine d’une maison exige une certaine cohérence.