DIRK DERAEDT MÉDECIN SPÉCIALISTE EN SOINS INTENSIFS, TIENT LA CHRONIQUE D'ÉVÉNEMENTS QUI LE TOUCHENT DANS SA PRATIQUE. © FRANK BAHNMÜLLER

Le parachute fonctionne

Les soins intensifs modernes sont une unité clinique ou hospitalière extraordinaire, où du personnel hautement qualifié et une machinerie complexe maintiennent en vie les patients en état critique.  » Pour un médecin à bout de ressources qui doit s’occuper d’un patient dans un service classique proche de l’effondrement, l’unité de soins intensifs offre la solution ultime « , m’a dit un collègue. Les soins intensifs sont en quelque sorte le parachute capable de freiner la chute libre de personnes en danger de mort, pour ralentir la spirale descendante de la maladie, jusqu’à – on l’espère – parvenir à la stabilité, puis à la guérison. Cet atterrissage en douceur n’est hélas pas toujours au rendez-vous.

un adieu fugace sans contact physique : c’est ce qui se produit avec les patients et la famille mais aussi avec le personnel.

Il en va de même pour les patients atteints de Covid-19. Chez un certain nombre de malades, la maladie provoque une pneumonie sévère, avec un manque d’oxygénation problématique. Pour ceux-là, il ne suffit pas d’administrer de l’oxygène via un simple masque. Il faut déployer le parachute de l’unité des soins intensifs. Aux soins intensifs, on pourra les oxygéner de façon plus efficace : à haut débit ou grâce à la ventilation artificielle. Dans ce cas-là, le patient est en général placé sous coma artificiel et intubé. Cette pression ventilatoire accrue a pour but de rouvrir les alvéoles. Il arrive aussi qu’on retourne le patient sur le ventre pour optimiser l’oxygénation de ses poumons.

Même si le syndrome de détresse respiratoire aigu sévère fait partie de la pratique quotidienne des urgentistes, parfois cet événement prend un aspect tout à fait particulier – c’est le cas quand on voit déferler un nombre inhabituel de patients et qu’on doit prendre des mesures d’isolement accrues. Pour les membres du personnel, devoir débarquer en tenue d’astronaute est loin d’être pratique, mais ce n’est rien comparé à l’impact psychologique de l’isolement sur un patient angoissé et à bout de souffle. Les passages en chambre sont réduits. Et la communication avec la famille doit se faire par appels vidéo.

Au départ, le patient Covid-19 est pris en charge par l’unité des maladies respiratoires. C’est là qu’il se trouve le mieux au début mais, par la suite, il arrive que les choses se dégradent subitement : le patient doit alors passer rapidement en soins intensifs. Là, tout est prévu pour qu’il soit placé en coma artificiel et sous ventilation mécanique, un processus qui durera des jours, voire des semaines. Quelques minutes avant de s’endormir, il fait signe à ses proches via l’écran d’une tablette, trop oppressé pour leur parler. Un adieu fugace sans possibilité de contact physique : c’est quelque chose qui se produit non seulement avec les patients et la famille, mais aussi, insidieusement, avec le personnel.

Aujourd’hui, je fais mes adieux à un autre patient, mais dans un sens positif fort heureusement : chez lui, hier, on a pu retirer la sonde d’intubation. Il respire à nouveau par lui-même et peut rejoindre le service normal. Le parachute a fonctionné.

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