© FRÉDÉRIC RAEVENS

 » Le loup, mon messager « 

Personnage central de la nouvelle BD du dessinateur gaumais, le loup est aussi l’emblème de son combat pour le respect de la nature.

Il y a trente ans,  » Tendre Violette  » a fait rêver d’innombrables lecteurs. Depuis, son dessinateur et scénariste a multiplié les rendez-vous historico- fantastiques, avec la Semois et sa Gaume adorée en toile de fond. Le loup est revenu régulièrement dans les histoires mises en cases et en phylactères par Jean-Claude Servais. Mais dans son nouvel album, l’animal qui l’a toujours fasciné n’est pas qu’un figurant. Il est en haut de l’affiche, dans le titre qui brille en lettres d’or sur la couverture. Premier de deux tomes,  » Le loup m’a dit  » nous alerte sur le besoin impérieux de respecter la nature.·

Pourquoi le loup comme fil rouge de deux albums, dont le premier,  » Le loup m’a dit « , vient de paraître?

Je pars souvent de récits fantastiques, basés sur des tradi- tions, des croyances populaires. Le loup en est un personnage récurrent et il m’a toujours fasciné. Avant, je voyais surtout son côté fantastique. Mon regard a changé quand on a commencé à parler du parc à loups du Gévaudan, fondé en Lozère il y a une trentaine d’années par Gérard Menatory. Lui allait s’asseoir parmi ses loups qui vivaient en semi-liberté. A l’époque, c’était très impressionnant. Depuis, j’ai appris plein de choses souvent à rebours des idées préconçues qui circulent à propos du loup. Celui-ci est intimement lié à la nature et à l’homme, comme associé ou comme concurrent, et cela m’a donné envie de m’y intéresser à nouveau de plus près.

© FRÉDÉRIC RAEVENS

Vous remettez aujourd’hui sur le devant de la scène ce vieux complice qui vous accompagne depuis trente ans...

Dessinateur de BD, c’est un peu comme un cuisinier. Je travaille avec les ingrédients de mon pays. Au fil des ans, je les accommode dans des plats différents. Moi, je reste sur un petit territoire, mais je suis un grand voyageur dans les thèmes et les sujets. J’ai voulu reprendre le loup avec toutes les connaissances que j’ai acquises. C’est aussi lié au retour du loup aujourd’hui. On l’a vu pas loin de chez moi, à Léglise ; on l’a aperçu dans les Fagnes et en Flandre.

En quoi vous fascine-t-il autant?

Cet animal très intelligent vit en communauté. Il ne peut pas manger des souris toute sa vie... Il doit faire partie d’une meute. Pour la chasse, il faut qu’il soit associé. Un loup ne peut pas réussir tout seul, et cela, ça correspond aussi à l’homme.

Quelle est la part de documentaire et de fiction dans  » Le loup m’a dit « ?

Au-travers du loup, je retrace l’histoire de l’Humanité. Comme l’homme, le loup est lié à la nature, mais au fil du temps, l’homme s’en est éloigné, par exemple en défrichant au Moyen-Age pour cultiver, puis de façon beaucoup plus nocive lors de la Révolution industrielle. Et ne parlons pas de ce qu’il se passe maintenant! Dans l’album, on voit comment tout cela a évolué, et on comprend comment on en arrive à des inepties avec des Trump et autres qui nient l’idée même du réchauffement climatique.

Mais où est la fiction?

Au-travers de certains personnages, comme Loba,  » louve  » en espagnol. Cette sorcière mexicaine ramasse les os d’animaux et lorsqu’elle arrive à reconstituer un squelette, elle redonne vie à l’animal. J’explore ainsi différentes pistes, comme le chamanisme.

Le premier tome va de la Préhistoire aux années 1970. Pourquoi concentrer le deuxième tome, à paraître fin 2021, aux cinquante dernières années?

Au début, on fait des sauts à travers les siècles, on rencontre de multiples personnages. Dans le deuxième tome, on suivra les mêmes personnages qui vieilliront et on verra les conséquences de leurs actes. Comme cet industriel – sans tomber dans le simplisme, il est un peu le méchant de mon histoire – qui, devant les menaces qui pèsent sur les usines polluantes, se lance dans l’éolien par attrait financier. Je me suis inspiré du combat que je mène contre un projet d’éoliennes dans la commune de Florenville.

D’une actualité purement locale, vous tirez des enseignements universels?

En fait, j’écris les synopsis de mes albums l’été dans un chalet au coeur d’un site Natura 2000 exceptionnel qui serait complètement encerclé par 3 éoliennes. Je ne peux pas accepter la mainmise du financier. Il faudra qu’ils me passent sur le corps! Cela m’a donné l’envie d’ancrer mon prochain album dans une réalité bien actuelle et donc d’en modifier le scénario.

Est-ce la première fois que vous faites évoluer un scénario en fonction de faits auxquels vous êtes confronté?

Oui, et ici, j’ai du vécu à raconter. Je suis un confiné permanent dans mon atelier. Je connais la forêt, les animaux que je côtoie régulièrement, et pour le reste, je me documente, je lis des contes, des légendes, et je réinvente des histoires. Cette fois, je vis au coeur d’une situation qui risque de voir des chauves-souris, des cigognes noires, toute une biodiversité se faire massacrer par ce projet. Ces industriels me font penser à des cow-boys en train de chercher des mines d’or, et ils espèrent les trouver chez les petits Indiens. Oui aux éoliennes le long des autoroutes, pas dans les bois.

Certains messages sont-ils plus faciles à faire passer via le loup?

Je fais en tout cas appel à la sagesse du loup pour transmettre certaines idées-force.

Quels autres animaux aimez-vous particulièrement dessiner?

Les buses, notamment. Dans les paysages, elles dominent, elles planent. La buse est aussi un carnassier. Et puis, de façon générale, le gibier: les cerfs, les chevreuils, les sangliers, etc.

La Gaume, votre pays, est souvent le décor de vos albums. A vos yeux, qu’y a-t-il de plus le long de la Semois?

La lumière. Nous sommes dans les feuillus. La Gaume a un côté plus féminin que l’Ardenne qui est aussi plus rude, avec le schiste. L’Ardenne a des diables ; en Gaume, on a des fées. Chez nous, la pierre est jaune, les paysages sont doux, le climat est plus chaud. L’accueil, aussi: le Gaumais a un côté chaleureux mais volatile, superficiel,  » du sud « , un peu marseillais. L’Ardennais est plus méfiant, plus rugueux. C’est sans doute caricatural, mais il y a de cela quand même. Surtout, la Gaume, c’est ma jeunesse, mes racines, la liberté...

Vous avez pourtant grandi à Liège.

Je suis né à Liège, mais mes parents étaient Gaumais tous les deux et je vis dans la maison de mon arrière-arrière-grand-mère maternelle. Mon père a fait des études d’ingénieur technicien à Gramme à Liège, et il s’y est ensuite établi pour son boulot. Nous avons habité à Embourg, mais je suis toujours revenu en vacances en Gaume. Dès que j’y arrivais, j’allais pêcher dans la Semois avec mes copains.

Aujourd’hui encore, vous passez beaucoup de temps en forêt. Percevez-vous une évolution de la biodiversité?

Sur certains plans, la biodiversité est certainement en danger, mais je vois aussi des signes encourageants. Je n’ai jamais croisé autant d’animaux que ces dernières années. Des cigognes noires, des milans, des chats sauvages... A chacun de nous de préserver ce capital naturel!

Pour la rentabilité ou pour les loisirs, c’est toujours l’homme qui essaie de reprendre le dessus et qui tue la nature. Moi, je suis un contemplatif. Il faut entrer humblement dans la forêt, se dire que ce n’est pas notre domaine, s’y intégrer doucement. Alors, la magie opère. Les jours d’été, je vais dans mon chalet d’écriture avec mon thermos, mes tartines, et j’ai ma réserve d’Orval pour la fin de journée.

Quand j’écris sur la terrasse de mon chalet qui donne sur un petit étang, tout vit. Je vois passer les animaux, je reste immobile et c’est tout simplement extraordinaire.

?  » Le loup m’a dit  » – Jean-Claude Servais – Editions Dupuis/coll. Aire libre ?* Exposition  » Au-delà du trait « , 120 planches originales et scénographie, Musée de la Grande Ardenne-Piconrue à Bastogne, jusqu’au 18 avril 2021. www.piconrue.be

Jean-Claude Servais

1956

Naissance à Liège

1976

Diplômé en arts graphiques à l’institut Saint-Luc à Liège

1982

Premier tome de  » Tendre Violette  »

1985-86

Trilogie  » Les saisons de la vie  »

1989

 » L’appel de la Baronne « , sur un scénario de Julos Beaucarne

2009

 » Orval  »

2014-17

 » Les Chemins de Compostelle  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire