Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

La nicotine, malgré tout

Médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d’événements qui le touchent dans sa pratique.

Consultation pré-opération chirurgicale. Devant moi, un homme, nerveux, qui doit bientôt se faire opérer. A côté de lui, son épouse, assise sur le bord de sa chaise. Il est évident que c’est elle qui porte la culotte dans le couple.

Je pose une série de questions de routine: nom, date de naissance... Question après question, c’est la femme qui répond à la place de son mari, comme si elle était la mère d’un enfant en bas âge. Ou l’avocate d’un prévenu face au juge. De quelle opération s’agit-il? Une opération des poumons, répond encore l’épouse. Cette fois, j’interviens, cordialement mais fermement: « Est-ce que monsieur pourrait répondre lui-même? C’est lui qui va se faire opérer... ». Gêné, l’homme regarde les papiers qu’il tient à la main. Sa femme pince les lèvres. Bah, ça part d’un bon sentiment, je suppose. Ces deux-là forment sans aucun doute un couple solide depuis des décennies: elle est la bavarde qui s’occupe de tout, lui le taciturne qui bricole dans la maison.

Dans tous ces graves problèmes de santé, le tabac joue un rôle indéniable!

Mais l’homme a des raisons d’être nerveux. Il articule, hésitant: « Cancer du poumon. On doit retirer le lobe supérieur de mon poumon gauche », explique-t-il. Dans son dossier, je lis qu’en effet, il souffre d’un carcinome pulmonaire. Je lui explique comment va se dérouler l’anesthésie. « Je sais, m’interrompt-il. J’ai déjà vécu tout cela quand on m’a enlevé, il y a cinq ans, le lobe inférieur du poumon droit.  » J’examine à nouveau son dossier. C’est exact: ce sera donc sa deuxième opération aux poumons. Une récidive de cancer: double malchance.Je lis aussi que ce patient a fumé pendant de longues années, pendant exactement cinquante-deux ans. Je lui demande, sans ironie, s’il a arrêté de fumer...

L’homme détourne à nouveau le regard, visiblement ennuyé. « Hélas non, docteur. » C’est sa femme qui répond à nouveau pour lui, sur le ton de la réprimande. « Il a essayé plusieurs fois d’arrêter ». Et de me résumer les vaines tentatives: « Il a essayé une première fois d’arrêter après son infarctus, il y a vingt ans. Puis une deuxième fois après avoir eu un cancer de la vessie. Et une troisième fois quand on lui a diagnostiqué un cancer du poumon. » Je n’en reviens pas. Dans tous ces graves problèmes de santé, le tabac joue un rôle indéniable. Ces maladies auraient pu le tuer: mais que faut-il donc de plus pour effrayer quelqu’un et l’inciter – enfin – à cesser de fumer? Pourtant, cet homme continue! Cela montre à quel point la nicotine induit une dépendance...

« Ce sont mes nerfs », se défend-il. Je me déclare désolé pour lui et lui souhaite le meilleur pour son opération. « Cette fois, je vais vraiment arrêter, docteur », balbutie-t-il, comme s’il devait se justifier devant moi. Sa femme le prend par le bras et l’entraîne hors du cabinet.

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