GUY LEGRAND ANCIEN RÉDACTEUR EN CHEF DE CASH! © FRANK BAHNMÜLLER

La bouilloire et le pigeon

En juin 1987, j’étais soi-disant devenu propriétaire de 3.000 actions Chatsworth Enterprises Inc. A 2,50 $ l’unité, soit pour un total de 7.747,50 $, frais compris. C’est ce que m’apprit un document envoyé à la rédaction par la firme Equity Management Services (EMS), établie à Genève, que j’ai retrouvé dans mes archives. Avais-je été appelé au téléphone par EMS, ou bien est-ce moi qui avais pris l’initiative du contact, pour me faire une idée des pratiques de cette société douteuse et, ainsi, pouvoir mettre mes lecteurs en garde ? Je ne sais plus. Quoi qu’il en soit, je n’ai évidemment pas donné suite, même si le document en question se présentait comme un achat ferme réalisé pour mon compte.

Les grands escrocs sont d’autant plus dangereux qu’ils sont diaboliquement intelligents

Leçon n°1 : les escrocs ont pour habitude de vous faire une proposition... qui se transforme rapidement en opération déjà réalisée. La technique du fait accompli. Escrocs ? Le mot n’est pas trop fort car, un an plus tard, le scandale éclata : Thomas Quinn, le cerveau d’EMS, fut arrêté par la police française dans sa villa de Cannes, tandis qu’une vingtaine de ses complices étaient appréhendés en France, en Suisse et en Allemagne. Le mois précédent, une réunion tenue à Washington avait réuni la SEC, le gendarme des marchés financiers américains, le FBI et des enquêteurs de 8 pays européens. Montant estimé de l’escroquerie : 500 millions de dollars.

La société EMS vendait-elle des actions  » bidon  » ? Pas du tout... mais cela revient au même. Explication : aux Etats-Unis, le marché appelé over the counter (que l’on peut traduire par  » hors cote « , ou  » hors Bourse « ) rassemble des milliers d’entreprises qui, au mieux, vivotent misérablement, au pire, ont cessé toute activité. Les escrocs achètent une énorme quantité de leurs actions pour quelques cents pièce, puis font artificiellement monter le cours, pour les revendre ensuite plusieurs dollars. Et ceci en démarchant un large public par téléphone, au départ de ce qu’on appelle une boiler room, littéralement une pièce-bouilloire, car c’est là qu’une équipe de vendeurs de mauvaise foi mais d’excellent entraînement fait monter la pression sur les  » pigeons « .

Leçon n°2 : les escrocs sont des gens intelligents, maîtres du baratin.Le document envoyé par Equity Management Services était accompagné d’une petite lettre financière pompeusement appelée  » The Swiss Analyst « . Ses 4 pages d’analyse financière se terminaient par... quelques paragraphes à la gloire de la très prometteuse société Chatsworth Enterprises, bien entendu !

Leçon n°3 : les escrocs noient généralement le poisson (pourri) dans un emballage au parfum de finance fort sérieuse. Les officines douteuses de ce genre furent nombreuses dans les années 80 et 90. Le paysage s’est modifié depuis, mais les aigrefins n’ont pas disparu et les leçons de l’époque restent largement valables.

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