DIRK DERAEDT MÉDECIN SPÉCIALISTE EN SOINS INTENSIFS, TIENT LA CHRONIQUE D'ÉVÉNEMENTS QUI LE TOUCHENT DANS SA PRATIQUE. © FRANK BAHNMÜLLER

L’homme qui joue ludens

J’avais prévu, avec quelques amis, d’aller faire de la voile en Méditerranée cet été. Le coronavirus en a décidé autrement : notre petit séjour a été remis à plus tard. Dommage. Mais il y a apparemment pire pour l’un de mes compagnons de voyage...

Lui : « Tomorrowland est annulé, c’est moche « .

Nous :  » Moche, comment cela ? Tu veux dire pour tes ados ?  »

Lui :  » Non, pour moi : c’est quand même le moment le plus sympa de l’année, trois journées de danse et de fiesta non-stop !  »

Pour être tout à fait clair, je précise : notre copain n’a plus 20 ans – ni même 30 ou 40, d’ailleurs...

C’est un signe des temps : les adultes s’efforcent d’oublier leur âge, pour se concentrer sur un mode de vie aussi récréatif que possible. Homo ludens : nous sommes à l’ère de l’homme épris de divertissement, même une fois le cap de la pension approchant, voire dépassé. Le fun et le sport comme thérapies comportementales. C’est surtout le sport qui est bénéfique pour la santé : l’activité physique est un pilier essentiel dans un mode de vie sain. Il s’agit, là comme ailleurs, de repousser les limites, y compris au plan physiologique. Parfois littéralement : mon quasi-voisin, Herman De Ridder, a fait les gros titres, l’année passée, lorsqu’il a pulvérisé le record belge à vélo pour les 80 ans et plus. Le fruit d’une longue pratique sportive hyper disciplinée, et l’héritage de bons gènes, bien sûr.

Blaise Pascal doit se retourner dans sa tombe...

Pourtant, cela n’est pas sans risque. Le philosophe français Blaise Pascal le pensait déjà :  » J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, de ne savoir pas se tenir en repos dans une chambre  » (la version XVIIe siècle du « restez chez vous »). Mais se confiner chez soi devient vite monotone et amène, par-dessus le marché, à méditer sur la finalité de la vie. Au lieu de nous calfeutrer, malheureux, entre quatre murs, nous préférons fuir à l’extérieur pour ne plus trop penser. Sauf qu’il y a parfois un prix à payer pour cette existence ludique. Un prix qui a tendance à augmenter avec les années. Une chute pendant une activité sportive peut causer des blessures plus problématiquesavec l’âge. Ainsi, on se déchirera plus facilement le tendon. Un muscle cardiaque qui a déjà derrière lui de nombreuses décennies de travail et d’efforts sera plus sensible au stress et au manque d’oxygène. Résultat, il arrive qu’un infarctus du myocarde signe la fin de séances de sport intensif.

Et si on élargit un peu le concept récréatif, il faut savoir que les substances prohibées ont, elles aussi, des effets plus nocifs sur un organisme d’un certain âge. Un jour, j’ai regardé les yeux dans les yeux un homme de 60 ans qui avait été admis aux urgences pour une arythmie cardiaque après avoir consommé de la cocaïne. Ses pupilles étaient normales, il était calme. Mais son coeur battait encore irrégulièrement.  » Vous démolissez votre corps « , lui ai-je dit. Il m’a répondu du tac au tac : « Peut-être, mais au moins j’aurai vécu ».

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