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L’art de la consolation

Dans son dernier livre, le Dr Christophe André se penche sur la consolation. Délicate, subtile et indispensable, elle aide à remettre le pied à l’étrier de la vie quand l’infortune nous met à terre.

« Bien plus qu’un réconfort passager, la consolation est un moyen de vivre avec les orages et nous remet en lien avec le monde », nous dit joliment Christophe André, psychiatre et psychothérapeute bien connu à travers ses nombreux livres et ses interventions publiques sur la psychologie, le développement personnel et la pleine conscience.

Il a eu, bien malgré lui, « l’occasion » d’expérimenter le pouvoir de la consolation lorsque, il y a six ans, une maladie grave l’a fait passer de l’autre côté de la barrière, celui des patients.

« J’ai eu un cancer, raconte-t-il. Pendant mon parcours de soins, je me suis rendu compte à quel point chaque petit détail pouvait me faire du bien ou du mal. J’étais bien traité sur le plan médical mais certains soignants étaient consolateurs et d’autres ne l’étaient pas. Un simple sourire, la moindre attention, le moindre copeau de bienveillance ou de beauté, l’impression qu’on prenait soin de moi au-delà des traitements... tout cela me faisait du bien psychologiquement et j’avais l’impression que ça passait aussi dans mon corps, que ça l’aidait à se détendre et à se renforcer. À l’inverse, l’absence de ces petites attentions me donnait froid, me faisait mal, me procurait de l’inquiétude et de la détresse. Peu à peu, j’ai ainsi réalisé que la dimension de la médecine s’étend bien au-delà de l’excellence technique des thérapies et des prises en charge. Elle doit aussi englober tous ces petits gestes d’humanité.

Christophe, André (2022). Consolations. Celles que l'on reçoit et celles que l'on donne. Paris: L'Iconoclaste, 330 p.
Christophe, André (2022). Consolations. Celles que l’on reçoit et celles que l’on donne. Paris: L’Iconoclaste, 330 p.

En tant que médecin, j’étais plutôt gentil. Mes patients m’aimaient bien, me trouvaient réconfortant et chaleureux. Même si je savais ces qualités importantes, je n’avais jamais réfléchi à l’essence même de la consolation jusqu’à ma maladie. Et là, je me suis dit « Tiens, si tu t’en sors, tu peux faire le voeu de te pencher davantage sur cette dimension « . C’est ainsi que Christophe André a écrit un livre de plus de 300 pages entièrement dédié aux consolations. Un livre consolateur à lui tout seul...

LA SOUFFRANCE ISOLE, LE LIEN CONSOLE

« Quand on souffre, le mouvement naturel, c’est de s’isoler dans son chagrin et de se couper du monde, nous dit Christophe André. La consolation, c’est tout ce qu’on fait pour une personne quand on ne peut pas régler son problème, parce qu’on ne peut pas la laisser comme ça, sans réconfort, sans bienveillance, sans attention. C’est un processus de réparation tourné vers la personne et non vers la situation qui la fait souffrir. En réveillant l’élan de vie, l’envie d’être heureux propre à tout être, la consolation remet la personne en lien avec le monde. Elle la remet aussi en lien avec les gens qui l’entourent. »

CONSOLER N’EST PAS VOULOIR GUÉRIR

Les erreurs les plus répandues en matière de consolation consistent à exhorter une personne dans la peine à reprendre espoir, courage, à chercher des solutions et à lui prodiguer des conseils.

« Quand on est face à un être en souffrance, on voudrait effacer son chagrin. C’est normal mais ça n’est pas de la consolation. Dans l’Antiquité, les auteurs qui se penchaient sur ce sujet conseillaient déjà de ne pas se précipiter sur la douleur, ni intervenir de façon trop rapide en voulant faire cesser les larmes, car cela aggrave souvent la situation. Une personne dans le chagrin ne sait pas écouter des discours trop élaborés. Il faut donc commencer par des choses basiques: simplement faire en sorte que l’autre ne se sente pas seul face à la douleur en offrant une présence soutenante, attentive, aimante, bienveillante, de la douceur, une aide concrète. »

SE LAISSER CONSOLER...

La consolation s’offre. Elle se reçoit aussi. « Pour se laisser consoler, il faut accepter d’être blessé, vulnérable et dans une situation d’infériorité, même transitoire. C’est dur pour pas mal de gens. De nombreux hommes n’aiment pas ça. Des stéréotypes culturels les incitent à ne pas avouer qu’ils sont malheureux ou en détresse. Il y a aussi une question de génération: les gens au-delà de la cinquantaine ont souvent été éduqués dans l’idée qu’il ne faut pas se plaindre. »

Il arrive que la fierté empêche de se laisser consoler. « Certains pensent que ce sont les vaincus qu’on console et ne veulent pas qu’on les imagine ayant perdu la partie. Les narcissiques par exemple ne veulent pas être consolés car ça les banalise, alors qu’ils désirent être uniques. Ils cherchent plutôt à être plaints, à recevoir de l’attention et de l’admiration pour leur capacité à faire face à l’adversité et à souffrir. »

... ET S’AUTOCONSOLER

Parce qu’on ne peut pas passer sa vie à être consolé ni à attendre que ces choses-là viennent de l’extérieur, il faut à un moment donné se remettre en marche et s’appliquer à se consoler par soi-même. « La nature, l’art, les animaux, la beauté, la prière, le sport, les actions du quotidien, etc. sont autant de moyens de s’autoconsoler. Toutes ces choses qui nous appartiennent et que nous sommes seuls à pouvoir accomplir sont très importantes. Elles prolongent les consolations reçues d’autrui et aident à se remettre en lien avec la vie, le monde et soi-même. »

LES PAROLES ET LES GESTES QUI CONSOLENT

Comment consoler une personne qui vient de perdre un être cher?

Plus la peine est grande, plus il convient de minimiser son message et se recentrer sur l’essentiel. Il ne faut donc pas forcément parler du deuil mais dire simplement: « Je t’aime, je suis là. Je peux t’aider pour toutes les choses compliquées auxquelles tu dois faire face. Dis-moi de quelle manière je peux concrètement te venir en aide... ».

Que dire à un.e malade?

Je vois bien que tu as beaucoup de souci avec ta maladie. Je ne suis pas médecin et je n’ai pas de baguette magique. Si je le pouvais, je te guérirais. Je peux néanmoins t’offrir mon affection et mon aide. Tout ce qui te permet d’économiser tes forces et de te changer les idées est bon pour combattre ta maladie. Il est donc important que je t’aide à alléger ton fardeau. Y a-t-il des choses concrètes qui pourraient te simplifier un peu la vie et te changer les idées?

Comment consoler une personne dépressive?

Il y a souvent des idées reçues sur la dépression. Les gens se sur-culpabilisent de se sentir déprimés et pensent qu’on ne comprend pas ce qui leur arrive.

« Je sais que la dépression est une maladie, qu’elle n’a rien à voir avec le fait de se laisser aller. Tu souffres beaucoup et je souhaite t’aider », sont des paroles soutenantes.

Toutes les études montrent que pour aider une personne dépressive, il est important de faire des choses avec elle. Il ne faut surtout pas lui dire « Secoue-toi. Va marcher. Range ton appartement! » mais bien « Je veux t’aider et t’accompagner. Rangeons un peu ton salon. Viens avec moi, allons marcher. »

Peur de commettre une maladresse?

Contrairement à certains auteurs qui considèrent que la consolation maladroite est ce qu’il y a de pire car elle ravive la peine, je pense qu’une maladresse est préférable à une fuite ou une absence. Au moins, une consolation maladroite va redonner un peu de vie car elle agace et énerve. Cela permet de ressentir quelque chose même s’il s’agit d’une émotion négative, de se remettre ainsi en lien avec le monde extérieur et de se réorganiser.

Par contre, se sentir abandonné et penser que le monde s’en fout, je crois que c’est beaucoup plus toxique. C’est la pire des choses!

Si on ne se sent pas à l’aise, on peut manifester sa présence et son soutien à distance, avec un SMS, une lettre, un petit message audio ou vidéo dans lequel on dit des choses très simples. Cette méthode permet de réfléchir avant d’envoyer son message.

CHRISTOPHE ANDRÉ, Psychiatre / Psychothérapeute
CHRISTOPHE ANDRÉ, Psychiatre / Psychothérapeute

Nul ne devrait être laissé seul dans la peine

Ce qui rend les épreuves encore plus terribles et parfois insurmontables, c’est de devoir les traverser dans la solitude, sans soutien ni réconfort. C’est notamment quand elle fait défaut qu’on réalise la puissance et la richesse de la consolation. Car elle contribue à rendre la vie humaine, quoi qu’il arrive, malgré tout. On comprend alors pourquoi la consolation est un des visages de l’amour.

Sans la consolation, cette expression de la bienveillance face à la détresse, cette mise en gestes et en mots de la compassion, le monde serait sinistre et dur, irrespirable.

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