Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

Home sweet home

Une femme entre dans notre service après un problème consécutif à son opération de la hanche. Elle est pensionnée et n’a pas plus de famille directe, à l’exception de lointains neveux et cousins. Les visites sont donc rares, hormis des voisins et une ou deux amies.

Lors de notre réunion de service, nous évoquons la santé mentale de cette patiente. Car quelque chose ne tourne pas rond. Elle ne présente pas les problèmes psychologiques souvent observés chez les personnes âgées hospitalisées ; chez cette femme, nul signe de confusion, ni d’angoisse de la mort. C’est plus subtil: depuis sa prise en charge, elle présente une certaine mélancolie, trop légère pour être qualifiée de dépression. Pourtant, elle affirme que tout va bien: elle voudrait simplement rentrer chez elle.

Jour après jour, la femme se fait plus silencieuse... sauf pour demander quand elle pourra rentrer à la maison. Elle n’a même plus envie de faire ses exercices de kiné. Elle ne parle plus et regarde tristement par la fenêtre. A quoi pense-t-elle? J’essaie d’en savoir plus. J’appelle la personne de contact de ma patiente: une voisine qui règle toutes sortes de formalités pour elle. Je lui explique la situation: physiquement, la personne se rétablit, mais nous sommes inquiets pour son moral. Je demande si ce « down » est habituel, mais la voisine ne sait pas trop. Le généraliste ne peut pas davantage m’éclairer. « C’est d’habitude une femme gaie, à l’humeur égale », assure-t-il.

Jour après jour, la patiente se fait plus silencieuse... sauf pour demander quand elle pourra rentrer à la maison.

Le lendemain, dans le couloir, je tombe par hasard sur une visiteuse qui sort de la chambre de cette patiente.

« Vous êtes le médecin? », me demande-t-elle.

« Oui, et vous êtes la voisine?  »

« Oui, c’est moi », me répond la dame. « Je sais ce que c’est », poursuit-elle.

Je la regarde d’un air interrogateur...

« Pourquoi elle reste silencieuse, explique-t-elle. Et pourquoi elle veut rentrer chez elle. »

« Ah bon? » fais-je, curieux.

« C’est Jack! Jack lui manque. »

« Jack? Je ne savais pas qu’elle était en couple, dis-je, surpris. Pourquoi son compagnon n’est-il pas encore venu la voir? Il est alité? Ou peut-être à l’étranger? Ou alors, il... »

La voisine interrompt mes questions: « Non, non, non... Jack, c’est son perroquet, son fidèle compagnon depuis plus de douze ans. »

Soudain, tout devient clair. La patiente est bouleversée d’être séparée de son cher perroquet. Pourquoi ne l’a-t-elle pas dit? Le remède est évident. En accord avec un orthopédiste compréhensif, nous allons raccourcir la procédure hospitalière: mettre en place des soins et des séances de kinésithérapie à domicile, ce qui permettra à cette femme de rentrer chez elle. Quelques jours plus tard, je vois ma patiente en chaise roulante, poussée vers la sortie par sa voisine, en route pour son domicile. Rayonnante.

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