© WIM KEMPENAERS

Gare aux harceleurs!

C’est une fillette de 7 ans qui arrive dans le sillage de son grand-père. Ils franchissent le seuil de mon cabinet. Je connais le grand-père depuis longtemps. Il me salue chaleureusement et bien qu’il soit de nature extrêmement bavarde, il s’oblige à rester en retrait. Pour la première fois, il prend place sur le siège le plus éloigné et encourage sa petite-fille à parler. Elle offre un contraste frappant avec son papy et ne cesse de jeter des regards par-dessus son épaule, comme pour réclamer son aide.

Le grand-père lui adresse un clin d’oeil. Mais son regard pétillant se voile en même temps de sérieux: il m’explique que sa petite-fille se plaint depuis quelques semaines de crampes au ventre. Elle garde les yeux rivés sur ses mains, s’efforçant d’éviter mon regard, et c’est de manière non-verbale qu’elle répond à mes questions. Non, elle n’a pas (eu) de fièvre, ni de vomissements, pas plus que de douleurs en faisant pipi. Elle parvient à me décrire ses selles, qui semblent normales. Tout cela est en soit très rassurant. Je lui demande si elle veut bien que je l’ausculte. Elle accepte et s’installe sur la table. Quand je lui soulève son pull, elle m’indique son nombril. C’est là qu’elle a mal.

Ce sont les harceleurs qui ont un problème, pas toi!

Pourtant son ventre est souple. Rien à signaler dans la région autour de l’ombilic. La petite est soulagée quand je lui dis qu’elle peut aller se rasseoir. J’en profite pour lui demander comment elle va. Haussement d’épaules. Je décide de me montrer plus précise: « Et à l’école, ça se passe bien? » Son papy vante ses bons résultats scolaires, mais il laisse également entendre que les choses semblent un peu plus compliquées depuis quelques semaines. La petite lève les yeux au ciel, un peu gênée. « En classe, tous les enfants sont gentils avec toi? » Elle me regarde droit dans les yeux et secoue la tête.

Son grand-père semble ébahi. Il se rapproche d’elle et prend sa main. « Pourquoi le dis-tu seulement maintenant? » En chuchotant, elle ajoute qu’elle a peur que ce soit de sa faute. « Vous allez dire, vous aussi, que je suis un peu bizarre. Et alors, peut-être que vous ne voudrez plus parler avec moi. » Le grand-père la prend sur ses genoux et la serre dans ses bras. Il lui murmure quelque chose à l’oreille, assez fort pour que je puisse entendre: il assure être très fier d’elle. J’y ajoute ce qu’on m’a dit un jour: « Ce sont les harceleurs qui ont un problème, pas toi. » Elle acquiesce, d’un air dubitatif. Le grand-père avoue qu’enfant, il lui est arrivé de se montrer méchant avec un autre. « En fait, je crois que j’étais jaloux. Je rêvais de ressembler à ce camarade de classe. »

Elle écarquille les yeux, stupéfaire. Jusque-là, elle n’avait jamais entendu le point de vue du harceleur. Son papy lui propose d’aller trouver tous les deux la maîtresse d’école pour en parler. C’est une excellente idée, car cette situation inconfortable semble lui peser tant physiquement que psychologiquement. Main dans la main, tous deux quittent mon cabinet. J’espère que la petite pourra bientôt gambader à nouveau dans la cour de récréation avec toute l’insouciance à laquelle elle a droit.

Médecin généraliste en formation écrit sur les sujets qui la touchent

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