Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

Deux vies très différentes

Il m’est arrivé de devoir prendre en charge le même jour deux patients après une réanimation. En soi, rien d’exceptionnel – des gens vont en réanimation tous les jours -, si ce n’est le fait qu’il s’agissait ici de deux hommes âgés de 80 ans passés en réanimation pour la même raison – un problème cardiaque -, et qu’ils n’ont pas récupéré comme nous l’espérions. Il est vite apparu qu’ils ne survivraient pas. Voilà pour les points communs. La différence réside dans la façon dont la famille a réagi à la mauvaise nouvelle.

L’une n’a pas caché son soulagement. Les enfants étaient convaincus que leur père n’aurait pas voulu survivre. Sa qualité de vie était déjà très moyenne. Il n’était pas en bonne santé et sortait peu, se bornant à compter les heures qui le séparaient du soir et du moment de regagner son lit. Jamais il n’aurait voulu survivre à l’état de légume. Cela faisait pourtant des jours qu’il était à l’hôpital, entouré d’un appareillage médical destiné à le maintenir en vie. Tout cela n’augurait rien de bon. Le fait que nous envisagions de suspendre le traitement a provoqué le soulagement de ses proches.

Dans l’autre famille, c’est l’incrédulité qui prévalait. Personne ne pouvait se faire à la triste nouvelle d’une fin toute proche. Ils gardaient de leur père et grand-père l’image d’un homme plein de vie, un homme qui n’avait jamais eu de moment de faiblesse. Un grand voyageur, qui aimait s’activer dans son jardin et passait encore chaque jour donner un coup de main dans l’entreprise familiale. Un battant, un dur. Non, il ne pouvait pas être en fin de vie. Pas encore. S’il y avait le moindre espoir, nous devions tout tenter.

Le contraste n’aurait pu être plus fort entre ces deux familles. L’une trouvait que nous n’avions que trop prolongé les choses ; l’autre que nous étions trop pessimistes. Deux réactions parfaitement compréhensibles, surtout si on considère l’état de départ des deux hommes: l’un, très affaibli, avait sa vie derrière lui ; l’autre était encore plein de vitalité et d’énergie.

En réanimation, de nombreux facteurs déterminent les chances de réussite. En soi, être en bonne santé est un gage de guérison. Il est rare que cela se passe comme dans les séries télé, où le patient, à peine sorti de réa, se retrouve assis dans son lit, comme si de rien n’était. Pourtant – et c’est heureux – les réanimations sont souvent des succès, même chez les personnes âgées, et même si elles n’étaient pas en parfaite santé.

Parfois, il y a des raisons de ne pas réanimer un patient: soit à cause de sa situation médicale, soit parce que tel est son souhait explicite. Dans ce cas, il est important que cela soit mentionné clairement, pour que les équipes ne lancent pas une procédure inutile.

En cas de doute, surtout si le patient est très âgé, il faut avoir le courage d’y réfléchir et de trancher pour ou contre la réanimation. Les médecins peuvent aider à la décision. Et permettre d’y voir plus clair.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire