DIRK DERAEDT MÉDECIN SPÉCIALISTE EN SOINS INTENSIFS, TIENT LA CHRONIQUE D'ÉVÉNEMENTS QUI LE TOUCHENT DANS SA PRATIQUE. © FRANK BAHNMÜLLER

Coma éthylique

Petits enfants, petits problèmes. Grands enfants, grands problèmes. C’est à la seconde partie de l’adage que je pensais, l’autre soir, tandis que nous prenions en charge une jeune femme inconsciente, en état d’intoxication aiguë due à l’alcool. Autrement dit : un coma éthylique dû au binge drinking.

Ses amies – pas des exemples de sobriété, elles non plus -, attendent, anxieuses, dans le couloir, et m’expliquent qu’il y a eu un problème pendant qu’elles s’amusaient à boire beaucoup, et vite. Une mode appelée binge drinking à laquelle pas mal de jeunes s’adonnent, histoire d’être vite ivres pour pas cher. Les « avantages » du binge drinking sont doubles : on se met dans l’ambiance en un temps record et on réduit sa consommation pendant le restant de la soirée.

Ici, il s’agissait de vider une bouteille de vodka en se la passant de bouche en bouche. La patiente en état de coma éthylique avait bu la majeure partie de la bouteille, ce qui, chez une jeune femme d’une cinquantaine de kilos, a eu pour résultat de la plonger dans l’inconscience et de lui faire perdre ses réflexes de déglutition et de respiration. Taux d’alcool dans le sang : 3,5 ?.

C’est donc un corps blême et avachi que nous découvrons sur le brancard. Son estomac se vide. Une odeur de viande à pitta et d’alcool envahit la salle des urgences. Pour empêcher que le reflux ne vienne obstruer ses poumons, nous l’intubons pour l’aider à respirer.

Pour le reste, il faut laisser le temps au temps. Et, en effet, deux ou trois heures plus tard, au milieu de la nuit, la jeune femme reprend à moitié conscience et arrache sa sonde d’intubation en toussant. Puis, tout en ronflant, elle se tourne sur le côté, continuant à dormir comme si de rien n’était.

Le lendemain matin, lorsque j’entre dans sa chambre, elle est toujours allongée dans la même position, petite boule recroquevillée sous la couverture. Lorsque mon téléphone se met à sonner, sa masse informe remue et elle grommelle d’un ton passablement excédé : « Pourrais pas faire un peu moins de bruit?  » Je me présente, je lui sers mon petit laïus, comme quoi l’abus de l’alcool est dangereux, et qu’elle a énormément de chance et que... Mais elle ne m’écoute pas et me rabroue : « Je veux rentrer chez moi. Maintenant. » Elle tâtonne à la recherche de son smartphone. « Mon père va venir me chercher » sont les derniers mots qu’elle m’adresse.

Une heure plus tard, son père entre au service des soins intensifs, un sac de vêtements propres sous le bras. L’homme exhale un mélange d’anxiété, de colère et de honte à l’endroit de sa progéniture.

Très pâle et cernée, sa fille fait impatiemment les cent pas dans le couloir. Le père me lance un regard plein d’excuses et j’ai l’impression de l’entendre penser très fort : grands enfants, grands problèmes.

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