Dirk Deraedt, médecin spécialiste en soins intensifs, tient la chronique d'événements qui le touchent dans sa pratique. © FRANK BAHNMÜLLER

Client mystère

Mon fils a dû se faire opérer des dents de sagesse, en one day clinic, dans un hôpital où je n’ai jamais travaillé. J’avoue que j’étais curieux de savoir comment les choses se allaient se passer dans cet autre établissement.

Le jour dit, me voilà bien résolu à me limiter à jouer mon rôle de père et à ne pas dévoiler que je suis médecin. Je tiens à vivre une expérience de « client normal ». Donc pas de conversation avec mes confrères. J’entends rester un mystery guest, un client mystère, du début à la fin.

Au moment de notre admission, légère confusion: on nous attend en pédiatrie, et non en one day clinic comme prévu. Le garçon avec lequel mon fils partage une chambre est en avance sur le planning: alors que nous nous installons, il prend déjà le chemin du bloc opératoire, avant de réapparaître moins d’une heure plus tard. « Eh bien, ça ne traîne pas! » Je demande au père si son fils est aussi opéré des dents de sagesse. L’homme aquiesce. Puis vient le tour de mon fils. J’esquisse un geste pour l’accompagner, mais on me demande de rester dans la chambre: à 15 ans, il est un peu grand pour que son père le chaperonne.

Ce qui n’est que routine pour le corps médical est un événement unique et stressant pour le patient!

J’attends donc. 1 heure. 2 heures. 3 heures s’écoulent... Je fais les cent pas dans le couloir. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond? Toutes sortes de scénarios horrifiques me traversent l’esprit. Je suis sur le point de demander au bureau des infirmières pourquoi cela dure si longtemps. Mais je me raisonne: ne te ridiculise pas! Juste à cet instant, on ramène mon fils dans la chambre. Bien réveillé et tout sourire, malgré son visage enflé.

Un peu plus tard, le chirurgien entre. Il nous explique à toute vitesse ce que nous devrons faire à la maison. Avant que j’aie le temps de lui poser la moindre question, l’homme – néanmoins sympathique – a tourné les talons pour entrer dans la chambre suivante. J’ai déjà oublié la moitié de ce qu’il vient de nous dire. Reste à espérer que tout soit bien détaillé dans les instructions écrites qu’il nous a remises...

Nous rentrons à la maison, soulagés: mon fils a été pris en charge de manière professionnelle et le personnel était très gentil. Mais question communication, disons qu’il y a une marge d’amélioration... Des informations plus détaillées sur la routine à suivre auraient été bienvenues, ainsi qu’un message rassurant venu du bloc expliquant les trois heures d’attente. Et le spécialiste aurait pu nous consacrer plus de temps.

Ce type d’expérience incognito m’amène à porter un regard plus critique sur ma propre pratique. Est-ce que je fournis suffisamment d’informations? Est-ce que je consacre assez de temps à mes patients? Bref: est-ce que je les traite comme je voudrais que ma famille soit traitée? Ce qui n’est que routine pour le corps médical est pour le patient un événement unique et stressant. Je ne saurais trop conseiller à mes confrères et consoeurs de se mettre à leur tour dans la peau du client mystère.

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