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Wégimont , la pouponnière belge du Reich

1943. Les Allemands ouvrent à Wégimont un « Lebensborn ». L’objectif ? Assurer une prise en charge des nourrissons nés des amours entre occupants et occupées. Et, plus prosaïquement, fournir des enfants de « race pure » à l’Allemagne nazie.

Lorsque les Allemands investissent le château de Wégimont, au début de la Seconde Guerre mondiale, ils sont rapidement séduits par l’endroit. Il faut dire que l’imposante bâtisse, dont les plus anciennes parties remontent au XVe siècle, possède un cachet certain. Avant d’y accéder, il faut s’engager dans une longue et belle allée verte, puis franchir le pont enjambant les anciennes douves et passer sous un porche coiffé d’un majestueux clocher en bulbe. Engoncées dans leur écrin végétal, les façades sont indéniablement belles, d’une beauté rigoureuse, carrée : leur style renaissance mosane laisse une place importante aux lignes droites, sans fioritures excessives. Au bord de l’étang, un belvédère néo-classique émerge des arbres et déroule sa colonnade à proximité d’une grande piscine extérieure.

Initialement, le château sert à héberger des troupes d’occupation mais, dès 1942, une nouvelle affectation est envisagée. C’est qu’au-delà de ses attraits esthétiques, Wégimont possède d’autres particularités notables : à l’écart des habitations proches mais pas trop éloigné de la ville de Liège (et de ses services hospitaliers), il dispose de nombreuses chambres et est déjà complètement équipé pour la vie en collectivité. Quelques années auparavant, les autorités provinciales liégeoises y ont en effet créé un centre de loisirs et de convalescence moderne à destination des ouvriers. Après quelques aménagements, les Nazis y ouvrent discrètement une maternité privée un peu spéciale, la seule de ce type jamais créée en Belgique : un Lebensborn, baptisé « Heim Ardennen ».

Une maternité plus qu’un lupanar

Un violent incendie a gravement endommagé le château en 1964 : si les dépendances ont été restaurées avec soin, le corps de logis qui existait en 1943 n'a pas été reconstruit.
Un violent incendie a gravement endommagé le château en 1964 : si les dépendances ont été restaurées avec soin, le corps de logis qui existait en 1943 n’a pas été reconstruit.© REPORTERS

On se fait beaucoup d’illusions sur ces « Lebensborn », parfois présentés comme des lupanars pour SS en goguette, désireux d’engrosser des femmes fanatisées afin de donner naissance à de « bons petits aryens ». La réalité est moins sulfureuse, bien que tragique pour les enfants concernés : ces structures, financées par la SS, sont avant tout des maternités haut-de-gamme qui s’inscrivent dans la politique de natalité du Reich. Dans les territoires occupés d’Europe occidentale, ils permettent surtout à de futures mères célibataires, enceintes de soldats allemands ou de sympathisants du régime, d’accoucher dans la discrétion et d’abandonner l’enfant par la suite. Parfois, il s’agit d’une manière comme une autre d’éviter le scandale ou l’avortement, tout en oeuvrant à la gloire de la Grande Allemagne. « Le lebensborn accueillait les femmes enceintes, s’occupait de l’accouchement – il offrait un service de pointe en obstétrique – et des soins du bébé, explique Gerlinda Swillen, historienne et auteure d’une grande étude sur les « enfants de guerre » en Belgique. Il y avait aussi un bureau qui s’occupait du placement de l’enfant auprès de parents sympathisants du régime et de race aryenne, après déclaration d’abandon par la mère. »

Seule condition à l’adoption : que l’enfant soit de « race pure » aux yeux des Nazis. Pour s’en assurer, ceux-ci réalisent une enquête sur les antécédents de la mère et, dans la mesure du possible, sur ceux du géniteur. Après sa naissance, l’enfant est par ailleurs soumis à des contrôles raciaux, forcément assez flous...puisque le concept de race ne correspond à aucune réalité scientifique !

A l’ouverture du Lebensborn Heim Ardennen, en mars 1943, le château est en mesure d’accueillir simultanément une vingtaine de femmes et leurs enfants. « Les mères étaient de différentes origines : belges, françaises, anglaises..., raconte Gerlinda Swillen. Leur nom réel était remplacé par un pseudonyme. Une maman que j’ai pu interviewer m’a confirmé l’excellence des soins médicaux, mais les mères ne pouvaient pouponner leurs enfants que de manière réglementée. Ce n’était pas encouragé pour des raisons d’hygiène et cela ne correspondait pas à la vision pédagogique nazie : l’éducation était en effet très stricte, autoritaire, presque militaire et étrangère à trop de sentimentalité ! Les pères pouvaient théoriquement rendre visite à leurs femmes et profiter des infrastructures de loisirs mais, dans la réalité, on peut supposer que seuls les officiers pouvaient se permettre ce genre de déplacement. Par ailleurs, les contacts avec le monde extérieur étaient interdits. »

Du mépris... mais du travail

Malgré l’aura de mystère et de discrétion qui enveloppe le château, les habitants de la région savent plus ou moins ce qu’il s’y passe : pour fonctionner, le Lebensborn fait appel à une main d’oeuvre locale, dont des femmes de chambre ou des cuisinières qui travaillaient sur place avant la guerre. Reste que celles-ci semblent mettre assez peu de coeur à leur ouvrage... De rares archives ayant échappé à la destruction, et retrouvées en 2008 par le journaliste du Soir Joël Matriche, font état d’un personnel « revêche et peu collaborant ». Celui-ci ferait preuve de négligence, de peu de considération pour les mères et leurs enfants, et laisserait les lieux dans une propreté douteuse. Une cuisinière tentera même un jour une « blague potache », en dissimulant des grenouilles vivantes dans l’assiette de l’officier dirigeant le Lebensborn... Globalement, dans le voisinage, l’animosité envers les occupants du château est de mise. Les Allemands peinent d’ailleurs à trouver des sages-femmes pour assister les accouchements.

Au total, même si le Lebensborn n’a jamais fonctionné comme l’auraient voulu les Nazis, une cinquantaine d’enfants seraient nés entre ses murs. Wégimont est évacué dès septembre 1944, face à l’avancée des Alliés. La plupart des archives sont alors brûlées et une douzaine de bambins sont envoyés en Allemagne, dans une certaine précipitation. « On a même emmené l’enfant d’une dame qui travaillait au château, signale Gerlinda Swillen. Quand les Américains retrouveront les enfants évacués des Lebensborn, dans un bâtiment à proximité de Munich, il sera souvent très difficile de retracer leur histoire et leur origine. Ceux qui comprenaient le français seront par exemple généralement redirigés vers la France...« 

Passé recomposé

Wégimont , la pouponnière belge du Reich

A l’heure actuelle, les enfants survivants de Wégimont vivent dans des endroits très variés : Joël Matriche en a retrouvé en Belgique, en Allemagne, en France... et même en Australie. « Ces personnes, comme toutes celles nées durant la guerre d’un père allemand en territoire occupé, ont dû apprendre à se construire un passé, tient à souligner Gerlinda Swillen. C’est très difficile et des questions reviennent sans cesse : leur père était-il un bourreau ? Leurs parents se sont-ils vraiment aimés ou s’agissait-il d’une étreinte furtive ? » Autant de questions qui, septante ans après les faits, demeurent le plus souvent sans réponses !

Infos pratiques

Après la guerre, le domaine provincial de Wégimont retrouve sa vocation de centre de loisirs et demeure un lieu de promenade très couru : le parc comporte aujourd’hui un complexe de piscines en plein air, des étangs de pêche ou de canotage, une plaine de jeu, un camping... Le château abrite pour sa part un centre d’hébergement pour groupes scolaires ou privés. Domaine provincal de Wégimont, 76, chaussée de Wégimont, 4630 Soumagne. Plus d’infos : www.provincedeliege.be/wegimont ou 042372400.

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