Archives de l'État d'Arlon, Fonds Oscar Piérard : chantier de la maison Piérard en 1930 et vue de la maison achevée. © A. É. Arlon

Un guide pour retracer l’histoire de sa maison

L’Institut du patrimoine wallon (IPW) vient de publier un guide des sources  » relatives au patrimoine immobilier privé « . Un outil indispensable pour tous ceux qui aimeraient en savoir davantage sur le passé de leur maison ancienne.

On dit des vieilles maisons qu’elles ont une âme. Dans ces vieux murs, les planchers qui craquent, les pas de portes usés par une infinité de passages, les vieux papiers peints semblent raconter une histoire. Ici, des gens ont aimé, se sont déchirés, ont connu la fortune ou la pauvreté. Là, une petite chambre d’enfant a probablement abrité les premières nuits solitaires et effrayées d’un bambin depuis longtemps disparu. Au rez-de-chaussée, la cuisine doit avoir vu passer quantité de plats de fêtes et d’odeurs succulentes.

Si tous ces éléments invitent à la rêverie et à l’imagination, il est parfois tentant de retracer l’histoire de sa maison de manière plus rigoureuse. La « généalogie immobilière » a actuellement le vent en poupe en France et en Grande-Bretagne, et commence à se développer chez nous. Elle permet de répondre à quelques grandes questions que tous les propriétaires de murs anciens se sont déjà posées. Quand ma maison a-t-elle été bâtie ? Par qui ? Combien de familles s’y sont-elles succédées ?

Les archives : une étape obligatoire

Archives générales du Royaume, Cartes et Plans : carte figurative de la ville et terre franche de Gosselies, de Sart-les-Moines et de leurs environs, dressée en 1785.
Archives générales du Royaume, Cartes et Plans : carte figurative de la ville et terre franche de Gosselies, de Sart-les-Moines et de leurs environs, dressée en 1785.© A.G.

Pour savoir exactement quelle est l’histoire d’une maison, une petite fouille dans les archives s’impose. Tout comme pour la généalogie, cette recherche se fait de façon ascendante : il faut partir des documents récents pour remonter vers les plus anciens. Afin d’aider les chercheurs néophytes à s’y retrouver dans la masse de documents disponibles et les dépôts d’archives, l’Institut du patrimoine wallon vient de sortir le guide « Chaque maison a son histoire » (références de l’ouvrage en fin d’article), en collaboration avec les Archives de l’Etat. Abondamment illustré, cet ouvrage détaille les différents types de sources permettant de retracer l’évolution d’un bien immobilier privé, de sa conception aux modifications tardives, en passant par la liste des occupants successifs.

« La première source, vous l’avez sous la main, explique le Dr Laurence Druez, chef de travaux aux Archives de l’Etat à Liège et auteure du guide. A partir du moment où vous êtes propriétaire d’un bien, vous disposez d’un acte de transfert de propriété en votre faveur. Cette copie d’un acte notarié contient des renseignements de base, qui vont vous permettre de vous orienter vers des sources complémentaires et de remonter dans le temps. »

C’est que le document mentionne à qui le propriétaire précédent avait lui-même racheté l’immeuble, et auprès de quel notaire. A partir de là, il est donc théoriquement possible de remonter d’acte en acte, pour établir la liste des propriétaires successifs du bien. « Les actes de moins de septante-cinq ans sont toujours conservés par les notaires (ou par ceux qui ont repris leur étude), chez qui il est possible d’avoir une copie. Ceux qui sont plus anciens se retrouvent aux Archives générales du royaume (AGR)« , ajoute l’archiviste. Avec beaucoup de chance, il est parfois possible de remonter très loin, puisque la profession de notaire remonte au XVIe siècle !

Malheureusement, il arrive souvent qu’un document de la chaîne soit manquant, détruit lors d’un conflit, d’un incendie ou simplement égaré. Pour l’époque contemporaine, toutefois, tout acte de vente d’un bien immobilier fait l’objet d’une transcription par un bureau de Conservation des hypothèques, qui fournit aux Archives générales ses registres de plus de trente ans.

Archives de l'État de Liège. Famille de Lannoy Clervaux : inventaire des meubles et de l'équipement du château de Neuville-en-Condroz, XIXe siècle.
Archives de l’État de Liège. Famille de Lannoy Clervaux : inventaire des meubles et de l’équipement du château de Neuville-en-Condroz, XIXe siècle.© A. É. Liège

Une vision parcellaire

L’acte notarié donne aussi une description sommaire du bien et sa localisation, notamment via un numéro de cadastre. « Grâce à ces numéros de cadastre, il est possible de consulter les plans cadastraux contemporains des actes de vente, détaille Laurence Druez. Il suffit d’en demander une copie à la Direction régionale du cadastre ou parfois, si le document est ancien, d’aller le consulter aux AGR. On y trouve des informations limitées mais pas inintéressantes: on y voit la taille de la parcelle – qui peut varier avec le temps, en cas de subdivision – mais aussi la forme et la taille des parties bâties. Cela permet de voir si une aile ou un bâtiment a été construit/détruit à une époque donnée. » Un plan cadastral ancien permet aussi de savoir à quoi ressemblait autrefois l’environnement du bâtiment. Votre maison, désormais entourée d’immeubles ou de tours de bureau, était peut-être cernée par les champs quand elle a été bâtie !

Des visages surgis du passé

Une fois ces démarches effectuées, reste à dénicher des informations supplémentaires sur la construction et les éventuelles modifications de la maison. « A partir du XIXe siècle, les permis de bâtir ou d’urbanisme sont une piste pour avoir des données un peu moins « sèches », ajoute l’archiviste. Il s’agit d’autorisations délivrées par les administrations communales pour toute construction ou modification importante du bâtiment. On peut retrouver dans les archives communales des dossiers de plus en plus étoffés avec le temps. Dedans, il y a parfois des photos, des plans anciens véritablement magnifiques, qui mériteraient d’être encadrés dans un salon. Cela donne aussi des informations sur le propriétaire : un propriétaire qui agrandit sa maison est une personne qui a fait fortune ou est fortunée... »

Il est quelquefois possible de remettre un visage sur ces anciens occupants : de nombreuses associations ou centres d’archives architecturales possèdent d’importantes photothèques de maisons ou de quartiers. Si la demeure est un ancien commerce, peut-être le propriétaire a-t-il posé fièrement devant la vitrine ! A moins qu’il ne s’agisse de la maîtresse de maison, jetant un oeil curieux depuis le pas de porte ? A défaut de visages, les photographies vous donneront quantité d’informations sur le quartier mais aussi sur l’état du bâtiment à une époque donnée.

Les limites de la recherche

Retracer l’histoire de sa maison jusqu’au XIXe siècle représente un beau travail, d’autant plus que seule une partie des sources disponibles est évoquée ici : le guide de l’IPW détaille de nombreuses autres pistes de recherche.

Si la maison est plus ancienne, poursuivre la recherche dans les archives d’Ancien régime s’avère malaisé pour un néophyte. Les sources potentielles se compliquent : l’écriture devient plus difficile à déchiffrer, le scribe a parfois eu recours au latin. Les documents deviennent peu précis, n’existent pas/plus ou ont disparu. « Suivre exactement l’évolution de sa maison est parfois impossible : il faut parfois élargir ses recherches à la rue entière, au quartier, pour trouver des informations. On entre davantage dans l’histoire sociale. » Votre maison ancienne gardera donc probablement une part de mystère. Et c’est peut-être mieux ainsi...

Un guide pour retracer l'histoire de sa maison
© IPW

Le guide de l’IPW est en vente en librairie, via le site de l’IPW, par mail (publication@idwp.be) ou au 081 230 703.

Références complètes de l’ouvrage : Chaque maison a son histoire, guide des sources relatives au patrimoine immobilier privé, Laurence Druez, Dossier de l’IPW n°19 , Gilly, 2016. ISBN : 978-2-87522-167-4.

Le style, premier indice

Le style architectural d’une maison, sa disposition, l’agencement des pièces, la présence d’éléments décoratifs peuvent donner quantité d’informations sur son histoire et son évolution. Malheureusement, elles sont souvent imprécises ou difficiles à interpréter, surtout quand on sait que les styles architecturaux varient suivant les régions. Rien de plus différent qu’une bâtisse rurale ardennaise et une maison citadine tournaisienne, même si elles datent de la même époque ! Faire des recherches sur l’histoire de l’architecture locale est donc souvent nécessaire...

Fenêtres et sol

« La partie la plus significative, pour déterminer le style d’une maison et estimer son époque de construction, ce sont les baies, les ouvertures et les encadrements pour les portes et les fenêtres, explique Xavier Folville, professeur d’histoire de l’architecture à l’Ulg. A chaque style correspond théoriquement une époque, même si les choses se compliquent à partir du XIXe siècle, époque où on reprend un peu tous les styles. Un véritable cocktail !« 

La structure des sols permet aussi d’en savoir plus sur l’histoire de sa maison. La présence de tommettes carrées, des petits pavés de terre cuite vernis, traduit souvent une origine ancienne, surtout quand on en retrouve aux étages. Leur usage sera progressivement abandonné à partir du XVIIe siècle, au profit du plancher ou du carrelage. Le balatum, un ancêtre du linoléum constitué de carton enduit d’asphalte et peint, a été très utilisé dans les maisons dans les années 20. Il n’est pas rare d’en retrouver sous un lino plus récent.

Levez le nez : la présence de vitraux signifie souvent que la maison a été bâtie ou tout du moins rénovée dans l’entre-deux-guerres.

Archives de l'État d'Anderlecht. Conseil de Brabant. Procès de particuliers. 2e série : plan annexé à un procès relatif à une maison à Kalfort, XVIIIe siècle.
Archives de l’État d’Anderlecht. Conseil de Brabant. Procès de particuliers. 2e série : plan annexé à un procès relatif à une maison à Kalfort, XVIIIe siècle.© A. É. Anderlecht

Plan d’ensemble

Une bâtisse sans béton, comportant des plafonds en voussettes ou une cuisine initialement au sous-sol est généralement révélatrice d’une construction d’avant la Première Guerre mondiale. A l’époque, les familles aisées disposaient d’une bonne : la cuisine était considérée comme une pièce de service, peu fréquentée par les propriétaires. On prenait donc soin de la séparer du « bel étage » de la maison.

La salle de bain se trouve dans une annexe à l’entresol, prolongeant le corps de logis? Il y a de fortes chances que le bâtiment ait été construit avant la Seconde Guerre mondiale et que la pièce d’eau ait été rajoutée après coup. « En 1945 seules 10% des maisons possédaient une salle de bain, détaille Xavier Folville. Et encore : elle se situait souvent à proximité immédiate de la cuisine, pour avoir facilement accès à l’eau chaude ! »

Après avoir observé votre domicile avec attention, vous pouvez donc estimer à la grosse louche l’époque de sa construction et/ou de ses réfections éventuelles. Des informations à compléter ou à confirmer par une recherche archivistique !

Contenu partenaire