L'émotion est au rendez-vous dans le musée. © Frederic Raevens

Sur les traces des héros oubliés: quand un village flamand devient la Petite Angleterre

Houthulst, en Flandre occidentale, a été le théâtre d’une mémorable bataille durant la Première Guerre mondiale. Pendant la Seconde, la quasi-totalité des habitants ont participé activement à la Résistance. Un nouveau musée permet de retrouver la trace des héros oubliés, des fuyards et des espions.

« Ne m’oublie pas », écrit Jules Van Steenkiste à sa femme, dans une lettre qu’il a réussi à jeter depuis le train qui l’emmenait au camp de concentration de Flossenburg. Le 17 novembre 1943, il est l’une des victimes de la rafle du « Jagdkommando », dans le village de Houthulst, en Flandre Occidentale. Le commandement y envoie 500 militaires, ce qui fait de cette rafle l’une des plus importantes entreprises par les forces d’occupation contre les résistants belges.

« Cette lettre est devenue une devise pour moi, témoigne Brecht Schotte, enseignant et force motrice derrière le nouveau musée « Klein Engeland/The Secret War Museum », qui a ouvert ses portes en juillet 2022 à Houthulst. Ici, quasi chaque habitant, quel que soit son âge, est actif dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, sous l’impulsion du bourgmestre Hubert De Groote, qui s’y est engagé dès le mois de mai 1940. Il entraîne les habitants à sa suite et, plus tard, devient même commandant de la Légion étrangère. Lors de la rafle de novembre 1943, il fuit et il lui faut trois mois pour atteindre l’Angleterre. Les Allemands n’ont jamais osé nommer un maïeur de temps de guerre à sa place. »

Au début, les habitants de Houthulst envoient à Londres des renseignements militaires sur l’armée allemande avant d’acquérir des compétences dans tous les domaines de la Résistance: faux documents, accueil d’enfants juifs dans des familles, sabotage, actions armées, etc. Pas étonnant que le village ait été surnommé dès 1946 la « Petite Angleterre ». « À l’époque de la guerre, de nombreux villageois sont des vendeurs ambulants itinérants, détaille Brecht Schotte. Ils connaissent tous les raccourcis et ont des contacts jusque dans le nord de la France. Ils peuvent donc aider les pilotes à s’échapper ou faire passer des munitions en fraude. »

Le moulin de la paix témoin des combats de 1918.
Le moulin de la paix témoin des combats de 1918.© Frederic Raevens

Coup d’oeil dans la cache d’Anne Frank

Il a fallu des années de travail à Brecht Schotte pour transformer les anciennes écuries, situées derrière sa ferme rénovée, en un trésor parfois émouvant sur la Résistance, la collaboration et l’occupation. Le bâtiment est aménagé comme une maison des années 1940. Les salles thématiques exposent des uniformes, des insignes, des affiches, des journaux de la Résistance, des armes et beaucoup de récits personnels de résistants et de victimes de la terreur nazie. Enfant, Brecht Schotte était déjà fasciné par ce que son grand-père lui racontait de la guerre et, grâce aux contacts avec des familles de résistants ou de collaborateurs, il a pu réunir des dons peu banals. C’est le cas des effets personnels de Jean-Baptiste Piron, le commandant de la Brigade Piron – et notamment le bracelet-montre qu’il portait lors du débarquement de Normandie. Ou le journal qu’Alice Vermeulen tenait lorsqu’elle a échappé à la marche de la mort en quittant Ravensbrück. Pendant deux semaines, elle a erré entre les lignes et a tout couché par écrit.

À l’évidence, la cache où s’est tapie Anne Frank a aussi constitué une source d’inspiration. Les visiteurs du musée sont invités à rechercher les volets et les portes cachés dans les pièces. S’ils parviennent à les trouver et à les ouvrir, ils voient apparaître une personne réfugiée dans un vide sanitaire. Ou deux soldats belges du SAS (Special Air Service) britannique, en train de transmettre des informations à Londres.

Le musée est aménagé comme une maison de l'époque.
Le musée est aménagé comme une maison de l’époque.© Frederic Raevens

Onbekend/inconnu

Houthulst a également été le théâtre d’une terrible bataille dans les derniers mois de la Première Guerre mondiale. Pour en savoir plus, vous pouvez suivre les panneaux indicateurs jusqu’au Vredesmolen, le moulin de la paix, à moins d’un kilomètre du musée. De loin, le monument ressemble à un cône éventré, mais en s’approchant, on aperçoit un escalier en spirale à l’intérieur des ruines. Depuis le sommet on découvre un superbe panorama sur les environs. Le Moulin de la paix se veut un avertissement de pierre et de métal contre les horreurs de la guerre. Fin septembre 1918, l’armée belge s’est vaillamment battue ici lors de l’offensive finale contre les Allemands qui battaient en retraite.

Cap sur Houthulst même, où le triste bilan de ces batailles est visible dans les allées du cimetière militaire belge, juste à l’extérieur du village (Poelkapellestraat). On y déambule au milieu des tombes, très simples, de 1.723 soldats. Les soldats flamands (« Stierf voor België ») et francophones (« Mort pour la patrie ») tombés au champ d’honneur reposent fraternellement côte à côte, mais l’élément le plus frappant est le grand nombre de pierres tombales portant la mention « Onbekend/Inconnu ». Les cadavres étaient-ils si mutilés que leur identification était impossible? Au bout du cimetière reposent 81 Italiens, morts après avoir servi l’ennemi en travail forcé, entre autre pour creuser des tranchées.

Le cimetière militaire.
Le cimetière militaire.© Frederic Raevens

Combien de souffrances de guerre un village peut-il endurer? À côté du cimetière se trouve également un domaine militaire qui abrite une base du Service d’Enlèvement et de Destruction d’Engins explosifs (SEDEE). Chaque année, les démineurs du Westhoek collectent encore des tonnes de munitions de la Première Guerre mondiale, qu’ils désamorcent sur le domaine si nécessaire. Heureusement, le temps guérit bien des blessures. Après 1945, la Petite Angleterre est devenue un village prospère qui compte aujourd’hui, avec les arrondissements, quelque 10.000 habitants. Raison de plus pour se remettre de ses émotions guerrières en sirotant une bière régionale dans un café du village. Encore qu’ici, la guerre n’est jamais très loin non plus. À côté de l’église se trouve Le Mourant, une oeuvre du sculpteur Pierre Devos, gendre de Constant Permeke. La statue de l’homme couché est éloquente... La scène pourrait se dérouler quelque part en Ukraine, aujourd’hui.

Des effets personnels de soldats.
Des effets personnels de soldats.© Frederic Raevens

De Baekelandt aux V1

Une vaste zone forestière s’étendait autrefois de Roulers à Houthulst. L’actuel Vrijbos, à Houthulst, en est un vestige. Vers 1801-1803, la célèbre bande de voleurs de Lodewijk Baekelandt s’y est cachée. En 2005, les restes d’une base de lancement de fusées V1 y a été découverte. Alors que les Alliés poussaient vers le nord après le débarquement en Normandie, les Allemands ont forcé les prisonniers de guerre russes à construire des bases de lancement de bombes volantes à plusieurs endroits en Flandre occidentale. En raison de l’avancée rapide des troupes canadiennes, pas une seule roquette n’a été tirée depuis Houthulst. On peut encore voir un socle en béton sur le parking du Vrijbos, mais à part cela la forêt est une oasis de paix et de tranquillité, idéale pour une balade hivernale.

Des tracts et journaux clandestins.
Des tracts et journaux clandestins.© Frederic Raevens

Infos: Klein Engeland/The Secret War Museum, Molenweg 2, 8650 Klerken-Houthulst, kleinengeland.be – Tourisme Houthulst, Markt 17, 8650 Houthulst, houthulst.be

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