Les souvenirs de Théophile (4)

L’hiver 1914 s’annonce rude dans le camp d’internement d’Harderwijk, aux Pays-Bas. Les tentes de toile sont petit à petit remplacées par des baraques en bois, mais l’augmentation du confort n’est que minime pour les prisonniers belges...

C’est que dans ces bâtiments de 51 mètres de long pour 13 mètres de large, 250 personnes sont logées... ou plutôt entassées ! Chaque homme ne dispose que de 2,5m², une surface réduite à peine suffisante pour mettre un lit, sans aucun autre mobilier pour ranger les effets personnels ou les vêtement. L’intimité est inexistante, tout comme le système de chauffage : si des poêles finiront bien par arriver, ils ne sont pas présents durant les premiers mois.

Une lettre d’un soldat interné, envoyée au ministère néerlandais des Affaires étrangères, témoigne du froid mordant auquel les prisonniers font face :  » On a deux ou trois couvertures, par-dessus lesquelles nous plaçons des journaux et notre capote, la glace présente sur les poutres finit par fondre avec la chaleur de nos expirations et tombe sur les dormeurs. Ces nuits sont le cauchemar de tous...  » (1)

Artisanat de captivité

Durant la journée, les hommes peuvent se réchauffer auprès de grosses cantines. Ils s’occupent comme ils peuvent.  » Théophile sculpte un stylo pour chacune de ses filles, témoigne notre collègue Ariane De Borger. Celui où est inscrit ‘Celine Souvenir’ est celui qu’il a offert à ma grand-mère.  » Quand il le peut, il écrit également à sa femme et à ses enfants. En temps de guerre, faire parvenir des lettres des Pays-Bas – pays neutre – en Belgique – territoire occupé par l’Allemagne – n’est pas une mince affaire. Il faut faire appel à des contrebandiers, qui franchissent la frontière néerlando-belge, encore relativement poreuse au début de la guerre.

Dès 1915, les Allemands y installent une clôture électrifiée montant jusqu’à 3 mètres de haut, rendant la traversée beaucoup plus dangereuse. Durant toute la guerre, près de 800 personnes perdent la vie en tentant de franchir ces barbelés : avec une tension électrique de 2.000 volts, tout contact direct avec les fils peut s’avérer mortel. Pour éviter l’électrocution, les contrebandiers, espions ou jeunes Belges désireux de gagner le front utilisent des objets non-conducteurs : tonneaux de bois, caisses de caoutchouc, pinces isolantes... Et le courrier, malgré tout, circule toujours.

Un conflit plus long que prévu

On imagine le bonheur, dans la famille de Théophile, lorsque des lettres finissent par arriver. Le plus souvent, il ne s’agit pas de longues missives, plutôt de cartes postales et de petits mots. Ceux-ci apportent néanmoins un peu de joie dans une situation peu évidente : c’est désormais à l’épouse du soldat interné de subvenir aux besoins du foyer.  » Mon arrière-grand-mère, épouse de Théophile, peut heureusement compter sur le soutien de sa soeur aînée... qui est aussi sa belle-soeur, puisqu’elle a épouse le frère aîné de Théophile, détaille Ariane De Borger. Sa soeur cadette l’aide également à s’occuper de ses enfants. Mais des deux côtés de la frontière, on commence à se rendre compte que la guerre risque de durer plus longtemps que prévu. Combien de temps faudra-t-il attendre avant que la famille soit à nouveau réunie ? « 

[A suivre]

Les épisodes précédents retraçant le parcours de Théophile De Boeck, soldat belge internés aux Pays-Bas durant la Première Guerre mondiale, sont disponibles ici : http://plusmagazine.levif.be/fr/001459-Laguerre14-18/4-Laguerre14-18.htm


1. Citation tirée de Gehalveerde mensen. Het Belgenkamp in Hardewijk 1914-1918, Anton Reijngoudt, éditions B.T.U.

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