La guerre intime

Issues des collections du musée In Flanders Fields d’Ypres, les photos réunies dans « La Grande Guerre 14-18 » parlent d’elles-mêmes. A tel point qu’elles ne sont même pas légendées... Poignant, touchant... et parfois réellement horrifiant.

Les photos du recueil ont plusieurs origines. Il y a d’abord les photos officielles, utiles à la propagande et passées par la censure : les portraits sont composés, les soldats posent dans des situations peu naturelles. Les sourires sont crispés, les gestes soulignés, à tel point que le résultat en devient parfois grotesque : comment ne pas sourire de ces soldats allemands, soi-disant à l’assaut d’une maison, et se suivant sagement sur une échelle, à la queue leu-leu ?

De la boue, partout

Que de différences entre ces clichés commandés et les photos personnelles de soldats, prises avec de petits appareils portatifs. Ici, les visages sont flous, les scènes témoignent d’une vie quotidienne au front des Flandres peu confortable : on découvre le bain spartiate, grâce à une baignoire de métal ramenée dans les dunes, la promenade des chiens de la compagnie, l’importance de la boustifaille. Les photos mettant en scène les Belges respirent l’ennui, même si le danger de mort est toujours présent. C’est que, contrairement à d’autres, le front belge est pratiquement resté figé du début à la fin de la guerre. Pas d’offensives à outrance : pour l’état-major, l’armée avait rempli son devoir en 1914, il suffisait désormais de rester face à l’ennemi et de tenir la position, laissant aux Anglais et Français le soin de remporter la victoire.

Temps pourri national oblige, la boue est ici partout. Elle aspire les cadavres, encercle les ruines. Quand un pilote prend une photo aérienne, la démesure de la guerre prend toute sa signification : les hommes y apparaissent comme des insectes, au milieu d’un paysage lunaire.

Dans le livre, toutes les photos sont mélangées pêle-mêle, simplement classées par thématiques (Terre, Eau, Feu, Air), sans ordre chronologique ni légendes. On se laisse alors emporter par la puissance des clichés, on scrute les visages sales, les ongles noircis. Pour un peu, on sentirait presque l’odeur de la boue, l’humidité qui imprègne les étoffes. Un simple panache de fumée souligne toute la détresse d’un avion en perdition. Impossible de rester indifférent.

A ne pas mettre entre toutes les mains?

On arrive enfin à la dernière section du livre,  » Horreur « . Huit photos. Seulement huit petites photos, mais toutes insoutenables. Des clichés méthodiques, professionnels, froids... et difficilement soutenables. Le coeur se serre face à des enfants déchiquetés par l’artillerie, à ces gros plans sur des morceaux de corps lacérés. Le temps d’un instant, les cadavres ou les blessés visibles ne sont plus des inconnus : ce sont vos proches, conjoints, (petits-)enfants.

La Grande Guerre 14-18, en laissant parler seul le  » choc des photos  » réussi, mieux qu’un documentaire ou un témoignage, à troubler et, sans un mot, à faire saisir toute l’horreur de cette première guerre mondiale.

La Grande Guerre 14-18, Collection de photosIn Flander’s Field Museum, éditions Renaissance du Livre

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