Panorama sur la baie de Wulaia. © PHOTOS GABRIELA HENGEVELD

Expédition aux confins du monde, où l’homme n’a pas encore laissé d’empreinte

Gabriela Hengeveld Photographe

Fjords à la beauté farouche, glaciers millénaires, colonies de manchots... D’Ushuaia jusqu’en Terre de Feu, découverte d’un sanctuaire encore vierge de toute présence humaine.

Un vent furieux fait claquer les portes, tandis que nous quittons le restaurant. Nous sommes à Ushuaia, la ville la plus australe d’Argentine, et du monde. Au port, le navire d’expédition nous attend entre des cargos et une poignée de bateaux de pêche. L’équipage nous accueille à bord. Cap sur l’extrême pointe sud du Chili ! Dessiné spécialement pour naviguer au milieu des jords du détroit de Magellan, notre bateau ressemble un peu à un cargo. A la différence près que ses hublots sont bien trop hauts et élégants. « Nous allons aborder les dernières régions du globe où l’être humain n’a pas encore laissé son empreinte, » explique fièrement Marcello, notre chef d’expédition.

Expédition aux confins du monde, où l'homme n'a pas encore laissé d'empreinte
© PHOTOS GABRIELA HENGEVELD

CAP SUR LE CAP HORN

Le cap est absolument nu. Ici, le bureau de poste constitue la seule habitation. Le lendemain matin, nous sirotons en silence notre café, l’estomac brouillé par la puissance des éléments qui se déchaînent volontiers à la jonction entre l’océan Pacifique et l’Atlantique. Droit devant, nous voyons se dessiner un vaste plateau formé de rochers émergeant au-dessus des vagues.

Deux heures plus tard, nous cabotons le long de montagnes enneigées alternant avec des îlots verdoyants. C’est à bord d’un Zodiac que nous rejoignons l’île de Navarino. A terre, nous nous frayons un chemin à travers la forêt tropicale de Patagonie, parmi les lianes, les hauts arbres et les buissons inextricables. En nage, nous finissons par émerger au sommet d’un plateau d’altitude. Notre navire d’expédition n’est plus qu’un point minuscule au fond de la baie de Wulaia.

Un groupe de castors plonge à toute vitesse dans la lagune en entendant le bruit de nos pas. Non loin de là, nous découvrons une grande boîte aux lettres tapie entre une série de huttes en paille où vivent les Yaganes, les habitants d’origine dans la région. « On peut poster des cartes ici, assure Miguel, notre guide, en réponse à nos regards interrogateurs. Même s’il faut parfois du temps avant que la poste arrive en Patagonie... », précise-t-il avec un clin d’oeil.

Le troisième jour, nous partons pour une grande marche nature, sur des sentiers rendus glissants par les feuilles, à l’assaut de rochers impressionnants, entre des ruisseaux d’azur et des troncs d’arbres tombés. Les pics acérés de l’immense glacier Pía se drapent dans des écharpes de brume. A part le bruit de nos pas, on n’entend que le silement du vent entre les arbres et les craquements de la glace en mouvement. Des cordes nous aident à nous tenir aux endroits les plus escarpés.

En Zodiac vers les glaciers.
En Zodiac vers les glaciers.© PHOTOS GABRIELA HENGEVELD

Nous arrivons enfin sur un plateau rocheux au milieu des vallonnements, dans une végétation dense et des formations rocheuses saupoudrées de neige.  » C’est l’instant Patagonie « , souffle notre guide. Miguel nous demande une minute de silence. Dans cette paix totale, nous nous rendons compte à quel point nous sommes seuls au coeur de ce paysage époustouflant. Plus tard, l’historien Christian Manca évoquera avec passion les voies empruntées par les Européens en quête d’or et d’épices. La région où nous naviguons a été baptisée détroit de Magellan en hommage au grand navigateur portugais Ferdinand de Magellan. C’est lui qui, en 1520, découvrit le passage entre l’Atlantique et le Pacifique. Notre croisière se poursuit vers l’ouest. Un cocktail à la main, nous posons pour le photographe sur le pont du navire devant les imposants jords Garibaldi.

LE GLACIER D’AGUILA

Le soleil matinal est encore rasant, tandis que se dévoile à nos yeux la plage qui s’étire au pied du glacier d’Águila. Entre les bonsaïs chiliens poussent toutes sortes de buissons aromatiques : coriandre, calafate (une petite baie) et pomme de Patagonie. Au loin, un condor décrit des cercles au-dessus de la montagne. Nous nous trouvons sur une île formée, voici des millions d’années, par les mouvements de la glace, l’élément le plus puissant qui soit sur Terre. Cerné par une montagne du massif Darwin, ainsi nommé d’après Charles Darwin venu ici en expédition à bord du Beagle dans les années 1830, le glacier d’Águila recule peu à peu, nous apprend Miguel. Il nous montre un trou dans une coquille de moule, foré par un ver marin à qui il ne faut qu’un mois pour ouvrir le mollusque, le manger et le digérer.  » Voilà le genre de chose qu’on découvre en randonnée « , déclare Miguel. Soudain, il s’arrête. Un renard en maraude passe tranquillement près de nous.

Un renard en maraude.
Un renard en maraude.© PHOTOS GABRIELA HENGEVELD

Le meilleur point de vue pour admirer les glaciers, c’est par la mer à bord d’un Zodiac. Nous découvrons celui du Condor. Notre guide Paula nous explique que les strates permettent de dater la glace en milliers d’années. Un torrent s’écoule depuis les failles dans la roche vers la mer. Paula est originaire de la région.  » Enfant, je voulais tout savoir sur les oiseaux et les plantes « , se souvient-elle, tandis que nous prenons le temps de nous allonger au soleil dans un endroit protégé. Quel bonheur d’apprendre tant de choses en compagnie de scientifiques qui sont là pour leurs recherches ! Le fait que nous soyons un tout petit groupe de privilégiés admis ici ajoute indéniablement à la magie du voyage.

Un cortège de manchots qui se dandinent vers l'eau.
Un cortège de manchots qui se dandinent vers l’eau.© PHOTOS GABRIELA HENGEVELD

LES MANCHOTS DE MAGELLAN

Dès potron-minet, équipés de nos gilets de sauvetage, nous débarquons sur l’île Magdalena (classée monument national), un îlot constitué d’une concrétion d’algues et d’autres végétaux marins. Les manchots de Magellan y ont élu domicile parce qu’ils peuvent facilement creuser le sol à la recherche de nourriture.  » Vous vous trouvez dans un sanctuaire de manchots. Merci de respecter leur habitat « , peut-on lire sur des panneaux à côté des postes d’observation. Un groupe de manchots se dirige vers l’eau. Paula nous fait signe d’attendre en silence qu’ils soient passés.  » Ne touchez à rien ! Ils ont un odorat extrêmement développé et il ne faut jamais s’approcher d’un animal sauvage !  » Plusieurs fois, les adorables manchots marquent un arrêt, avant de poursuivre leur chemin, cahin-caha. La gorge serrée, nous entendons une longue plainte.  » Ce n’est rien, nous rassure Paula. Ils annoncent juste leur départ. » Avant de se mettre en route, les manchots mettent de l’ordre dans leurs plumes, un peu comme nous rangeons nos valises. Le coeur gros, nous devons faire nos adieux à l’équipage et quitter le navire qui nous a conduits jusqu’aux confins du monde.

Escalade vers le glacier Pia.
Escalade vers le glacier Pia.© PHOTOS GABRIELA HENGEVELD

Pratique

Y aller : vol Bruxelles-Buenos Aires via Madrid, Amsterdam ou Londres (compter 18 heures). À Buenos Aires, vol intérieur vers Ushuaia (environ 3h30). Meilleure période de l’année : entre septembre et avril.

Expédition : www.australis.com

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