Des jouets pas si innocents...

A l’aube du XXe siècle, les jouets sont archi-stéréotypés : si les filles doivent se cantonner à la poupée et à la dînette, ls garçons s’amusent pour leur part avec des soldats miniatures. Lorsque le conflit éclate, en 1914, la culture de guerre s’est depuis longtemps immiscée auprès des enfants...

Figé depuis plus d’un siècle dans une attitude conquérante, le cavalier allemand a toujours fière allure. Malgré la peinture qui s’écaille ci et là, le jouet crâne toujours fièrement sur son cheval, prêt à en découdre avec ses ennemis de plomb. S’il était initialement destiné aux enfants, ce petit soldat raconte aujourd’hui une histoire aux adultes, celle de son temps.  » On peut revivre l’histoire de la Première Guerre mondiale à travers le jouet « , confirme Paul Herman, grand collectionneur, auteur d’un récent livre superbement illustré sur  » Les petits soldats de la Grande Guerre  » et commissaire d’une exposition sur les jouets belges de 14-18 (voir informations pratiques ci-dessous). C’est que les jouets s’inspirent à l’époque de l’actualité et des relations internationales tendues à travers le monde. Plus qu’une simple distraction, ils visent à inculquer des notions de patriotisme, de courage et de bravoure à l’enfant. Plus tard, entre 1914 et 1918, ils serviront aussi à ridiculiser l’ennemi, à susciter le dédain pour le  » Boche  » ou le  » Fransoziche « ... Preuve de leur importance : malgré les restrictions en matières premières, des jouets continueront à être produits durant toute la guerre même en Allemagne, pourtant durement touchée par le blocus et le manque de main d’oeuvre.

Le quasi-monopole allemand

Au début du XXe siècle, des modèles réduits de la quasi-totalité des armées qui s’étriperont quelques années plus tard sont ainsi vendus dans le commerce. Détail piquant :  » l’âge d’or du soldat miniature s’échelonne entre 1880 et 1910, et on peut dire que 80% des jouets produits dans le monde à cette époque sont allemands « , détaille Paul Herman. Un monopole qui, bien évidemment, prendra fin quand les canons entreront en action...

 » Ces jouets sont très simples, différentes armées sont parfois créées sur les mêmes moules, et seules les couleurs permettent de les différencier. Les matières employées sont très variables : le bois, le métal (souvent du plomb creux) ou des pâtes à bases de kaolin, de résines naturelles, de craie...  » L’évolution du conflit se marque dans les modèles proposés : les petits soldats représentant des Américains font leur arrivée en 1917, tout comme les premiers chars d’assaut miniatures.

La culture de guerre par le jouet passe aussi par des jeux de société. Sur la boîte d’un jeu de dames ou de stratégie français, il n’est pas rare de voir un Joffre souriant affronter un Kronprinz suant et visiblement en fâcheuse posture. Les amateurs d’action peuvent pour leur part renverser des quilles à l’effigie de l’ennemi.  » Et, pour les filles, on vend des poupées en costume traditionnel alsacien [la France a perdu l’Alsace après la guerre de 1870 et met un point d’honneur à la récupérer]  » ou des costumes d’infirmières, révélateur des valeurs qu’on attend d’une femme à l’époque.

Le cas belge

En ce qui concerne la production de jouets durant la guerre, le cas de la Belgique est un peu particulier. Le pays est occupé et les fabricants peuvent difficilement se lancer dans la production patriotique – bien que dans les faits, des petits soldats seront toujours proposés, avec leurs uniformes de 1914. On retrouve donc pléthore de jouets  » pacifistes  » : petits villages en bois, scènes de fête foraine...

Dès septembre 1914, des associations patriotiques et philanthropiques sont créées. Parmi elles, certaines ont l’idée de fabriquer des jouets en employant des militaires belges mutilés et blessés. L’objectif ? Soustraire ces soldats à un séjour en Allemagne, qui ne pourrait qu’être préjudiciable à leur santé.

Adieux, petits soldats...

En 1918, l’Armistice et la fin de la guerre marquent un dégoût général pour tout ce qui est militariste. On estime que la  » Der des ders  » ne doit plus jamais se reproduire : hors de question d’embrigader une nouvelle fois les jeunes générations sur la pente glissante de la culture de guerre ! Les fabriques de petits soldats se mettent alors à proposer des figurines issues de l’univers du cirque, de la ferme... avant de retourner aux uniformes dès les années 30.

Le livre:

Les petits soldats de la Grande Guerre – 800 jouets de la Première Guerre mondiale, Paul Herman, éditions Glénat, 253 pages.

L’exposition :

Guerre et jouets, les jouets belges de 14-18. Exposition du 6 février au 19 novembre 2014 à la maison Autrique, chaussée de Haecht 266, 1030 Bruxelles.

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