Goeningemuseum bruges - Retable de Saint Nicolas (détail) (1479-1505) © KIK-IRPA, Bruxelles

A Namur, les pérégrinations de chefs-d’oeuvre médiévaux

Le Musée des Arts anciens du Namurois (TreM.a) abrite jusqu’au 10 février un panaché unique de  » trésors classés  » wallons et de  » topstukken  » flamands. L’occasion de revenir sur le parcours parfois mouvementé de pièces exceptionnelles, très rarement prêtées ou montrées au public !

En règle générale, les pièces de musée sont figées dans leurs vitrines, intouchables, presque immuables. Les rares fois où elles sont déplacées, c’est avec d’infinies précautions, des gants blancs et des caisses molletonnées. A plus forte raison quand elles sont classées en tant que chefs-d’oeuvre de Flandre (« topstukken ») ou de Wallonie (« trésors classés ») ! Et pourtant... Ce patrimoine mobilier, comme son nom l’indique, est mobile. Avant d’atterrir derrière une vitre, il a souvent connu un destin chahuté, entre origines et influences exotiques, démembrement, don ou achat, vol, démolition partielle, récupération...

A Namur, les pérégrinations de chefs-d'oeuvre médiévaux
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Et si, pour une fois, on mettait l’accent sur ces mouvements ? C’est là le point de départ, le fil rouge de l’exposition temporaire « [Re]Move » présentée au Musée des Arts anciens du Namurois (TreM.a). Une exposition dont la gestation fut longue, et pour cause : les pièces médiévales présentées au public sont parmi les plus précieuses de Flandre et de Wallonie. « Ce ne sont pas nécessairement les plus chères ou les plus luxueuses, certaines ne paient pas de mine d’un premier abord, mais elles ont toutes été classées pour leurs caractéristiques exceptionnelles, explique Fiona Lebecque, comissaire de l’exposition. En théorie, la plupart de ces pièces ne sont jamais déplacées, certaines ne sont même presque jamais visibles. » Un travail de plusieurs années a donc été nécessaire pour se voir accorder certains prêts, sans parler de la quantité astronomique de documents à remplir ou faire valider... Le jeu en valait toutefois la chandelle : on a rarement vu autant de pièces inédites, habituellement disséminées aux quatre coins du pays, réunies en un seul lieu. De petites merveilles (une vingtaine au total) qui cachent souvent de longues histoires, et qui font voyager le visiteur aux quatre coins du Vieux Monde !

Petits bouts d’Orient

Walcourt (Fabrique de la basilique Saint Materne) Croix-reliquaire - Atelier d'Oignies (vers 1250-1260).
Walcourt (Fabrique de la basilique Saint Materne) Croix-reliquaire – Atelier d’Oignies (vers 1250-1260). © © Atelier de l’Imagier

C’est qu’au Moyen-Âge, l’art s’exprime avant tout dans la sphère religieuse. Parmi les pièces d’orfèvrerie, nombre sont destinées à recevoir les reliques de saints ou du Christ. Il existe alors tout un réseau visant à faire parvenir des fragments d’os ou d’objets sacrés, depuis le Moyen-Orient jusqu’à nos régions. Et, puisque rien n’est trop beau pour recueillir ces « morceaux de sainteté », on n’hésite pas à les enchâsser dans des pièces admirablement travaillées – il suffit de jeter un oeil à la croix-reliquaire de Walcourt, fourmillant de détails d’or et de de cabochons – ou de matériaux exotiques venant des confins du monde connu : soie d’Asie, ivoire africain, bois scandinave, marbre de Carrare... Parfois, ce sont carrément des objets finis qui peuvent être importés et remployés, magnifiés par des ajouts : l’exposition montre ainsi un étonnant gobelet moulé au XIIe siècle en Italie, engoncé dans un écrin d’or et transformé en reliquaire en région mosane cent ans plus tard.

« Les matériaux voyagent, mais il en va de même des idées, ajoute Fiona Lebecque. A l’époque, la notion de plagiat n’existe pas : on copie sans que cela ne pose problème, que ce soit un détail ou jusqu’à une figure complète. » Une « inspiration » très visible sur certains tableaux : il suffit, comme dans l’exposition, d’y juxtaposer leurs modèles pour s’en rendre compte !

Plus vraies que nature

Une fois composés, sculptés, peints, les objets continuent souvent leur périple à travers les siècles. Ils sont parfois offerts en guise de « cadeaux » (pas du tout désintéressés...) : certains sont donnés par des protecteurs pour rappeler leur mainmise sur une ville, d’autres en guise de présents diplomatiques... En cas de besoin, il reste aussi possible de vendre ces belles pièces aux plus offrants ! « C’est ce qui fait qu’avant que la notion de « bien classé » apparaissent, certains objets prestigieux ont filé à l’étranger : le deuxième plus grand trésor de la République Tchèque, présenté comme tel après les joyaux de la couronne, n’est autre que la châsse... de Florennes, merveille d’orfèvrerie médiévale arrivée en Tchéquie à la fin du XIXe siècle.« 

Liège Grand Curtius, Mise au tombeau (Vers 1340).
Liège Grand Curtius, Mise au tombeau (Vers 1340). © © Atelier de l’Imagier

Heureusement, il n’en va pas toujours de même et quantité de châsses splendides peuplent toujours les églises wallonnes. Impossible, bien évidemment, d’exposer tous ces reliquaires exceptionnels au TreM.a : d’où la bonne idée d’en présenter une numérisation, à la demande de la Société archéologique de Namur. Concrètement, une dizaine de châsses ont été « scannées » grâce à un appareillage de pointe de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en très haute résolution, et défilent sur écrans. Décevant ? Que du contraire : la qualité des images permet d’observer le moindre détail – certains font à peine quelques millimètres -, les couleurs sont rehaussées et l’ensemble est visible sous toutes ses coutures. En d’autres termes, la vue qu’on en retire est qualitativement supérieure à celle que le visiteur lambda pourrait emporter d’une visite des lieux où sont effectivement conservées les châsses. Il ne s’agit que d’images, certes, mais elles offrent un réel intérêt et l’on se surprend à rester de longues minutes à les observer.

Nivelles - Châsse de Sainte Gertrude (1272-1298).
Nivelles – Châsse de Sainte Gertrude (1272-1298).© © Atelier de l’Imagier

Hoedje van papier

Houffalize Eglise Sainte Catherine - Aigle Lutrin (1370)
Houffalize Eglise Sainte Catherine – Aigle Lutrin (1370) © © Atelier de l’Imagier

Si l’exposition rappelle que le long cheminement des chefs-d’oeuvre médiévaux se ralentit ces dernières décennies – lorsqu’ils sont prêtés et circulent, c’est avec le plus grand soin et parcimonie -, il arrive encore que le voyage termine abruptement. La dernière salle est consacrée aux objets irrémédiablement détruits, disparus ou volés, en partie ou totalement. Un mur affiche ainsi 900 photos d’objets dérobés en Belgique. Bien rares sont celles sur lesquelles a été apposée la mention « Retrouvé »... On se consolera en observant la mitre en parchemin de Jacques de Vitry, évêque de Saint-Jean d’Acre au XIIIe siècle, qui clôture l’exposition : seule mitre en parchemin à avoir jamais été conservée, elle émerveille par la finesse de ses dessins. Autant en profiter : très sensible à la lumière, elle ne quitte qu’exceptionnellement les réserves obscures du TreM.a !

[Re]Move, Topstukken – Trésors classés, un patrimoine exceptionnel en mouvement

TreM.a, musée des arts anciens du Namurois, Rue de fer, 24 5000 Namur

Exposition accessible du mardi au dimanche, de 10 à 18h, jusqu’au 10 février 2019

Plus d’infos : 081 77 67 54 ou sur le site du TreM.a

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