© Google Street View (Frank B - capture d'écran)

10 janvier 1940: un avion allemand s’écrase en Belgique... avec les plans d’invasion du pays

Hiver 1940. En pleine « drôle de guerre », un avion allemand atterrit d’urgence dans la campagne limbourgeoise. À son bord se trouvent des plans détaillés de l’invasion du pays, prévue sept jours plus tard.

Ce 9 janvier 1940, il règne une petite ambiance de fête au mess des officiers de la base aérienne de Loddenheide, près de Münster, en Allemagne. Les majors Helmut Reinberger et Erich Hoenmanns, amis de longue date, fêtent leurs retrouvailles imprévues autour de quelques verres. Au cours de la discussion, entre deux souvenirs de jeunesse, Reinberger informe son camarade qu’il doit prendre le train le lendemain pour Cologne. Rien de très folichon : le trajet devrait être interminable et ennuyeux. Chef de la base aérienne, Hoenmans propose alors à son ami de le convoyer dans son Messerschmitt biplace. De quoi raccourcir fortement la durée du voyage !

L’espace d’un instant, Reinberger hésite. Il ne peut l’avouer à son camarade, mais il transporte sur lui des documents top secret de la plus haute importance. Pour éviter qu’ils ne tombent entre de mauvaises mains, il a reçu l’instruction de ne se déplacer que par des moyens de transport terrestres. Néanmoins, la tentation d’arriver à Cologne très rapidement finit par l’emporter. Le lendemain, vers 10 heures du matin, les deux compères quittent la piste de décollage de Münster et s’envolent vers le sud.

Une rivière ressemble à une autre

À l’époque, pas de GPS pour déterminer sa position ou le chemin à suivre. Et comme le voyage est improvisé, aucun plan de route n’est mis en place. En pilote aguerri, le major Hoenmanns ne s’inquiète pas : le ciel est bleu et la visibilité excellente. En suivant un cap approximatif et en jetant un oeil vers le sol de temps à autre, il devrait être facile de se repérer. Grave erreur. Après quelques dizaines de minutes de vol, au-dessus de la vallée de la Ruhr, le ciel se couvre d’une épaisse nappe de brouillard. Impossible d’y voir à plus de quelques mètres !

L’appareil change de cap et diminue son altitude, afin de trouver le Rhin, qu’il suffira de suivre pour se rendre à Cologne. Il ignore que le fleuve est alors gelé, couvert de neige et difficilement détectable.

Un sentiment de panique commence à se faire sentir. Reinberger est livide et serre un peu plus son porte-documents. Après de longues dizaines de minutes, un large cours d’eau apparaît à travers les nuages. « Ouf, ce doit être le Rhin ! », soupire probablement l’officier allemand. Il ignore qu’il s’agit en réalité de la Meuse et que l’appareil survole la frontière belgo-néerlandaise. Sans qu’on sache bien pourquoi, à ce moment, le moteur se met soudain à toussoter. L’hélice s’arrête et l’avion plane en sifflant dans l’air. Le crash est inévitable.

Seule photo existante de l'appareil écrasé, un Messerschmitt Bf 108 Taifun
Seule photo existante de l’appareil écrasé, un Messerschmitt Bf 108 Taifun© DR

Buisson ardent

Au prix de difficiles manoeuvres, l’appareil parvient à se poser sur le sol spongieux proche de la Meuse. Le choc est rude – les ailes sont arrachées lors de l’impact – mais les occupants de l’avion sont sains et saufs, à peine commotionnés. Sortis de la carcasse, ils interpellent un paysan attiré par le bruit. Dans son dialecte, celui-ci les informe qu’ils sont à Vucht, dans le Limbourg belge. Le major Reinberger reçoit l’information comme un coup de pied au ventre : les documents archi-secrets qu’il possède concernent justement les plans de l’invasion de la Belgique et des Pays-Bas, prévue sept jours plus tard (voir encadré) !En deux temps, trois mouvements, devant le regard interloqué du paysan, l’officier détale vers la carcasse de l’appareil et se saisit des papiers confidentiels. Il n’a qu’une idée en tête : les détruire, vite ! Il tente d’y mettre le feu derrière un buisson, quand arrivent deux gardes-frontières. Ceux-ci, alertés par la fumée qui s’échappe des broussailles, parviennent à sauver une grande partie des documents.

Amené au poste de commandement de Mechelen-aan-de-Maas, dans la salle d’interrogatoire, Reinberger voit ses précieux documents étalés sur la table. Il sait quelles graves conséquences pourrait avoir sa gaffe. Aussi, lorsque son ami demande à aller aux toilettes, il profite de la diversion pour jeter les documents dans le poêle – en se brûlant gravement au passage. Le capitaine belge chargé de l’interrogatoire, Arthur Rodrique, a heureusement le réflexe de récupérer ce qui peut encore l’être. Seuls quelques feuillets demeurent lisibles. Le contenu ne laisse cependant aucun doute. Il indique une attaque imminente.

Les mains méchamment brûlées par la fonte du poêle, horrifié par sa bévue, Reinberger essaye alors de se saisir du pistolet de Rodrique. Il échoue et se voit plaqué contre le sol. C’en est trop : le major de la Luftwaffe fond en larmes, affirmant entre deux sanglots qu’il voulait juste se suicider. « Vous ne pouvez pas le lui reprocher, c’est un officier honnête, il est fini maintenant », fait remarquer son compagnon Hoenmanns.

Une page rescapée des flammes des plans d'invasion.
Une page rescapée des flammes des plans d’invasion.© Musée Royal de l’Armée

Le péril jaune

Dès 1939, l’Allemagne met au point une stratégie d’invasion de la France via la Belgique et les Pays-Bas. Baptisé « Cas jaune » (Fall Gelb en allemand), le plan prévoit initialement d’attaquer la Belgique sur un front étendu, afin d’atteindre rapidement les côtes de la Manche. L’attaque, dont les plans se trouvaient dans l’avion crashé à Maas-Mechelen, doit être déclenchée le 17 janvier. Elle est finalement reportée, avec un scénario modifié : désormais, la poussée principale des blindés sera renforcée dans le massif des Ardennes, que les alliés estiment « infranchissable ». Le 10 mai 1940, l’Histoire leur prouvera que non !

L’attaque qui jamais ne vint

Conscients de l’importance du document, les services secrets belges décident d’informer discrètement la France, l’Angleterre et les Pays-Bas. Dans le même temps, ils tentent de faire croire aux Allemands que les documents sont trop abimés et qu’aucune information n’a pu en être retirée. L’armée française est sur le qui-vive, prête à marcher vers la frontière belge. Le 13 janvier, à 22 heures, le général-chef d’état-major belge, Edouard Van den Bergen, prend la décision de rappeler 80.000 soldats de permission. La tension est à son comble. Pourtant, les jours passent et... rien. Les Allemands n’attaquent pas. Estiment-ils que l’effet de surprise ne joue plus ? La boulette d’un homme un peu trop pressé a-t-elle changé le cours de l’Histoire? « Lorsque Hitler apprend que ses plans sont tombés en Belgique, il a deux solutions, répond l’historien Eric Simon. Soit déclencher immédiatement l’invasion pour court-circuiter les éventuelles contre-mesures belges et/ou alliées; soit attendre et modifier son plan d’invasion. »

Finalement, le Führer préfère revoir sa copie et reporter l’attaque : les conditions climatiques sont de toute façon exécrables. L’invasion est postposée au 10 mai 1940... avec les conséquences qu’on connaît. Quant aux deux infortunés allemands, ils seront emprisonnés et extradés vers le Canada. Heureusement pour eux : le régime nazi les condamnera à mort par contumace, pour avoir transporté des documents de la plus haute importance par voie aérienne.

Mémorial à l'emplacement du crash, à proximité de Maasmechelen.
Mémorial à l’emplacement du crash, à proximité de Maasmechelen.© DR

Qu’en reste-t-il ?

Le lieu de l’accident, à l’est de Maasmechelen, est aujourd’hui occupé par un monument marquant l’endroit précis où est tombé l’avion et quelques panneaux explicatifs. Adresse : H. Vrankenstraat 50 à Maasmechelen. Pourquoi ne pas y faire un crochet dans le cadre d’une balade à vélo ou à pied ? La région possède en effet de nombreux sentiers et chemins balisés très agréables, le long des berges de la Meuse ou dans le Parc national de Haute-Campine tout proche (5.700 ha de forêts et de bruyères).

Plus d’infos : www.toerismemaasmechelen.be (uniquement disponible en néerlandais) ou www.rlkm.be/fr/hoge-kempen.

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