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Viré pour cause de maladie

Les licenciements pour force majeure médicale ont augmenté de 357% l’an passé. Ils ne donnent droit à aucune indemnité et les femmes sont les plus touchées.

On assiste à une augmentation extrême de 357% de licenciements pour force majeure médicale. Alors que toutes les catégories professionnelles de la société sont touchées dans des proportions semblables, les femmes sont plus concernées que les hommes », revèle une enquête de Partena Professional (entrepreneuriat et gestion du personnel).

FORCE MAJEURE? SANS PRÉAVIS NI INDEMNITÉ

La force majeure est un événement imprévisible, explique-t-on chez Partena, qui survient indépendamment de la volonté des parties et qui constitue pour l’employeur et le salarié un obstacle insurmontable qui empêche définitivement pour le premier, de fournir du travail et pour le second, d’exécuter celui-ci. Depuis 2017, la législation impose qu’une procédure de réintégration soit entamée et terminée pour pouvoir rompre le contrat de travail pour force majeure sans préavis ni indemnité en cas d’incapacité définitive du salarié! Cette législation visait à éviter les dérives et à favoriser la réinsertion du salarié qui ne peut plus effectuer le travail convenu, en lui fournissant un travail adapté. Mais son revers est l’explosion des licenciements pour force majeure médicale.

Surtout les femmes

Les femmes sont plus touchées que les hommes par ce type de licenciement. Avec une augmentation de 426% pour « seulement » 268% chez les hommes, le licenciement des femmes arrive aussi plus tôt.

Notons encore qu’en moyenne, les femmes les plus touchées par ces licenciements le sont à partir de 40 ans (hausse de 529%) alors que pour les hommes, la plus forte hausse se fait ressentir à partir de 60 ans (+1.000%).

HÔPITAUX, LES TITRES-SERVICES, DISTRIBUTION

« Toutes les catégories professionnelles sont touchées en 2020, détaille Wim Demey, manager chez Partena Professional. Mais globalement, les femmes sont plus impactées que les hommes et que les jeunes, ce qui peut s’expliquer par leur plus forte présence dans les secteurs les plus touchés. Et ce sont surtout les secteurs qui ont été en première ligne durant la crise sanitaire, lesquels sont majoritairement composés de femmes: les hôpitaux, les titres-services, ou encore les grands magasins. »

« C’est la galère totale! »

« Une absence de longue durée entraîne aussi des conséquences organisationnelles et financières pour l’employeur, témoigne Pascal Durant qui gère une petite équipe active dans la distribution alimentaire en province de Liège. Selon mon expérience, je peux vous dire que c’est rarement de gaîté de coeur qu’un employeur licencie un travailleur. D’une part, la loi est claire, elle interdit de discriminer un travailleur sur la base de son état de santé. Il y a des procédures avant. Quand l’incapacité définitive est constatée par le médecin du travail et qu’aucun travail de remplacement n’a pu être trouvé, pas mal d’eau a coulé sous les ponts. Cette procédure tant décriée n’arrive qu’en toute fin de parcours, après des mois. D’autre part, pour un gestionnaire d’équipe, c’est la galère totale pour composer avec les maladies de longues durées. Il m’est arrivé de recruter un remplaçant. J’en étais hyper satisfait, mais j’ai dû m’en séparer quand le malade est revenu... avant de retomber malade! »

LE TRAJET DE RÉINTÉGRATION

Si on évoque la rupture du contrat pour force majeure médicale, il faut également détailler le trajet de réintégration. Il s’agit d’une évaluation faite par le conseiller en prévention-médecin du travail. Il juge de l’aptitude ou inaptitude, temporaire ou définitive, d’un travailleur à reprendre le travail. Prenons un travailleur qui est toujours en incapacité de travail et qui n’a pas annoncé son retour.

À un certain moment, soit l’employeur, soit le travailleur lui-même ou le médecin-conseil de la mutuelle peuvent demander auprès du médecin du travail une procédure de réintégration. Cela peut aboutir à un plan qui va reprendre de manière concrète et détaillée les adaptations possibles du poste de travail ou une description des autres fonctions envisageables. L’idée est de permettre le retour du travailleur, qui n’est pas apte à 100%, dans un travail plus adapté ou un autre travail.

Notons que le trajet de réintégration est aussi l’unique voie pour un employeur de constater l’inaptitude définitive d’un travailleur. Et donc, dans certains cas, de permettre la rupture du contrat pour force majeure médicale.

Un travailleur peut introduire une demande de trajet de réintégration dès le premier mois de son incapacité. L’employeur doit en revanche attendre le quatrième mois ininterrompu d’incapacité (ou la remise d’une attestation du médecin traitant indiquant une incapacité définitive) pour demander un trajet de réintégration.

Une fois la demande reçue, le conseiller en prévention-médecin du travail dispose d’un délai de 40 jours pour rendre ses conclusions. Il invite le travailleur à une évaluation de réintégration qui déterminera si celui-ci peut exercer à nouveau son emploi ou un emploi adapté et de quelle manière cette réintégration est envisageable compte tenu de son état de santé.

Chômage ou pas?

1. Si la personne licenciée pour force majeure médicale est de nouveau apte à travailler et disponible pour le marché du travail, elle aura droit à une allocation de chômage si elle travaillé un nombre suffisant de jours. Mais si la personne ne remplit pas cette condition qui varie selon l’âge, elle peut se retrouver sans allocation de chômage, et donc sans revenu. Elle doit alors se rendre au CPAS.

2. La personne est encore inapte au travail et donc indisponible pour le marché du travail. Elle continue à percevoir les indemnités de maladie jusqu’à ce qu’elle et son médecin traitant ou le médecin-conseil estime qu’elle est apte à travailler et qu’elle n’a donc plus droit aux indemnités de maladie. Dans ce dernier cas, elle peut prétendre à une allocation de chômage si elle a auparavant travaillé un nombre suffisant de jours. (Merci à Bert Catteau)

DÉFINITIVEMENT INAPTE

Plusieurs scénarios possibles sont envisagés. Ils vont de la reprise du travail avec éventuellement des facilités jusqu’à la qualification comme « définitivement inapte à reprendre le travail convenu ». C’est uniquement dans ce cas, ou lorsqu’un plan de réintégration n’est pas envisageable ou a été refusé par le travailleur, qu’une rupture du contrat pour force majeure médicale est possible.

La rupture doit ensuite être constatée conjointement par le travailleur et l’employeur dans une convention. Et si le travailleur ne veut pas signer cette convention? L’employeur a la possibilité de constater unilatéralement la rupture pour force majeure médicale. Et donc de licencier le travailleur sans lui payer des indemnités. Le travailleur jouit cependant d’un droit de recours.

« Le médecin n’avait pas idée de ce que je vivais »

« Bien qu’un trajet de réintégration soit une bonne solution, il faut quand même se rendre compte qu’il aboutit rarement », estime Patricia, une lectrice qui a suivi un tel parcours après une maladie. J’ai pu constater que le médecin du travail n’avait aucune idée de la lourdeur de ma pathologie. Un deuxième entretien a eu lieu et il n’a pas pu me proposer une alternative à ma position dans l’entreprise. Suite à cela, j’ai été congédiée pour force majeure médicale.

En évoquant ce sujet autour de moi, je me rends compte que très peu de personnes connaissent cette procédure et surtout le fait qu’aucune indemnité n’est payée, dit-elle. Je trouve cela aberrant. On est constamment sous pression et, malheureusement, cela a des conséquences sur la santé de certains. Une indemnité de préavis, même quand il y a rupture pour raison médicale, devrait être accordée comme pour d’autres licenciements. D’autant plus que la plupart des personnes sont malades avec des pathologies lourdes dont les traitements sont onéreux. Les gens malades sont souvent plus âgés et ne retrouveront plus de travail. »

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