Travailler plus longtemps, mais comment ?

Plus Magazine s’inscrit dans le projet  » Penser plus tôt à plus tard « , initié en 2012 par la Fondation Roi Baudouin, avec 4 tables rondes composées d’experts.

Nous devons tous travailler plus longtemps, mais comment garder des travailleurs en forme et motivés ? Roularta Research en collaboration avec Plus Magazine et la Fondation Roi Baudouin a réalisé un sondage auprès de 3.918 personnes de plus de 50 ans. Il a mis en lumière les grandes questions et les obstacles à travailler plus longtemps.

50% ne se voient pas travailler plus longtemps, 73 % craignent le burnout. Comment expliquer une telle résistance ?

Mieke van Gramberen, directrice générale de Flanders Synergy :  » Se sentir utile, avoir des contacts sociaux : voilà ce qui donne de l’énergie. Un bon salaire, une bonne santé et un travail intéressant sont d’incontestables moteurs aussi. C’est sur cela que nous devons miser. Et il faut aussi de la flexibilité dans les fonctions : pour un ouvrier dans la construction, le travail peut devenir trop lourd à un certain âge, mais pourquoi ne pourrait-il pas travailler comme homme à tout faire dans une école ? « 

Jan Laurijsen, conseiller RH chez SD Worx : « Le burn-out n’est pas lié à l’âge mais plutôt au type de travail qu’on fait : un travail doit avoir du sens et offrir de la variété. Evidemment, c’est dur d’apprendre tout à coup qu’on devra travailler jusque 67 ans mais on change aussi trop peu de travail : en moyenne, les Belges changent trois fois de travail au cours de leur carrière. C’est pourquoi il est important d’en discuter avec les gens : qu’est-ce que je veux, qui suis-je ? Tant qu’on continuera à penser qu’il faut travailler dur entre 25 et 55 ans et qu’ensuite on peut décrocher, on n’y arrivera pas. »

64% estiment la pression au travail trop forte. Serait-ce (entre autres) parce que le travail évolue sans cesse, créant un sentiment d’insécurité ?

Christophe Van Hecke, chargé de relations aux entreprises au Forem, service Fonds de l’expérience professionnelle: « Je pense qu’il faut réfléchir au déroulement de sa carrière dès le début, sachant qu’il faudra travailler plus longtemps et que toute une série d’emplois vont profondément changer voire disparaître. Une réflexion que je rencontre peu : lorsque je parle avec des 50+, ils se comportent comme s’ils étaient quasi en fin de carrière. »

Philippe Andrianne, secrétaire politique et porte-parole de l’asbl Énéo : « Travailler plus longtemps n’est pas impossible, mais pas dans les conditions actuelles. Les personnes qui exercent un métier lourd ne tiennent souvent plus le coup à partir d’un certain âge mais ce sont aussi les professions qui offrent peu de solutions de rechange. Ceux qui ont un travail plus administratif ont d’autres soucis : l’informatisation qui ne cesse de se développer les oblige à se recycler en permanence. Mais lorsqu’ils se rapprochent de la retraite, l?employeur se demande s’il vaut encore la peine d?investir dans leur formation. Se sentir utile, pouvoir s’adapter dépend aussi pour beaucoup de la façon dont on est considéré dans l’entreprise. »

Jean-Marc Manfron, spécialiste des analyses de marché au Forem : « Il faut un changement de mentalité dans les entreprises comme chez les travailleurs. On ne peut plus partir du principe que ce qu’on a appris à l’école suffira pour le reste de sa carrière. Les carrières sont de moins en moins linéaires. De ce fait, il faut réfléchir à un plan de carrière dès qu’on commence à travailler parce que la technologie ainsi que les attentes du marché en matière de compétences évoluent très vite. »

Philippe Andrianne : « En même temps, une partie de la population n’est pas capable de s’adapter aux nouvelles exigences du marché et c’est comme si on les laissait tomber. On y trouve aussi des jeunes. Où propose-t-on encore du travail à quelqu’un qui n’a qu’un diplôme d’études secondaires ? Les exigences ne cessent d’augmenter. »

Christophe Van Hecke :  » Il ne suffit pas d’imposer des obligations aux entreprises, il faut aussi créer des opportunités. Il est important de laisser travailler en équipe un jeune et un plus âgé : ils peuvent développer des synergies et partager leurs expériences, ce qui est bénéfique pour l’un et l’autre.On ne remplace pas facilement l’expérience et la connaissance. Il existe déjà des mesures destinées à rendre le travail faisable pour les travailleurs plus âgés mais ils ne les connaissent pas assez. Les en informer les rassurerait sur la poursuite possible de leur carrière. »

La semaine de 30 heures est-elle envisageable chez nous ?

Mieke van Gramberen : « Peut-être dans certains secteurs bien spécifiques mais je doute fort que ce soit la solution. Prenons le secteur des soins de santé où on a introduit des jours de congé supplémentaires pour les travailleurs plus âgés. Cela a eu pour résultat une augmentation de la pression de travail pour les plus jeunes. Nous ne devons pas nécessairement travailler moins, mais autrement. Le travail doit nous donner des chances d’apprendre plus. Quand on constate que 40% des 60+ n’apprennent plus rien au travail, on peut se dire qu’il y a un problème.

Chaque âge a besoin de nouveaux défis. Il faut organiser le travail avec moins de hiérarchie et plus d’autonomie. Je le constate dans les soins de santé où les infirmières à domicile travaillent en équipes et organisent leur travail de a à z. C’est plus compliqué mais les infirmières construisent de solides liens avec les patients et sont très fières de leur rôle. La solution passe par de nouvelles formules de travail, pas en un supplément de jours de congé. »

Christophe Van Hecke : « Nous avons mis en situation des personnes chargées d’exécuter une tâche mais sans instaurer de hiérarchie. Et on a constaté qu’elles se sont organisées d’ellesmêmes et ont mené la mission à bien. Ce genre de projet pilote permet vraiment d’expérimenter une autre organisation du travail. »

Philippe Andrianne:  » Nous travaillons moins aujourd’hui qu’il y a cent ans mais nous sommes aussi plus productifs. La grande difficulté aujourd’hui est de combiner travail et vie privée. OK, nous devons travailler plus longtemps sinon les pensions ne seront plus payables. Mais on oublie en même temps toute une série de coûts cachés : si les grands-parents s’en chargent, il faut investir moins dans des structures d’accueil pour les enfants. Idem pour les aidants proches. Il faut considérer l’ensemble de la situation et mieux l’organiser. »

Jan Laurijsen : « On fait déjà beaucoup pour rendre le travail plus flexible, pour que les gens puissent travailler chez eux, par exemple. Ce n’est pas possible pour tout un chacun, mais il ne faut pas non plus chercher une solution unique pour tout le monde. Je ne pense pas davantage que, par définition, un travailleur plus âgé veut travailler moins. Il vaut mieux prendre en compte l’évolution de la carrière. En outre, de très nombreuses professions s’exerceront tout à fait différemment dans quelques années en raison de nouvelles technologies. »

Mieke van Gramberen : « Je ne pense pas que le temps de travail soit un problème en soi, mais plutôt la maîtrise qu’on a soi-même sur son temps de travail; les gens en ont grand besoin. Aujourd’hui, seuls 16 % des travailleurs ont le choix de travailler chez eux ou non, mais plus de la moitié sont demandeurs. Et quelqu’un qui travaille sur une chaîne de montage sait qu’il ne peut pas le faire de chez lui mais aimerait pouvoir arranger librement ses congés avec ses collègues ou, en cas d’événement imprévu, pouvoir quitter un moment son travail pour, par exemple, accompagner son enfant chez le dentiste. »

78% pensent qu’il est (quasi) impossible de retrouver du travail après 50 ans.

Mieke van Gramberen : « Il faut être franc, c’est nettement plus difficile pour les 50+ de retrouver du travail. On se heurte encore à trop de préjugés. Il serait bien que les entreprises changent de mentalité mais on constate malheureusement trop peu de changements. »

Jean-Marc Manfron : « Des agences d’intérim se spécialisent aujourd?hui auprès des 50+ qui, donc, travaillent de plus en plus souvent via des contrats d’intérim. Par ailleurs, le Forem voit augmenter le nombre de demandeurs d’emploi de 50 ans et plus. En raison notamment des nouvelles dispositions légales. »

Philippe Andrianne: « La peur de la sanction est certes bien présente chez les 50+ mais la réalité, c’est surtout que s’ils sollicitent, ils ne reçoivent quasi jamais de réponse. Dans les bureaux de recrutement, de jeunes employés reçoivent ces beaux cv mais les écartent, persuadés qu’un travailleur plus âgé ne tiendra plus le rythme. »

Jean-Marc Manfron : « Cela dépend pour beaucoup du contexte économique. Les jeunes comme les aînés ont de meilleures chances de s’insérer à l’emploi quand l’économie va bien. »

Jan Laurijsen : « Effectivement, car si l’économie ne croît pas, la mobilité sur le marché du travail s’arrête aussi. Celui qui a un emploi le garde, guidé par la crainte de ne pas en trouver un autre. Mais à un moment, il faut oser franchir le pas. C’est pourquoi il est important que, pendant leur carrière, les travailleurs soient soutenus et puissent suivre un trajet de développement. On peut ainsi, à l’échelle régionale, créer un marché du travail local qui intéresse aussi d’autres employeurs ou permette des transferts de travailleurs d’une entreprise à l’autre. Cette forme de co-sourcing est, à mon avis, la nouvelle tendance. Ce sont surtout les jeunes entreprises où on entend : nous vous garantissons pas une carrière, mais nous vous aidons à continuer à vous développer. »

En savoir plus sur le projet  » Penser plus tôt à plus tard  » de la Fondation Roi Baudouin, rendez-vous sur: www.avosprojets.be

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