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Secteur de la santé fragilisé : se dirige-t-on vers une médecine à deux vitesses ?

Le sous-financement des soins de santé, la pandémie, la santé fragile des hôpitaux belges... Tout mène à une médecine à deux vitesses. Plus rapide et plus efficace pour ceux qui en ont les moyens. Pas pour les autres.

« La spirale des suppléments d’honoraires nous enfonce dans un système de santé à deux vitesses, contraire au principe de solidarité de la Sécurité sociale qui a pour but d’offrir un accès équitable aux soins de santé. Nous nous dirigeons vers une privatisation des soins à l’américaine », dénonce Jean Hermesse, le patron des Mutualités chrétiennes (MC) jusqu’en juillet dernier.

Une santé à deux vitesses ? C’est lorsqu’une personne se voit refuser des soins ou n’est pas soignée par un prestataire de son choix. Ou encore quand elle subit des pressions sur le choix d’une chambre. Exemple : après une consultation chez un urologue, un patient apprend qu’il doit subir une circoncision pour raison médicale. Cette opération ne nécessite pas de nuitée. Le spécialiste lui recommande cependant une chambre individuelle afin de réduire les risques d’infection. Mais comme le patient ne dispose pas d’une assurance hospitalisation, le spécialiste refuse de l’opérer s’il opte pour une chambre commune. Sa seule « faveur » est de faire un « geste commercial » sur ses suppléments d’honoraires. Un autre exemple? Une dame obtient l’accord du médecin-conseil pour une réduction mammaire. Avant l’intervention, elle reçoit un document de l’hôpital. Soit elle paye plus de 2.600€ d’honoraires divers en chambre commune, payables avant l’admission, soit elle « choisit » 200% de suppléments d’honoraires en chambre particulière, mais sans versement anticipé. La patiente, ne bénéficiant pas d’une assurance hospitalisation facultative, fait le choix de la chambre commune et s’acquitte du montant réclamé. Une pratique illégale. L’acompte maximum demandé ne peut jamais correspondre à la totalité de la facture.

Mais, diront-ils, les supplémentes d’honoraires permettent de « rétribuer correctement » l’expertise des prestataires de soins. Certes. Ils permettent aussi de garantir la bonne santé financière des hôpitaux comme nous le verrons plus loin. Et, au final, c’est toujours le patient qui paye ces suppléments, directement de sa poche ou indirectement avec l’augmentation des primes d’assurances.

Un virus pour l’hôpital

La crise du Covid-19 va accélérer cette marche forcée vers une médecine à deux vitesses tant redoutée.

Arnaud Dessoy (Belfius), spécialiste des pouvoirs publics, rappelle que bien des opérations et des consultations ont été annulées et reportées à cause de la crise sanitaire : « C’est tout un pan d’activité de l’hôpital générant habituellement des revenus importants, grâce aux honoraires et forfaits, qui a été fortement impacté ». Peter Fontaine, l’administrateur-délégué des Cliniques de l’Europe à Bruxelles, estime en parallèle dans les colonnes du « Spécialiste » que l’Inami est le grand gagnant financier de la crise et que les hôpitaux payent les pots cassés : « Les marges des hôpitaux étaient déjà microscopiques avant la crise et ne dépassaient pas 0,2 %, analyse-t-il. Avec l’interruption forcée des activités médicales non urgentes, on a constaté un recul de 40 à 80 % dans certaines disciplines. » Cette situation a fait dégringoler les revenus des médecins et des hôpitaux.

Les suppléments d’honoraires représentent une part importante du chiffre d’affaires des hôpitaux.

Et comme le budget garanti par l’Etat ne représente que 36,5 % du chiffre d’affaires des établissements hospitaliers, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le covid-19 va déstructurer leurs finances. Ce sera au patient à payer la note, notamment via des suppléments d’honoraires qui, rappelons-le, sont une source essentielle de cash. Des observateurs comme Evelyne Magerat, infirmière et Secrétaire permanente au syndicat CNE, pense que les conséquences vont être « douloureuses ».

Pour relancer l’activité, les médecins non-conventionnés vont augmenter leurs honoraires. Pour rappel, un prestataire de soins conventionné s’engage à respecter les tarifs officiels fixés par l’Inami. Les non-conventionnés (ou partiellement) peuvent fixer plus librement leurs tarifs. La crainte d’Evelyne Magerat est la suivante : pour être soigné plus vite, le patient va devoir allonger la monnaie. Elle estime qu’une augmentation générale des tarifs est à prévoir. Le système de santé va davantage se mercantiliser. Cela va mener probablement à une forte augmentation des assurances privées. Un cercle vicieux.

Des médecins favorables aux suppléments

De 40 à 60 % des suppléments d’honoraires facturés par les médecins sont rétrocédés à l’hôpital. Ils permettent de financer des secrétaires médicales, des infirmières de consultation, du matériel, des charges de structure. « Pour nous, cela représente environ 40% des recettes de l’hôpital », avance François Burhin, directeur général d’un centre hospitalier.

« Il ne faut pas jeter bébé avec l’eau du bain, estime le Dr Philippe Devos, président de l’Absym, l’Association des syndicats médicaux, qui défend les suppléments d’honoraires. Une fois perçus, les suppléments partent dans trois poches. La première partie est rétrocédée à l’hôpital afin d’équilibrer son budget, payer les infirmières... La seconde sert à financer du matériel non remboursé ou des projets non financés. La troisième va dans la poche du médecin, après cotisations sociales, impôts, assurances et 3e pilier pour espérer avoir une pension. »

Ces moyens permettent aussi d’investir dans du matériel performant. « Nombre d’hôpitaux veulent acquérir des suites de logiciels sophistiquées dont le prix s’élève à plusieurs dizaines de millions, alors que les pouvoirs publics ne les financent qu’à hauteur de 400.000€ au maximum, soit une infime fraction du coût total, relève le Dr Marc Moens, président d’honneur de l’Absym. Du coup, ils obligent leurs médecins à mettre la main au portefeuille et à débourser de 6.000 à 7.000€ pour pouvoir utiliser l’outil. Ils s’efforcent également de couvrir les coûts en augmentant les suppléments... On le reproche aux médecins, alors que ce sont les administrateurs qui en retirent les bénéfices. »

L’inexorable augmentation des primes

Près de 80 % des Belges, notamment grâce aux assurances-groupe, sont couverts par une assurance hospitalisation. En janvier dernier, mutuelles comme assureurs ont annoncé des hausses de tarifs allant jusqu’à 7%. Certains répercutent tout simplement la variation de l’indice des prix à la consommation. Les assureurs privés prennent davantage en compte les suppléments d’honoraires qui grimpent de 3% chaque année.

De fait, une hospitalisation en chambre double ou commune coûte en moyenne six fois moins cher qu’en chambre individuelle. Mais certaines interventions peuvent coûter jusqu’à 27 fois plus cher en chambre individuelle. C’est le cas d’une réduction mammaire pratiquée en raison d’une gêne fonctionnelle qui a été facturée plus de 2.763€ dans un hôpital contre seulement... 103€ dans un autre !

Outre l’augmentation des primes, pénalisante pour les plus bas revenus, une autre « punition » pend au nez des assurés. Ils auront moins de liberté dans leurs choix ou « on » va les réorienter vers des établissements dont les tarifs sont plus raisonnables. C’est le choix de DKV qui a décidé d’exclure 33 établissements de sa formule Hospi Select (remboursement illimité si hôpital partenaire). Ces 33 établissements autorisent des suppléments d’honoraires supérieurs à la moyenne, parfois de l’ordre de 300 % par rapport aux tarifs de l’Inami.

Selon la DKV, ils alourdissent la facture hospitalière pour le patient. Les assureurs sont ainsi soumis à une pression croissante. Cette augmentation compromet la durabilité des soins de santé. Si l’assuré veut malgré tout se faire soigner dans un établissement blacklisté, il devra payer 20% des suppléments de chambre et d’honoraires.

Un assureur comme AG propose une autre formule. Celui qui choisit un établissement plus cher tout en voulant être remboursé à 100% de ses frais d’hospitalisation, devra payer des primes supplémentaires de l’ordre de 2 à 3%. C’est surtout la clientèle bruxelloise qui accepte ce surcoût, les hôpitaux de la capitale étant les plus chers. Et si le patient choisit de se faire soigner dans l’un des hôpitaux les plus chers sans avoir payé de surprime ? Il devra alors prendre en charge 50% des suppléments.

Un rendez-vous ? Mon oeil !

« Soit vous téléphonez au cabinet privé et on vous propose alors un rendez-vous rapidement. Soit vous prenez rendez-vous à l’hôpital et c’est reporté aux calendes grecques ! », fulmine André, un patient dont l’examen chez l’ophtalmologue, pourtant pris il y a près d’un an, a été reporté de plusieurs mois. Le problème des délais à rallonge jette littéralement les patients dans les salles d’attente des cabinets privés où les tarifs ne sont pas conventionnés, et donc plus chers. C’est un autre écueil de la médecine à deux vitesses qui s’installe. La crise sanitaire n’a fait qu’empirer la problématique. Dans certains CHU, ce sont jusqu’à 60.000 consultations qui ont été reportées.

Si une hospitalisation est planifiée, demandez un devis à l’hôpital et contactez votre mutuelle au préalable.

Il n’y a pourtant pas de pénurie d’ophtalmologues en Belgique. Ils sont un bon millier, ce qui est largement dans la moyenne européenne. Seules les différences de tarifs peuvent allonger ou raccourcir les délais. Toujours à propos d’ophtalmologie, on se souviendra aussi qu’en 2018, des pratiques de l’UZ Leuven avaient choqué. Des patients avaient reçu un courrier de l’hôpital leur proposant deux choix : soit ils prenaient une chambre seule et avaient la garantie d’être opérés par un professeur. Soit ils optaient pour une chambre commune et étaient probablement opérés par un « simple » ophtalmologue ou un assistant supervisé par un membre du corps enseignant. L’hôpital se justifiant par le fait qu’il devait aussi assurer la formation des jeunes médecins.

Conclusions à tirer

Sans refinancement des soins de santé et des hôpitaux en particulier, la charge sera toujours reportée sur les patients, laissant sur le bord de la route les plus fragiles financièrement. Les autres diront que ce n’est pas au contribuable à tout supporter. C’est vrai aussi.

Reste que la pratique des suppléments d’honoraires sans plafond provoque une fuite des médecins vers les hôpitaux et les disciplines offrant le plus de rémunérations. La médecine gériatrique, moins rémunératrice, en souffre par exemple. Tout comme la médecine de première ligne, celle des médecins de famille.

« Refuser de reconnaître que ces suppléments d’honoraires nous conduisent à une santé à deux vitesses est indigne », conclut Jean Hermesse qui plaide, dans sa vision plus utopiste, pour un hôpital où tout le monde pourrait séjourner en chambre particulière, à condition que les suppléments d’honoraires soient interdits. « Souscrire une assurance hospitalisation ne serait plus nécessaire, dit-il. Les primes que versent les employeurs et les assurés dans le cadre des assurances hospitalisation facultatives seraient réinjectées dans l’assurance soins de santé obligatoire. »

De manière plus pragmatique, la solution individuelle serait d’assurer sa santé dès son plus jeune âge pour limiter les primes. L’autre solution serait de choisir un médecin ou spécialiste conventionné. Le site de l’Inami et plusieurs sites de mutuelles permettent de savoir si un médecin est conventionné ou pas.

« Cela permettrait d’éviter les mauvaises surprises des suppléments d’honoraires, parfois exorbitants, précise Jean-Philippe Ducart, de la communication de Test-Achats. Des médecins non-conventionnés ont augmenté leurs tarifs pour rattraper le manque à gagner des derniers mois. La problématique de la chambre individuelle permet encore tous les suppléments possibles et imaginables. »

C’est aussi le conseil des mutuelles : faire son marché quand c’est possible. Si l’hospitalisation est planifiée, n’hésitez pas à demander un devis à l’hôpital et contactez votre mutuelle au préalable à ce sujet. Cette démarche n’est évidemment pas possible pour les visites quand on est dans l’inconfort, dans l’attente d’un rendez-vous rapide ou dans un délai raisonnable. Le système en joue. Enfin, vous pourrez toujours contacter votre mutuelle, votre avocat santé, si, par la suite, vous estimez que vous avez payé des honoraires trop élevés ou injustifiés.

C’est quoi un supplément d’honoraires ?

Ce sont des suppléments ou dépassements d’honoraires facturés par des prestataires de soin (un médecin spécialiste, un dentiste, un kiné) en supplément des tarifs fixés par l’Inami. Ils sont exprimés en pourcentage, par exemple un supplément de 200 % signifie qu’on paie deux fois le tarif de l’Inami.

En cas d’hospitalisation, les dépassements d’honoraires dépendent du type de chambre : particulière ou commune. Vous choisissez une chambre individuelle. L’hôpital pourra facturer deux types de suppléments : un supplément de chambre. Il s’agit d’un montant forfaitaire par jour, par exemple de l’ordre de 60 € par jour. En chambre individuelle, les médecins peuvent aussi facturer des suppléments d’honoraires exprimés en pourcentage du tarif, jusqu’à 300 % des tarifs définis par l’Inami en région bruxelloise !

Il n’y a pas que les médecins qui interviennent qui peuvent réclamer des suppléments d’honoraires : les infirmiers, aides-soignants, kinés ou biologistes aussi. Une hospitalisation en chambre particulière peut coûter parfois jusqu’à sept fois plus qu’en chambre à plusieurs, selon Partenamut.

Vous devrez choisir une chambre individuelle ou commune lors de votre admission à l’hôpital. C’est pourquoi on vous demandera si vous avez une assurance hospitalisation qui couvre la plupart des frais. Si vous êtes admis en urgence, cette formalité sera accomplie dès que vous en serez capable ou par votre représentant légal.

Si on opte pour une chambre commune et qu’on est malgré tout hospitalisé en chambre individuelle pour des raisons médicales ou une admission en urgence, l’hôpital n’aura pas le droit de facturer des suppléments d’honoraires.

En chambre commune ou double, vous ne payez pas de supplément de chambre et d’honoraires.

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