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Mieux protéger son partenaire

Eric Spruyt Notaire et professeur

D’un point de vue successoral, le principal souhait des couples mariés ou non est qu’en cas de décès de l’un d’eux, le partenaire survivant puisse poursuivre ses activités comme avant et ne pas connaître de problèmes financiers. Comment s’y prendre concrètement?

On pourrait s’attendre à ce que la loi, notre droit successoral, fournisse une protection suffisante. C’est le cas dans une certaine mesure, mais cette protection légale est souvent perçue comme inadéquate. Si vous êtes mariés en communauté de biens et que vous avez des enfants, le conjoint survivant n’héritera que de l’usufruit de la succession. Ainsi, les jeunes veufs et veuves doivent faire une croix prématurément sur la propriété d’un bien acquis en couple. La succession englobe les biens propres du partenaire décédé et sa part (moitié) dans la communauté. En l’absence d’enfants, le conjoint survivant hérite de l’ensemble de la communauté en pleine propriété et de l’usufruit sur les biens propres du partenaire décédé. Si vous êtes mariés sous le régime de la séparation de biens, il n’y a en principe pas de communauté et le conjoint survivant hérite de l’usufruit sur les biens propres.

Si vous êtes cohabitants légaux, vous n’héritez que de l’usufruit sur le logement familial et les meubles qui le garnissent, et rien d’autre. En outre, un partenaire peut décider unilatéralement de mettre fin à la cohabitation légale. Le cas échéant, l’autre n’hérite de rien. En ce qui concerne les cohabitants de fait, ils ne sont légalement pas héritiers l’un de l’autre. S’ils veulent se laisser quelque chose, ils doivent s’organiser eux-mêmes.

Établir un testament

Nombre de couples souhaitent se protéger mutuellement dans une mesure plus importante que ce que la loi prévoit. La solution la plus évidente est d’établir un testament. Soit en le dictant à votre notaire (testament notarié), soit en le rédigeant vous-même (testament olographe). Cette option présente elle aussi des inconvénients...

Pas sûr à 100%. Un testament peut être révoqué à tout moment sans justification. Le bénéficiaire d’un testament n’est pas sûr à 100% qu’il le sera toujours au moment du décès. De plus, un testament olographe peut être perdu, sauf s’il a été déposé chez un notaire.

La réserve des enfants. Un autre inconvénient important du testament est que vous ne pouvez pas laisser à votre partenaire tout ce que vous souhaitez, du moins si vous avez des enfants. Les enfants ont une « réserve », une part minimum de l’héritage que vous ne pouvez pas leur enlever. Quel que soit leur nombre, les enfants ont toujours droit (ensemble) à la moitié de votre patrimoine. Ces 50% sont calculés non seulement sur les biens que vous possédez à votre décès, mais aussi sur toutes les donations effectuées de votre vivant.

Impact fiscal. Le testament n’est pas non plus très intéressant fiscalement. Les biens que vous léguez font toujours partie de votre succession à votre décès. Votre partenaire devra donc payer des droits de succession sur ce qu’il reçoit par le biais de votre testament.

Les donations entre époux sont normalement révocables à tout moment.

Faire une donation

Vous pouvez largement contourner cet inconvénient fiscal en effectuant une donation à votre partenaire de son vivant. Ce que vous donnez de votre vivant ne fait plus partie de votre patrimoine le jour de votre décès et échappe aux droits de succession. Et les droits de donation demeurent tout à fait raisonnables. Dans le cas d’une donation mobilière par acte notarié, vous ne payez que 3% de droits de donation (3,3% en Wallonie). Si vous êtes que cohabitants de fait, le taux sera de 7% à Bruxelles et 5,5% en Wallonie. À noter que pour une donation mobilière, vous ne devez pas nécessairement vous rendre chez un notaire. Vous pouvez effectuer un don manuel ou bancaire (avec un document probant sous seing privé). Vous ne devez alors pas payer de droits de donation. Mais si vous décédez dans les 3 ans (5 ans en Wallonie) suivant le don, le donataire devra verser des droits de succession sur la donation. Si vous souhaitez donner un bien immobilier à votre partenaire, un acte notarié est obligatoire et vous devrez aussi payer des droits de donation. Le tarif dépend de la valeur du bien, mais une donation immobilière est toujours fiscalement plus intéressante.

Irrévocable, mais pas toujours. Contrairement à un testament, une donation est en principe irrévocable. Au moins pour les cohabitants, mais pas pour les couples mariés. Les donations entre époux sont normalement révocables à tout moment (sans justification), sauf si la donation a été conclue dans le cadre du contrat de mariage. Dans ce dernier cas, la donation est irrévocable. Autre obstacle pour les couples mariés, vous ne pouvez pas donner à l’autre des biens qui appartiennent déjà à la communauté matrimoniale, car ils appartiennent déjà à tous les deux. Ainsi, en tant que couples mariés, vous ne pouvez donner que vos biens propres.

La réserve des enfants. Si vous avez des enfants, vous devez tenir compte de leur part réservataire même lorsque vous effectuez une donation. Vous ne pouvez donc donner que la partie disponible de votre patrimoine (la moitié, quel que soit le nombre d’enfants que vous avez).

Séparation de biens et contrat de mariage

Si vous laissez à votre conjoint, avec qui vous êtes marié en séparation de biens, la moitié indivise de biens mobiliers – par exemple, un compte-titres – par le biais de votre contrat de mariage, il ou elle ne paiera pas d’impôts sur celle-ci.

Conclure un contrat de mariage

Pour les couples mariés, il existe une troisième solution. L’ajout de clauses dans le contrat de mariage vous permet de mieux vous protéger mutuellement. C’est ce qu’on appelle les avantages matrimoniaux. Pour les couples mariés sous un régime avec communauté de biens, cela concerne surtout les biens communs. Il s’agit de clauses classiques que vous connaissez sans doute déjà, comme la clause d’attribution (au dernier vivant les biens) ou la clause d’attribution optionnelle, plus sophistiquée (le contrat de mariage prévoit plusieurs options parmi lesquelles le conjoint survivant peut choisir). Étant donné qu’il est intégré au contrat de mariage, un avantage matrimonial ne peut pas être révoqué unilatéralement par un des conjoints, mais uniquement d’un commun accord par le biais d’une modification du contrat de mariage.

La réserve des enfants. Un avantage matrimonial n’est pas une donation et vous ne devez donc pas à tenir compte de la part réservataire des enfants.

Impact fiscal. Cependant, la solution de l’avantage matrimonial comporte un inconvénient majeur: la fiscalité! Si le conjoint survivant reçoit l’équivalent de plus de la moitié de la communauté de biens, l’excédent est considéré comme un legs (comme si vous l’aviez reçu par testament) et est donc soumis aux droits de succession.

Vous pouvez aussi avoir recours aux avantages matrimoniaux si vous êtes mariés en séparation de biens. Vous pouvez, par exemple, ajouter une clause d’attribution pour les biens que vous possédez en indivision, ou une clause d’attribution de biens propres. Cerise sur le gâteau, en régime de séparation des biens, ces avantages matrimoniaux ne sont pas du tout imposés, du moins s’il s’agit de biens mobiliers. Ainsi, contrairement aux couples mariés sous un régime de communauté, les avantages matrimoniaux (pour des biens meubles) des couples mariés sous le régime de séparation de biens ne sont pas soumis aux droits de succession. La raison? Aucune taxe n’est (actuellement) prévue pour ce cas de figure dans nos législations fiscales. Imaginons par exemple que vous transmettiez via votre contrat de mariage votre moitié indivise d’un compte-titres de 50.000€ à votre conjoint, avec qui vous êtes marié en séparation de biens, il ne paiera pas de droits de succession sur celle-ci à votre décès.

Pour les biens immobiliers, un impôt est bel et bien prévu: le droit de partage (2,5% en Flandre, 1% dans les autres Régions) si les partenaires possédaient les biens immobiliers de manière indivise, et les droits d’enregistrement (12% en Flandre, 12,5% dans les autres Régions) si les biens immobiliers appartenaient à l’un des partenaires et que l’avantage matrimonial prend ainsi la forme d’une clause d’attribution de biens propres. Vous pouvez également rendre ces clauses optionnelles. Ainsi, le conjoint survivant peut décider de les invoquer ou non.

En régime de séparation des biens, les avantages matrimoniaux ne sont pas imposés.

Nouveau: le contrat d’accroissement

Le contrat d’accroissement n’est pas encore très connu du grand public. Il s’agit d’une option intéressante, tant pour les couples mariés que cohabitants.

Si vous êtes marié sous un régime de communauté de biens, vous ne pouvez pas utiliser cette technique pour les biens faisant partie de la communauté matrimoniale, mais uniquement pour vos biens propres. En pratique, le contrat d’accroissement est ainsi surtout réservé aux couples mariés en séparation de biens. Ils peuvent l’appliquer aux biens qu’ils possèdent en indivision et à leurs biens propres. Il en va de même pour les cohabitants.

De quoi s’agit-il? En tant que partenaires, vous apportez des biens bien définis (meubles ou immeubles) sous un contrat d’accroissement. Vous y convenez que si l’un d’entre vous décède, l’autre partenaire pourra s’approprier ces biens. Il s’agit donc d’un contrat aléatoire. Celui qui vit le plus longtemps gagne. Grâce à cette caractéristique, le contrat d’accroissement n’est pas considéré comme une donation et n’est pas concerné par le droit successoral. Par conséquent, les enfants ne peuvent pas invoquer leur réserve.

Chances égales. Pour être qualifié de contrat aléatoire, les chances des deux partenaires doivent être comparables. Premièrement, l’espérance de vie doit être similaire. Cela dépend donc principalement de l’âge, il ne doit pas y avoir une trop grande différence. La règle est qu’il n’y a pas de problème si vous pouvez être tous deux considérés de la même génération. Bien entendu, votre espérance de vie dépend aussi votre état de santé. Vous ne pouvez donc pas conclure un contrat d’accroissement si l’un de vous est déjà gravement malade. En outre, il doit y avoir une contribution égale des deux partenaires. Si vous possédez des biens en indivision (base de 50/50), il n’y a évidemment aucun problème. Par exemple, si deux partenaires possèdent conjointement un compte-titres d’une valeur de 100.000€. Vous devez être prudent si vous effectuez un contrat d’accroissement pour des biens propres. L’ensemble des biens que vous avez tous deux apportés doit avoir plus ou moins la même valeur. Par exemple, un partenaire peut apporter un paquet d’actions d’une SA d’une valeur de 30.000€ et l’autre, un compte d’épargne d’une valeur de 30.000€.

Pas tout votre patrimoine. Un contrat d’accroissement ne peut porter sur l’ensemble de votre patrimoine, mais des biens spécifiques comme un immeuble. Dans le cas de biens meubles, il peut s’agir d’un ou de plusieurs comptes bancaires, d’épargne ou de titres, des actions de société, d’une ou de plusieurs oeuvres d’art, etc.

Acte notarié. Si le contrat d’accroissement porte sur un bien immobilier, vous devez passer par un notaire. Pour les biens mobiliers, vous avez le choix entre un acte sous seing privé ou notarié.

Porte de sortie. Vous ne pouvez pas mettre fin unilatéralement à un contrat d’accroissement, mais vous pouvez prévoir des modalités de sortie. Par exemple, vous pouvez faire en sorte que le contrat prenne fin lorsque vous vous séparez, ou qu’il prenne fin après deux ans.

Impact fiscal. L’aspect le plus intéressant du contrat d’accroissement est son traitement fiscal très attractif. Au décès de l’un des partenaires, le survivant ne paie aucun impôt si le contrat porte sur des biens meubles. Ni droits de succession ni droits de donation. Si le contrat porte sur un bien immobilier que vous détenez en indivision, le partenaire survivant doit payer des droits d’enregistrement sur la moitié du bien (12% si le bien se trouve en Flandre, 12,5% dans les autres Régions).

Contrat d’accroissement?

Léa et Jean sont cohabitants. Ils concluent un contrat d’accroissement. Ils ont un compte d’épargne de 20.000€ et un compte-titres de 50.000€ détenus en indivision. Au décès de Jean, sa part (35.000 €) revient à Léa sans de droits de succession. Si vous êtes marié avec enfants et que vous vous contentez du droit successoral, au décès de votre conjoint, vous perdez une part de votre patrimoine commun alors que vous l’avez acquis ensemble.

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