Les bons comptes font les bons divorces

Lorsque des partenaires se séparent, il ne suffit pas de partager les biens.Que peuvent-ils se réclamer et comment se font les comptes ?

Lorsque, mariées ou cohabitantes, deux personnes vivent ensemble pendant un certain temps, il n’y a rien d’étonnant à ce que leurs avoirs se mélangent. Un des partenaires puise, par exemple, dans son propre capital pour installer une nouvelle cuisine dans la maison de l’autre. Ou bien, les dettes d’un des partenaires sont apurées grâce à l’argent commun. Ou encore, le couple fait construire une maison avec de l’argent commun, mais sur le terrain qu’un seul a reçu de sa famille.

En ces temps où les familles recomposées se multiplient, de telles mises en commun deviennent de plus en plus fréquentes. Combien de fois ne voit-on pas une personne racheter, dans le cadre d’un divorce, la maison qu’il/elle partageait avec son conjoint (et dont ils étaient propriétaires ensemble) pour, ensuite, l’habiter avec un nouveau partenaire ? Ce dernier contribue souvent au remboursement du prêt hypothécaire en cours, à moins qu’il n’investisse dans des travaux de rénovation ou d’aménagement, comme c’est le cas de Karin et Peter.

La question de Karin :  » Comment m’y prendre pour que chacun y trouve son compte ? « 

Après son divorce, Karin a racheté la part de la maison familiale à son ex-mari. Elle en est donc à présent seule propriétaire (même si elle doit continuer à rembourser le prêt hypothécaire) et y habite avec ses deux enfants. Elle a depuis quelques temps un nouvel ami, Peter, avec qui elle envisage de cohabiter mais sans avoir encore décidé s’il s’agirait d’une cohabitation légale ou de fait. Une chose est sûre : il n’est pas question de mariage. Peter n’ayant pas d’enfant, c’est lui qui viendra habiter chez Karin. Mieux même, Peter est prêt à vendre son appartement et à investir le capital obtenu de la vente pour continuer les travaux de rénovation que Karin avait entamés.

Peter et Karin sont très heureux ensemble, mais le passé leur a appris qu’une bonne relation peut aussi s’assortir de bons accords. Karin voudrait donc trouver un arrangement où tout le monde trouvera son compte. Une volonté qui débouche sur des questions concrètes :

 » Je ne veux pas être pessimiste, mais je veux quand même tenir compte d’un éventuel scénario catastrophe. S’il m’arrivait quelque chose, je veux être sûre que ma maison et mes autres biens reviendront à mes enfants. Mais je trouve tout aussi important que Peter puisse continuer à habiter chez moi. J’aimerais donc qu’il bénéficie d’une sorte d’usufruit tandis que mes enfants se partageraient la nue-propriété.

Et si un jour nous nous séparions – on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve – il faudrait que Peter reçoive une juste compensation pour l’investissement qu’il fait dans la rénovation de ma maison.

Comment devons-nous régler tout cela ? Faut-il faire un testament ? Opter pour la cohabitation légale ? Qu’est-ce que cela nous coûtera ? Et quelles seront les conséquences financières de nos choix quand il faudra payer des droits de succession ?

Aussi longtemps que les partenaires restent ensemble, il n’y a généralement pas de problème. Mais quand survient la rupture ou si un des partenaires décède, les discussions apparaissent : entre ceux qui avaient été des partenaires ou entre l’un d’eux et les héritiers de l’autre. Ceux-ci peuvent même exiger que le second partenaire de leur parent quitte la maison.

Les principes juridiques qui interviennent en pareils cas diffèrent selon que les partenaires sont mariés (et si oui, sous quel régime) ou qu’ils cohabitent (légalement ou de fait). Puisque Karin et Peter ont choisi la cohabitation, ils trouveront réponse à leurs questions dans les règles qui s’appliquent à la cohabitation. Afin de pouvoir faire une comparaison correcte, il nous semble utile pour eux de dire aussi ce qu’il en est en cas de mariage.

La plupart des couples sont mariés sous le régime de la séparation de biens avec communauté des acquêts (communément appelé régime légal). Il existe, dans ce cas, trois patrimoines : les biens propres de chacun des époux et le patrimoine commun. La loi prévoit comment régler d’éventuelles discussions.

Du patrimoine propre au patrimoine commun ou inversement

Dans le cas où l’un des partenaires investit son propre argent dans le patrimoine commun (ou inversement) et au moment où les patrimoines doivent être séparés, il existe légalement un compte de récompense. Ce qui revient à faire un grand calcul où l’indemnisation par l’un compense les investissements de l’autre et qu’en fin de compte, il reste un solde. Ce calcul ne peut jamais être effectué pendant le mariage, mais uniquement en cas de dissolution de ce mariage.

Récompense

Le montant de la récompense est calculé sur base de 2 grands principes :

1. La récompense ne peut jamais être inférieure à l’appauvrissement du patrimoine qui y a droit, même si le patrimoine dans lequel il a été investi vaut entretemps moins que le montant de l’appauvrissement.

2. Le montant de la récompense ne peut pas être adapté à la dévaluation monétaire. Même si l’investissement a eu lieu des années plus tôt, le montant de la récompense n’est pas indexé et il ne peut être accordé d’intérêts (qui commenceraient à courir à partir de la dissolution du mariage).

Il existe toutefois une exception à ce principe : si les sommes et fonds entrés dans le patrimoine débiteur ont servi à  » acquérir, conserver ou améliorer  » un bien immobilier, il faut tenir compte de la plus-value enregistrée par le bien pour fixer le montant de la récompense. Cette exception s’interprète toutefois de façon limitative. Si, par exemple, les conjoints ont utilisé l’argent commun pour rembourser un prêt hypothécaire qui avait été souscrit par l’un d’eux avant le mariage, il n’y a ni acquisition, ni conservation ni amélioration et la mesure d’exception ne trouvera pas à s’appliquer. C’est également vrai si l’investissement a été fait dans des biens mobiliers (£uvres d’art, titres, etc.).

Exemple : Martine et Bernard se sont mariés en 1990 sous le régime légal. Avant son mariage, Martine avait reçu de ses parents un terrain à bâtir d’une valeur équivalent à l’époque à 50.000 euro. Puisant dans l’argent commun, les époux y ont fait bâtir une maison en 1991 (investissement : 100.000 euro). Puisque Martine possédait déjà ce terrain avant son mariage, la maison qui y est construite devient aussi sa propriété (à moins que le terrain ne soit apporté au patrimoine commun par contrat de mariage – lire Construire sur le terrain du partenaire dans Plus Magazine, mars 2009, p. 76). Son propre patrimoine s’enrichit donc de 100.000 euro grâce à l’argent commun. Si Martine et Bernard divorcent, le patrimoine de Martine sera redevable d’une récompense au patrimoine commun.

1. Supposons que l’ensemble maison + terrain n’ait plus qu’une valeur de 125.000 euro (50.000 euro pour le terrain et 75.000 euro seulement pour la maison). L’indemnité (récompense) versée au patrimoine commun qui a investi sera quand même de 100.000 euro parce qu’elle ne peut pas être inférieure au montant de l’appauvrissement initial (ce qui a été investi pour construire la maison).

2. A supposer au contraire que l’ensemble maison + terrain ait une valeur de 300.000 euro (100.000 euro pour le terrain et 200.000 euro pour la maison), ce sont 200.000 euro qui sont dus au patrimoine commun. La règle d’exception s’applique dans ce cas-ci : l’argent commun a été utilisé pour l’acquisition d’un bien immobilier.

En pratique La loi parle de récompense due par le patrimoine propre au patrimoine commun et vice-versa. Mais le patrimoine commun doit, bien entendu, encore être divisé entre les deux ex-partenaires. En pratique, Martine devra donc verser 50.000 euro (pour le terrain) et 100.000 euro (pour la maison) à Bernard.

Qui prouve quoi ?

Celui qui prétend avoir droit à une récompense doit aussi, en principe, être en mesure de le prouver. Il doit prouver le fait qui donne lieu à récompense (ex., une rénovation ou le paiement d’une dette). S’il l’a fait en utilisant son propre argent, il doit aussi prouver que cet argent lui était propre. Et c’est là que le bât peut blesser, d’autant que les banques ne gardent les traces des transactions que pendant dix ans.

ATTENTION ! Les conjoints qui puisent dans leur patrimoine propre pour investir dans le patrimoine commun feront bien de garder des preuves de ce qui a été fait (contrat d’entreprise, factures,...) et d’avec quel argent cela a été payé (ex., extraits de compte).

BON À SAVOIR A l’inverse, si le patrimoine commun investit dans le patrimoine propre d’un des conjoints (par exemple, le patrimoine commun investit dans la rénovation de la maison appartenant à un des conjoints), seul le fait qui donne lieu à récompense doit être prouvé. Il existe en effet dans ce cas une présomption selon laquelle l’investissement a été réalisé par le patrimoine commun. Si un des conjoints conteste qu’une récompense est due, c’est à lui de prouver que l’investissement a été réalisé grâce à ses avoirs propres.

EXEMPLE : Si, dans notre exemple, Martine affirme que la rénovation a été financée par son propre argent et non par le patrimoine commun, ce sera à elle de la démontrer.

Racheter la part du partenaire et rembourser l’emprunt

Il est fréquent, lors d’une séparation, que l’un des partenaires reprenne la maison et l’emprunt à son compte. Cette forme d’indemnisation sort des règles des comptes de récompense, mais n’en est pas moins importante pour autant. Comment s’y prendre ?

Pour déterminer combien le partenaire qui reprend la maison doit payer à l’autre, il faut refaire une estimation de la maison. De ce prix, sera retirée la part d’emprunt non encore remboursée. Le solde sera divisé en deux et c’est le résultat de cette division qui représente le montant à payer. Il n’est pas rare que l’ex-partenaire repreneur doive souscrire un nouvel emprunt, ce qui n’est pas toujours évident. Il/elle doit en effet continuer à rembourser l’ancien emprunt de la maison. Et convertir l’ancien emprunt en un nouveau plus important entraîne des frais (indemnité de remploi de 3 mois généralement).

D’un patrimoine propre à un patrimoine propre

Lorsqu’un patrimoine propre investit dans un autre patrimoine propre, les règles de récompense ne s’appliquent pas. Ce qui ne veut pas dire que rien ne peut être réclamé quand il y a transfert d’un patrimoine propre à un autre. Les (ex-)conjoints sont créanciers et/ou débiteurs l’un de l’autre.

Récompense

Ici, un des conjoints obtient une créance sur l’autre tout comme dans le cas d’un créancier vis-à-vis de son débiteur. Ce n’est possible que pendant le mariage.

Qui prouve quoi ?

Le conjoint qui prétend disposer d’une telle créance doit prouver deux choses :

1. qu’il y a eu effectivement transfert de son patrimoine propre vers l’autre patrimoine propre.

2. qu’il y a un fondement juridique à réclamer cet argent. Il doit, par exemple, prouver qu’il a prêté cet argent ou qu’il l’a donné et qu’il révoque la donation (ce qui est possible entre époux). S’il ne peut fournir cette double preuve, sa demande de remboursement sera probablement vouée à l’échec.

CONSEIL Pour pouvoir prouver le fondement juridique et éviter les discussions, il vaut mieux, au moment de la transaction, convenir clairement du type d’opération à effectuer et mettre cet accord par écrit.

Alternative

Plutôt que de parler de récompense pour l’époux qui a investi dans le patrimoine de l’autre, on peut, dès le début, convenir de lui accorder un droit de propriété. Sans oublier qu’une vente entre époux ne peut pas se faire telle quelle (il faut en général une autorisation du juge) et que des droits d’enregistrement sont dus.

Mariés sous le régime de la séparation de biens

Le régime de la séparation de biens est régi par les mêmes règles que la récompense d’un patrimoine propre qui a investi dans un autre patrimoine propre. Ici aussi, un des époux peut avoir une créance sur l’autre. Pour pouvoir encaisser cette créance, il devra prouver qu’il y a eu effectivement transfert de valeurs ou d’argent de son patrimoine vers l’autre. Et il devra aussi prouver un fondement juridique (par exemple, un prêt, une donation qu’il révoque, etc.).

Propriétaires indivis

Dans un régime de séparation de biens, il est fréquent qu’un ou plusieurs biens immobiliers soient au nom des deux époux, mais qu’il(s) ai(en)t été principalement payé(s) par l’un des deux. Celui-ci puise davantage d’argent dans son patrimoine propre ou bien rembourse le prêt avec son propre argent.

Le bien immobilier restera malgré tout propriété des deux conjoints. En effet, ils se partagent la propriété chacun pour moitié, à moins qu’il n’en ait été convenu autrement dans l’acte d’achat. Si les conjoints souhaitent sortir d’indivision, l’un devra racheter la part de l’autre ou bien il faudra vendre le bien immobilier.

Récompense

Celui qui a investi le plus dans la maison peut tenter d’obtenir une compensation de la part de l’autre, mais sa démarche ne sera pas nécessairement couronnée de succès.

Dans un contrat de séparation de biens figure, en effet, une clause qui interdit pareille compensation. Sans compter que de nombreux tribunaux jugent de telles revendications injustes, surtout s’il s’agit du logement familial. Et toutes sortes de solutions ont été élaborées pour éviter ce genre de réclamations. Il est admis, par exemple, que l’achat du logement familial est une charge du mariage et que les contributions non financières de l’un des époux aux charges du mariage (ex., l’entretien de la maison, l’éducation des enfants,...) sont proportionnelles aux apports financiers de l’autre. Ce qui est souvent considéré comme solution équitable.

Décès

Si l’un des conjoints décède, l’autre obtiendra l’usufruit du logement familial, même si celui-ci était la propriété exclusive du partenaire décédé. Les héritiers du conjoint décédé ne pourront pas chasser le conjoint survivant de chez lui. Voilà au moins une sécurité pour le conjoint qui a investi dans la maison familiale dont l’autre était propriétaire.

Les cohabitants

Les cohabitants se voient appliquer les mêmes règles que les conjoints mariés sous le régime de séparation de biens, à ceci près que la solution d’équité évoquée ci-dessus ne peut pas être utilisée. On ne peut en effet pas parler de charges du mariage pour un couple de cohabitants.

Récompense

Le cohabitant qui demande une compensation à son ex-partenaire devra prouver l’investissement qu’il a réalisé dans le patrimoine de cet ex-partenaire et le fondement juridique de sa démarche. Il n’est pas question ici de révoquer une donation, une telle révocation n’étant possible qu’entre époux. Une possibilité sur le plan juridique consiste à invoquer la caducité de la donation. Mais ce n’est possible que si l’on peut démontrer la disparition de la cause de la donation, ce qui dans la pratique est très difficile.

ATTENTION ! Si l’un des partenaires investit dans le patrimoine l’autre, il est très important de prendre des accords clairs – et écrits – au moment même de l’investissement.

Décès

Lorsque, dans un couple marié, un des conjoints décède, l’autre reçoit au moins l’usufruit du logement familial de sorte qu’il peut continuer à l’occuper (voir plus haut). Ce n’est pas nécessairement vrai pour les cohabitants. Depuis deux ans environ, les cohabitants légaux héritent l’un de l’autre sans plus devoir faire un testament. Plus précisément, le cohabitant légal survivant bénéficie d’un droit successoral restreint lui accordant l’usufruit du logement familial et de son mobilier. Ce droit n’existe pas pour les cohabitants de fait : ils doivent procéder par testament ou recourir à la clause d’accroissement.

La réponse concrète au cas de Karin (et de Peter)

De toutes les règles évoquées dans cet article, il est facile de déduire que Karin et Peter ont tout intérêt à prendre des arrangements préalables entre eux. Pour que Peter puisse continuer à vivre dans la maison en cas de scénario catastrophe (le décès de Karin). Mais aussi pour régler noir sur blanc ce qu’il adviendra de l’investissement financier de Peter dans la maison de Karin.

  • Ils peuvent choisir la cohabitation légale (une simple déclaration à l’état civil suffit et elle est généralement gratuite). Ainsi, Peter bénéficiera d’un droit successoral limité portant sur la maison et son mobilier.
  • S’ils préfèrent rester en simple cohabitation de fait, Peter n’hérite en principe rien. Mais Karin peut faire un testament où elle désigne Peter comme usufruitier de sa maison. Attention ! Karin ne peut cependant donner par testament que la quotité disponible à Peter. Il s’agit de la part qui reste après que ses enfants ont reçu leur part réservataire. Puisqu’elle a deux enfants, l’usufruit de Peter ne peut pas valoir plus de 1/3 de la succession de Karin. La valeur de cet usufruit diminuera bien sûr au fur et à mesure que Peter avance en âge. Si l’usufruit de Peter dépasse la réserve des enfants, il n’est pas certain qu’il pourra en profiter. La loi stipule en effet que les enfants ont alors le choix : ou bien renoncer à une partie de leur part réservataire et laisser l’usufruit à Peter, ou bien racheter la quotité disponible léguée à Peter. Peter recevra une somme d’argent, mais n’aura plus l’usufruit.
  • En Flandre, les cohabitants paient les mêmes droits de succession préférentiels que les conjoints, qu’ils soient cohabitants légaux ou cohabitants de fait (ces derniers doivent toutefois compter au moins un an de vie commune).
  • Quoi qu’il arrive (séparation ou décès de Karin), Peter a droit à une compensation pour les investissements faits dans la maison de Karin. Puisqu’ils ne souhaitent pas se marier, Peter devra fournir une double preuve : qu’il a investi de l’argent et qu’il dispose d’un fondement juridique pour le réclamer. Le mieux serait que Peter mette sur papier qu’il accorde à Karin un prêt sans intérêt.

UN BON CONSEIL : tout ceci relève bien entendu d’une question de priorités. Karin doit savoir que, si elle accorde un usufruit à Peter, ses enfants risquent d’attendre longtemps avant d’acquérir la pleine propriété de sa maison. Elle pourrait aussi donner à Peter un droit d’occupation limité dans le temps. Par ailleurs, un testament est toujours révocable.

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