Le testateur avait-il toute sa tête ?

Eric Spruyt Notaire et professeur

Un testament n’est valable que si le testateur était sain d’esprit au moment de le rédiger. Comment démontrer qu’il ne l’était pas ? Et une personne sous administration provisoire peut-elle valablement exprimer ses volontés ?

Dans un testament notarié, un couple sans enfant désigne ses jeunes voisins comme héritiers. Les contacts ont toujours été excellents, il s’est établi un lien quasi familial. Pourtant, un testament olographe portant une date ultérieure désigne un autre héritier, testament valable dans la mesure où il répond aux critères de validité. Mais les jeunes voisins sont convaincus que la date de ce second testament est incorrecte : il serait antidaté, donnant à penser que le couple était encore parfaitement sain d’esprit au moment de sa rédaction alors que ce n’était plus le cas. Comment prouver qu’une personne n’était plus saine d’esprit au moment de rédiger son testament ? Si la chose n’a jamais été officiellement établie, on se trouve dans une zone d’ombre.

1. La preuve du contraire est-elle possible ?

Si vous désirez contester un testament, alléguant que la personne n’était plus saine d’esprit au moment de le rédiger, vous devez en apporter la preuve. Il existe différentes manières de le faire, y compris par des témoignages de membres de la famille, de connaissances, du notaire, du médecin et même sur la base de présomptions.

In fine, la décision appartient aux juges et ils sont rigoureux. La preuve du contraire doit être très précise (étayée par des éléments concrets) et écarter tout doute raisonnable. Vous ne pouvez donc pas affirmer en termes généraux que la personne a souffert de telle maladie ou qu’elle était très âgée et que, de ce fait, elle n’était pas saine d’esprit. Et il faut encore démontrer qu’elle n’était effectivement pas saine d’esprit au moment de rédiger son testament.

2. Que signifie  » sain d’esprit  » ?

Comme le spécifie l’article 901 du Code Civil, un testament (ou une donation) n’est légal que si le testateur est sain d’esprit au moment où il le rédige. Cet article est régulièrement invoqué pour contester la validité d’un testament. Le législateur a délibérément omis de définir l’expression  » sain d’esprit « , laissant au juge le soin d’apprécier les faits. Quiconque rédige un testament doit être  » capable  » (avoir la faculté d’exprimer ses volontés de manière libre et consciente) et avoir l’esprit suffisamment  » clair « .

Il est essentiel que la personne comprenne parfaitement le sens et la portée des dispositions qu’elle prend et y consente de son propre gré. Une altération (même partielle) de sa volonté – due à une maladie mentale ou physique – suffit pour conclure à une insanité d’esprit. Tant que le testateur n’est pas placé sous un statut de protection légalement réglementé, l’administration provisoire par exemple, il existe une présomption légale selon laquelle il est sain d’esprit.

3. Le fait que le notaire rédige le testament alors que le testateur n’était pas sain d’esprit signifie-t-il qu’il y a  » faux en écriture  » ?

La déclaration notariale sur la santé mentale n’a pas force probante puisque le notaire n’a pas de mandat légal pour s’exprimer sur le sujet. Si vous souhaitez faire valoir la nullité d’un testament notarié, il est inutile d’entamer une procédure pour faux en écriture mais vous pouvez apporter la preuve du contraire par tous les moyens de droit.

Un testament valide

Un testament olographe est valide à trois conditions : il doit être écrit à la main, signé et daté. On ne peut pas le taper sur ordinateur et l’imprimer. La signature est primordiale. Elle doit permettre, après le décès, de déterminer la sincérité et l’origine du document. La Cour de Cassation en donne la définition suivante :  » Le signe manuscrit par lequel le testateur révèle d’ordinaire son identité à des tiers « . On ne peut donc pas signer de son prénom, de sa qualité de  » tante Sidonie  » ou de  » grand-mère « , ou de simples initiales.

4. Le notaire peut-il établir qu’une personne est saine d’esprit ?

Non, seul un médecin est habilité à déterminer si une personne est saine d’esprit ou non. Ce n’est donc absolument pas du ressort d’un notaire. Néanmoins, s’il est appelé à établir un testament notarié (ou international), le notaire doit vérifier que la personne qui se présente à lui est saine d’esprit. Il est déontologiquement tenu de refuser d’établir le testament s’il pense que ce n’est pas le cas.

En cas de doute, il peut préalablement exiger la production d’un certificat médical attestant que la personne dispose de toutes ses facultés. Le notaire décide en toute conscience s’il exige ou non un tel certificat mais il n’y est pas tenu. Dans le cas où il l’exige, il doit veiller à ne pas mettre à mal le secret médical auquel est tenu le médecin. Le testateur devra lui-même demander le certificat à son médecin avant de le remettre au notaire.

Un notaire n’étant pas habilité à constater la santé mentale du testateur, les héritiers ont toujours la possibilité de contester un testament notarié. Le fait que le notaire ait jugé que la personne était saine d’esprit au moment de la rédaction du testament rend évidemment plus difficile, mais pas nécessairement impossible, la preuve du contraire.

5. Qui contrôle un testament olographe ?

Lorsqu’une personne rédige elle-même son testament, il n’existe aucun  » contrôle  » de sa santé mentale. Les testaments olographes ou sous seing privé sont donc plus susceptibles d’être contestés ultérieurement pour cause d’insanité d’esprit. Pour l’éviter, il est tout à fait possible de demander un certificat médical à son médecin et de le joindre au testament. Il est préférable que les deux documents portent la même date.

6. De combien de temps dispose-t-on pour faire annuler un testament ?

Le délai pour contester un testament est fixé à 30 ans. Le délai court à dater du jour du décès du testateur.

7. Un médecin peut-il  » témoigner  » ? N’est-il pas tenu au secret professionnel ?

Les héritiers peuvent utiliser des certificats médicaux rédigés du vivant du testateur pour apporter la preuve qu’il n’est pas sain d’esprit. Le tribunal doit toutefois s’assurer que lesdits certificats ont été délivrés de manière régulière. En effet, un médecin ne peut valablement remettre un certificat médical à un tiers que si la loi le prévoit. Ce n’est généralement le cas que si une procédure légale ou administrative est à la base de la demande (par exemple une procédure concernant une administration provisoire, une interdiction judiciaire, une pension alimentaire, etc.).

Les héritiers peuvent-ils utiliser un certificat établi juste après le décès ? La jurisprudence ne permet pas de trancher définitivement la question. La position traditionnelle est que l’obligation de confidentialité du médecin s’étend jusqu’après le décès de son patient, de sorte qu’un certificat médical rédigé après le décès ne peut être utilisé comme preuve valable. Mais certains juges ne s’y opposent pas.

En ce qui concerne le dossier médical du patient, le conjoint, le cohabitant légal, le compagnon (la compagne) et les parents jusqu’au deuxième degré ont le droit de le consulter après le décès. Cet accès n’est pas direct dans la mesure où ils doivent passer par un professionnel de la santé désigné par eux, un médecin par exemple. Les autres membres de la famille ne sont pas autorisés à consulter le dossier médical. Ils n’ont accès qu’à d’éventuels certificats médicaux.

Un médecin peut être appelé à témoigner dans une procédure judiciaire à la demande du tribunal ou d’une partie à la procédure. Dans ce cas, son secret professionnel n’est plus absolu. Il a le droit de parler et donc de divulguer des informations sur son patient. En revanche, il se réserve le droit de se taire s’il le juge nécessaire pour protéger les intérêts de son client. Toutefois, s’il se retranche de manière abusive derrière son secret professionnel, le juge peut l’obliger à dire ce qu’il sait.

C’est le testament le plus récent qui compte

Un testament olographe peut révoquer un testament notarié s’il est rédigé ultérieurement mais il est plus facile à contester. Si vous désirez changer votre testament, faites toujours  » table rase  » du précédent. La manière la plus simple de procéder est de commencer son nouveau testament par une phrase du type  » Je révoque toutes dispositions testamentaires antérieures à mon présent testament.  » En l’absence de cette notification, au moment de la liquidation de votre succession, le notaire reprendra tous les testaments antérieurs par ordre chronologique pour tenter de cerner au mieux vos volontés. On comprend aisément que cela peut entraîner des problèmes d’interprétation et qu’il s’agit d’un terrain fertile pour d’interminables litiges judiciaires. Mieux vaut l’éviter !

8. Peut-on donner procuration pour la rédaction d’un testament ?

Un testament est un document personnel. Par exemple, un couple marié ne peut rédiger un testament commun sur un seul et même document et le signer ensemble. On ne peut pas non plus donner procuration pour la rédaction de son propre testament. De même, la personne désignée dans le cadre d’un mandat extrajudiciaire (dans le cas où le mandant n’aurait plus toutes ses facultés mentales) n’est aucunement mandatée pour rédiger un testament.

9. Comment annuler un testament ?

Seul un juge peut annuler un testament. Pas un notaire. Pour contester un testament, il faut s’adresser au tribunal de la famille. Les héritiers ont trente ans à dater de la mort du testateur pour le faire. Sur la base des preuves présentées, le juge décide s’il convient de vérifier l’insanité d’esprit et, par conséquent, d’annuler le testament. Pour que la demande soit recevable, la jurisprudence s’appuie sur la règle générale évoquée plus haut, à savoir que les preuves présentées doivent exclure tout doute sur la santé mentale.

10. Une personne sous administration provisoire peut-elle rédiger un testament ?

La réponse à cette question est nuancée. Si un juge de paix désigne un administrateur provisoire (à la demande de la famille, parce que la personne concernée est jugée incapable ou doit faire face à une perte de ses facultés mentales), il devra indiquer explicitement dans son jugement si la personne protégée reste capable ou non de rédiger ou de révoquer son testament. L’administrateur provisoire désigné ne peut être autorisé à rédiger un testament au nom et pour le compte de la personne protégée. Un testament est un document exclusivement personnel.

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